2016-05-27 17:40:00

Mgr Pialat dénonce le narcotrafic et plaide pour plus de prévention


(RV) L’archevêque de Port-Louis, sur l'Île Maurice, a dénoncé le narcotrafic devant la Commission nationale d'enquête sur la drogue. Fustigeant l’opportunisme des trafiquants, il a plaidé en faveur de la réhabilitation des victimes et de la prévention chez les jeunes.

«Il faut, selon Mgr Maurice Piat, reconnaître que la toxicomanie, l’addiction à la drogue est une maladie». Or, une maladie ne se traite pas seulement à partir des symptômes, mais en remontant aux causes. Les gens consomment de la drogue parce qu’ils sont fragiles, accablés par la pauvreté matérielle ou des problèmes liés à leur relation familiale ou à leur travail. L’archevêque de Port-Louis a appelé à un durcissement de la loi réprimant le trafic de drogue, qu’elle soit mieux ciblée et plus sévère. Il a proposé d’introduire pour les consommateurs de drogue, la notion de «sanction pédagogique» qui leur éviterait l’incarcération dans une prison classique.

 

Ci-dessous, la déposition de Mgr Maurice E. Piat devant la Commission d’enquête sur la drogue

Historique de l’engagement de l’Eglise dans le combat contre l’usage des drogues. Le rôle du Cardinal Margéot, depuis les années 80. Il soutient plusieurs initiatives de prévention par l’éducation et la réhabilitation des drogués et de leurs familles, par l’accompagnement comme la Case A. Il a été à l’origine de la création du Centre de Solidarité, du Centre de Terre Rouge, de Chrysalide. De plus, nous mettons à disposition des salles d’œuvres pour la conscientisation, nous ouvrons nos collèges pour des causeries avec comme follow up des « clubs de santé ». Nous mettons en place des mouvements de formation de jeunes comme Youth Alive (des initiatives comme Baro pa aret Lavi) pour encourager les prisonniers.

Quelques flashes sur la situation actuelle

Augmentation de l’accès aux drogues notamment des consommateurs jeunes, avec l’avènement des drogues synthétiques pour 2 raisons : accessibilité (moins cher et fabrication domestique, les substances utilisées ne sont pas inscrites dans la loi).

Par rapport à ces drogues, la répression n’a guère de moyens parce que la recherche de nouvelles substances non mentionnées dans les lois, va plus vite que l’analyse faite par les autorités et l’inscription dans la loi. D’autant plus que les drogues synthétiques souvent fabriquées localement, parfois à un niveau domestique comportent des mélanges de substances toxiques très dangereuses. Pour les mêmes raisons, le traitement médical est difficile parce que le diagnostic est compliqué pour identifier les substances injectées ou ingurgitées.

Démotivation des travailleurs sociaux qui n’ont plus les moyens humains et financiers jadis offerts par Natresa pour continuer leurs programmes de prévention.

La méthadone est un moindre mal qui a fait baisser la criminalité et diminuer le risque de l’addiction. Recommandée par l’OMS après 50 ans d’expérience, la méthadone était jadis accessible dans plusieurs lieux, à Beau-Bassin, Port-Louis, Ste-Croix. Depuis peu, la méthadone a été remplacée par des produits moins fiables[i] et moins accessibles, mais c’est à Mahébourg que se trouve le seul lieu d’Induction Program ; de plus, il faut d’abord que les drogués passent par un diagnostic qui comprend un test de motivation à Ste-Croix ce qui rend difficile le traitement urgent. Quand un toxicomane fait une prise de conscience forte et crie un « tire moi là dans », il ne faut pas le faire attendre.

Même si dans le Mission Statement des prisons on mentionne et le « safe custody » et la « réhabilitation »,le budget sous l’item « safe custody » donc répression est disproportionné par rapport à la réhabilitation. Il n’y a qu’un seul officier affecté à la réhabilitation par prison, même s’il s’agit de prisons aussi importantes que Beau-Bassin ou Melrose. La population carcérale ne fait qu’augmenter. Ceci parce que déjà composée de 50% de drogués, elle connaît 80|%| de récidives liées aux délits de trafic et à la consommation de la drogues.

Même si la Natresa avait des problèmes de gestion et qu’il fallait réformer l’institution, le service qu’il rendait était important : il assurait une interaction entre gouvernement et ONGs. Sa fermeture décourage ceux qui sont engagés dans la prévention.

La prévention

Reconnaître que la toxicomanie, l’addiction à la drogue est une maladie. Les professionnels en parlent comme un « relapsed brain disease ». Or, une maladie ne se traite pas seulement à partir des symptômes, mais en remontant aux causes. Il faut donc commencer par se demander pourquoi les gens prennent de la drogue. Ils en consomment parce que ils sont fragiles humainement ou psychologiquement ils sont accablés par des problèmes de pauvreté matérielle ou des problèmes liés à leur relation familiale ou à leur travail ils ont perdu l’estime de soi chez les jeunes, quelquefois par curiosité malsaine ou simplement pour être « comme les autres’ , etc.

Les marchands de drogues savent exploiter ces faiblesses humaines et c’est comme cela que la consommation de la drogue se répand.

D’où la priorité des priorités dans la lutte contre la drogue, c’est la prévention. La prévention consiste non seulement à prévenir les jeunes et les moins jeunes contre toutes les séquelles désastreuses d’une consommation de drogue ; mais aussi et surtout il s’agit de redonner confiance aux jeunes : en mettant en valeur le potentiel des jeunes ; en les introduisant à une vie communautaire saine, faite d’amitié, de soutien mutuel et de responsabilité partagée ; en leur ouvrant des avenues de métiers et de travail qui correspondent à leur vrai potentiel.

Il faut croire que les hommes et les femmes ont en eux-mêmes un système d’immunité psychologique qui les protège de la drogue et qu’il faut renforcer. Il faut les aider à découvrir qu’ils ont en eux-mêmes la capacité de se protéger contre la toxicomanie. Pour cela, il faut aussi renforcer la capacité des familles pour qu’elles puissent jouer leur rôle : accueillir leurs enfants comme ils sont et pas comme on rêverait qu’ils soient et les accompagner sur leur chemin. Ne pas se servir des enfants pour redorer le blason de la famille mais les servir avec désintéressement.

La réhabilitation.

Après la prévention vient la réhabilitation. Là aussi, c’est un travail de longue haleine. Mais il vaut la peine parce que ce sont les toxicomanes qui ont été réhabilités qui deviennent les meilleurs agents pour le travail de prévention.

La réhabilitation des consommateurs devrait être le premier objectif des autorités de l’Etat qui arrêtent un consommateur. Si on peut assigner une personne coupable de fraude à un travail communautaire, pourquoi ne pas assigner un consommateur à un centre reconnu de réhabilitation. Investir dans de tels centres coûterait moins cher et donnerait de bien meilleur résultat que la prison, où le climat de répression fait que les consommateurs ont tendance à s’enfoncer davantage dans les sables mouvants de la drogue plutôt qu’à en sortir.

Nous proposons donc  d’introduire dans  loi, pour les consommateurs de drogue, la notion de sanction pédagogique qui leur évitetait l’incarcération dans la prison classique. A noter que dans la loi  déjà existe l’option de la peine de travaux communautaires.

L’usage du cannabis est illégal et le reste

Nous trouvons difficile de légaliser l’usage du cannabis à cause de ses effets néfastes sur la santé et du fait qu’il agit comme une ‘porte ouverte’ vers des drogues dures. La loi vise à protéger la santé publique, surtout celle des plus faibles. Il faut, par la loi, garder l’usage du cannabis dans la clandestinité. Une légalisation devient moralisation dans le sens que ce qui est légal devient moral : c’est bon, voire  recommandé de fumer le cannabis.

..mais la sanction devient pédagogique

Mais nous pouvons, tout en continuant la sanction légale de l’usage du cannabis, introduire une sanction appelée pédagogique pour les usagers pris en flagrant délits.

Une comparaison est éclairante : le vol doit rester sous une sanction légale pour protéger le droit de propriété. Cependant, la loi  fait la distinction entre le vol d’une somme d’argent par un jeune et un vol à main armée avec violence. Dans les deux cas il y a crime selon la loi, mais nous dirons que le degré de criminalité n’est pas le même. N’ayant pas le même degré de criminalité la sanction légale est différente. La sanction dans le premier cas peut être pédagogique, et n’est souvent même pas légale, mais domestique. Dans le cas du vol avec violence la sanction est punitive.

Appliquée à l’usage du cannabis qui reste illégal, on pourrait désincarcérer la sanction légale  et prescrire pour les usagers une peine dite pédagogique, en imposant une désintoxication/réhabilitation dans des centres spécialisés. Cette mesure éviterait  la proximité mortifère dans les prisons entre les usagers  (parfois occasionnel) et  les grands criminels que sont les trafiquants/usagers ou pas. Le pourcentage élévé des récidives dans les prisons montre que les prisons sont loin conduire à la guérison, bien au contraire.

Cette mesure permettrait de maintenir que l’usage du cannabis est un délit  sanctionné par la loi, tout en ne mettant pas tous les «  délits /crimes » sur le même plan. Il faut trouver  une sanction proportionnée à son acte de consommation de drogues pour lui montrer que c’est mal et pour l’éduquer à ne pas recommencer, mais on n’ira pas jusqu’à la prison. Comme dans le cas du vol chez un enfant, on fera comprendre au drogué que c’est un mal sanctionné par la loi. On lui impose une sanction/punition mais dans un but pédagogique. La punition ne le marque pas à vie. Quelqu’un qui a volé n’est pas voleur à vie comme le drogué occasionnel peut ne pas être drogué à vie !

Autrement dit, strictement parlant,  nous ne voulons pas préconiser la  légalisation de  l’usage du cannabis parce que ce qui est légal devient moral. On ne peut donc  pas  parler de décriminalisation dans la mesure où décriminaliser c’est enlever à la loi ses moyens de sanction. La légalisation suppose reconnaître une action comme un crime ‘sanctionnable’ par la loi.

Nous demandons aussi que cette sanction pédagogique ne soit pas inscrite sur le certificat de moralité de la personne.

Un certificat de moralité qui comporte la mention d’incarcération en prison constitue un blocage à vie pour la réinsertion dans la société notamment par le travail. Il faudrait donc que cette sanction pédagogique ne soit pas frappée du label d’emprisonnement et ne figure même pas sur le certificat de moralité.

Quant à la répression, il faut la réserver aux trafiquants et qu’elle soit mieux ciblée et plus sévères

Pour que la Police soit efficace elle a besoin de renseignements. Pour recevoir les renseignements, la Police doit protéger ceux qui collaborent en dénonçant. Or, ce qui arrive trop souvent, c’est que les trafiquants dénoncés trouvent toujours moyens d’être mystérieusement prévenus à l’avance et donc de disparaître de la circulation quand la Police arrive. On se demande toujours pourquoi.

Il faudrait aussi renforcer la traque de l’enrichissement illicite. Il y a une loi qui vient d’être votée sur l’enrichissement illicite. Il faut en féliciter les autorités. Cependant, dans bien des domaines,  le problème se pose dans l’application de la loi. Par exemple, pourquoi  le Dangerous Drug Tribunal ne siège-t-il pas depuis longtemps ?

LE DANGEROUS DRUG TRIBUNAL, le PHARMACY COUNCIL ACT .

Votre honneur, j’attire aussi votre attention sur  un véritable trafic des drogues utilisées en medecine qui se pratique dans certaines pharmacies avec la complicité de certains medecins. Des pharmacies avec ou sans  la complicité de certains médecins vendent avec ou sans prescriptions des substances à base de produits hallucinogènes utilisés en medecine. Des medecins donnent des prescriptions de complaisance. L’organisme de contrôle de la vente en pharmacie des médicaments, et des pratiques médicales par  les medecins est Le Dangerous Drug Tribunal [ii]ne siège plus ou n’a jamais siégé depuis les 15 dernières années au moins. On se demande pourquoi. Si ce tribunal n’avait plus sa raison d’être, le Medical Council  pourrait et devrait prendre le relais du contrôle des pratiques médicales des medecins. Mes renseignements sont qu’un Pharmacy Council Act a été voté en septembre 2015 et comprend la mise en place d’un Pharmacy Council qui serait responsable du contrôle des pratiques en pharmacie.

Partenariat Gouvernement et ONGs indispensable

L’Etat devrait renforcer son soutien humain, technique et financier aux ONGs qui ont fait leur preuve dans la prévention et la réhabilitation. Il faut reconnaître les compétences et les limites propres à chacun de ces deux partenaires qui se complètent. L’Etat fait les lois et doit veiller à leur application. Il peut décider des financements des deniers publiques.  Mais les ONGs sont capables de proximité dans l’approche humaine du problème. Ils sont sur le terrain le soir dans les quartiers.  Les fonctionnaires payés pour travailler de 9hrs à 16 heures sont nécessairement limités.  Bien sûr, il faut se méfier des ONGs lobbyistes et opportunistes. qui ont vu le jour avec pour motivation principale de se faire de l’argent. Les ONGs, notamment celles qui sont motivées par leur foi religieuse, sont irremplaçables pour mener ce combat. Parce que la motivation fondamentale qui génère les générosités exigées par ce combat si difficile de la réhabilitation de l’humain ne peut venir que de la foi en Dieu qui nous donne de croire en l’humain qui a les capacités de se relever. The most powerful weapon against drug addiction is love. And you cannot pay love !

Pour un plan d’ensemble de prévention contre la consommation de la drogue et un desk interministériel de combat et de prévention contre la drogue

Un plan d’ensemble soutenu par une volonté politique est essentiel. De plus, nous proposons une coordination des différentes autorités ministérielles concernées dans une approche intégrée. Des représentants formés et motivés des ministères de la Jeunesse et Sports, de la Sécurité Sociale, de l’Intégration Sociale, du Ministère de la Femme, ainsi  ministère du Travail pourrait constituer un desk national du combat anti-drogues de la République.

[i] Suboxone et Natresol qui n’ont pas encore fait leur preuve.

[ii] Voir le DANGEROUS DRUG ACT au paragraphe 9.

(MD-RF avec Apic)








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