2015-06-18 15:23:00

« Pertinent et prophétique », Laudato Si’ marque une « rupture »


(RV) Entretien – Dans cette encyclique le Pape François exhorte donc chacun de nous à repenser la façon dont nous construisons l’avenir de la planète et cela à travers un dialogue.

Reprenant les paroles de Jean-Paul II, il  appelle à une « conversion écologique », dénonçant le manque de réaction de la communauté internationale, « la soumission de la politique à la technologie et aux finances ». Mais c’est aussi un message d’espérance qu’il adresse à tous les habitants de la planète lorsqu’il affirme que « tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer, au-delà de tous les conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur impose ».

Dominique Bourg est philosophe, professeur à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne, vice-président de la Fondation Nicolas Hulot. Il nous livre sa lecture de cette encyclique du Pape François. Un document qu’il qualifie de très pertinent et prophétique

Que retenez-vous de cette encyclique ?
Manifestement, dans ce texte, on prend une distance très claire vis-à-vis de l’interprétation despotique qui consiste à ne voir dans la nature qu’une espèce de décor de la geste humaine par rapport auquel on n’a pas de devoir moral etc. Là, pas du tout : on est entre l’idée de l’interprétation régent et puis l’interprétation citoyenne, avec une relation à François d’Assise qui est très forte. Pour moi, c’est vraiment un texte qui marque une certaine forme de rupture par certains côtés, c’est-à-dire qu’on a fait un choix interprétatif, un choix très fort, et motivé pour des raisons contextuelles notamment, mais évidemment avec un appui scripturaire, biblique fort.

Dans cette encyclique, le Pape François évoque une crise socio-environnementale, il l’analyse sous différents prismes : spirituel, anthropologique, économique. C’est cette vision globale, cette interdépendance entre le politique, le social et l’humain, qui fait de ce texte un texte inédit ?
Proposer une écologie intégrale est l'un des points extrêmement forts du texte. On ne peut pas séparer la relation vis-à-vis d’autrui de la relation vis-à-vis des autres créatures, de la relation vis-à-vis de Dieu. Par exemple, on va partir de là, fustiger le grand credo occidental selon lequel, on n’a rien à changer mais on trouve des solutions à tous nos problèmes via les techniques. Là, au contraire, on nous montre comment un esprit technocratique amène à nous dessécher et à avoir une relation destructrice vis-à-vis d’autrui, vis-à-vis des plus pauvres (l’accent sur les pauvres est évidemment est sans cesse mis), vis-à-vis des créatures, etc. C’est finalement la même attitude qui amène aux mêmes destructions. Je trouve que c’est aussi un des points forts du texte. On parle même dans ce texte - le mot est donné - de « décroissance » sur certains points pour les pays les plus riches. C’est quand même très fort aussi.

Le Pape François évoque une éco-justice, une dette écologique du Nord envers le Sud, il emploie le terme « bien commun », il s’adresse à tous - il a tenu à le préciser avant même la publication de cette encyclique - y compris aux chefs d’entreprise des grandes multinationales, des dirigeants politiques, des magnats de la finance, etc. Les décideurs de ce monde peuvent-ils, vont-ils, être sensibles à ce discours percutant et dérangeant également pour certains ?
Il est évident que pour certains et pour la doxa, c’est très dérangeant. Ce n’est pas la peine de donner dans l’euphémisme : c’est un texte fort d’interpellations, un texte prophétique au nom des plus faibles. Ce qui est très important, c’est qu’il est question de « maison commune ». Ce n’est pas simplement un texte qui s’adresse aux autres croyants, c'est un texte à destination universelle parce que, ce dont il est question aujourd’hui, c’est effectivement la « maison commune ». Maintenant, ce texte sera-t-il entendu ? Je l’espère en tout cas.

S’adresser à la fois aux croyants et aux non-croyants, c’est aussi toute l’originalité de ce document ?
Oui, ce texte prend absolument compte de la situation dans laquelle nous sommes. C’est rare. D’ailleurs le principe est reconnu d’un discours qui est aussi contextuel. Je vous rappelle qu’entre 1970 et 2010 on a fait disparaître, pas en termes d’espèces, mais en terme de nombre, la moitié des mammifères, la moitié des oiseaux, des poissons, des reptiliens, des amphibiens. C’est quand même déjà pas mal. Effectivement on aura beaucoup de mal à se maintenir sous le seuil des deux degrés, ce qui voudrait dire grosso modo quatre à la fin du siècle suivant. 
Donc on tient compte de cette situation. À partir de là, c’est une interpellation forte concernant la maison commune. La maison commune est la maison de tous les hommes, et pas seulement la maison des croyants.

Très concrètement, comment ce texte peut-il être un véritable outil de travail pour les chercheurs, pour toutes les personnes qui travaillent depuis des années à cette question de la protection de l’environnement, protection à la fois de la Terre et de l’Homme. Qu’est-ce qu’il peut changer dans votre façon d’aborder ces questions essentielles ?
Un des changements importants, c’est l’idée de proposer une écologie intégrale. Ça veut dire qu’il faut réfléchir aux côtés systémiques de nos attitudes. Par exemple est-ce qu’on peut dire « on doit tenir compte de limites par rapport à la nature », mais ne pas mettre de limites dans nos comportements interindividuels ? C’est probablement absurde. C’est un texte qui est très « lourd » dans ses implications et normalement, on peut l’espérer, il peut entamer une dynamique d’interprétations intéressantes. Je trouve que c’est un joli texte, très fécond sur ce plan-là. C’est un texte qui donne à penser.

Le Saint-Père dénonce un marché prédateur, des sommets mondiaux sur l’environnement qui se sont multipliés ces dernières années sans résultat. Sous l’impulsion de cette encyclique, on peut espérer la mise en place d’instruments efficaces de gouvernance globale ?
C’est beaucoup dire ! En tout cas, le texte prend acte de l’échec des négociations climatiques. Je rappelle que la convention-cadre a été signée juste avant Rio, en 1992. Dans l’article de la convention, on disait que les pays s’engageaient pour éviter un changement de la composition chimique de l’atmosphère qui deviendrait dangereux pour le climat. On y est. Donc là, on prend simplement acte d’un échec et on met les décideurs et chaque citoyen devant la responsabilité respective. C’est le propre d’un texte prophétique.

Le Pape François, qui s’appuie sur le postulat de Saint François d’Assise, sur les enseignements de ses prédécesseurs, en particulier Jean-Paul II et Benoît XVI, et sur l’expertise de nombreux chercheurs, exhorte à un changement de cap,  un changement de système, de mode de production. C’est en fait une véritable révolution que nous propose le Saint-Père, la plus importante de ces dernières décennies ?
Je dirais que le texte est très clair et qu’enfin, on a un texte à la mesure des problèmes. Ce qui est demandé et exigé, c’est tout simplement un changement de civilisation. Or les Occidentaux ont toujours voulu répondre par les techniques aux enjeux environnementaux et ce texte leur dit que c’est faux, que ça ne marchera pas. Il convient de réfléchir à cette exigence de changement de civilisation de façon posée et approfondie. Et là, on a quelques petits éléments très profonds de cette réflexion.








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