(RV) Entretien -L’organisation Amnesty International a diffusé ce mercredi son rapport annuel sur les droits de l’Homme dans le monde en 2014, dressant un panorama très sombre de l’état du monde.
« 2014 s’est révélée catastrophique pour des millions de personnes en proie aux violences. La réponse de la communauté internationale aux conflits et aux violations commises par des Etats et des groupes armés est scandaleuse et inopérante. Face à l’intensification des actions barbares et de la répression subies par les populations, la communauté internationale s’est montrée absente ». C’est le constat formulé par Salil Shetty, secrétaire général d’Amnesty International.
Parmi les populations les plus vulnérables figurent les migrants. Ils ont dépassé le cap des 50 millions de personnes, soit l’équivalent de la population totale d’un pays comme l’Afrique du Sud ou l’Espagne. La guerre en Syrie, à elle seule, a provoqué l’exode de plus de 10 millions de personnes, soit un Syrien sur deux.
Cyprien Viet a interrogé Jean-François Dubost, responsable des « personnes déracinées » pour l’antenne française d’Amnesty. Face au développement exponentiel des migrations en Méditerranée, il appelle à une réaction solidaire des pays de l’Union européenne :
Quelles sont les principales conclusions de ce
rapport 2014 ?
L’année 2014 a été l’année la plus noire, en tout
cas pour les réfugiés : cinquante millions de personnes déracinées. Cela représente
à la fois les personnes qui sont déplacées à l’intérieur de leur pays et qui n’ont
pas eu la possibilité de s’échapper de leur pays. Mais bien évidemment aussi celles
qui ont pu franchir la frontière et essayer de trouver refuge dans des pays voisins
ou plus loin. On pense évidemment - et c’est aussi ce qui explique le nombre extrêmement
important de réfugiés en 2014 - à la crise en Syrie : quatre millions de réfugiés
projetés en dehors de Syrie, sept millions de personnes déplacées à l’intérieur de
la Syrie. Mais on pense aussi à des crises comme l’Ukraine, la République Centrafricaine,
le Soudan du Sud ou encore les événements qui se déroulent actuellement au Nigeria
et prochainement en Libye. Malheureusement, la situation est loin de s’arrêter à ces
cinquante millions si rien n’est fait pour protéger davantage les populations civiles.
Parmi les zones les plus tragiques, on
trouve évidemment la Syrie où le nombre de réfugiés a augmenté de façon exponentielle.
On voit que certains États comme le Liban sont profondément déstabilisés par l’afflux
de réfugiés. Quelles sont les solutions ? Est-ce qu’il faut établir une solidarité
régionale pour que d’autres États puissent décharger des petits États comme le Liban
de cet afflux massif de réfugiés ?
Oui, sur les quatre millions de réfugiés hors de Syrie,
95% d’entre eux sont dans les cinq pays voisins à la Syrie, dont le Liban qui a vu
sa population augmentée de façon drastique. 26% de la population libanaise est composée
de réfugiés. C’est comme si en France, il y avait 17 millions de personnes nouvelles.
Donc, on voit que le poids que cela fait peser sur les structures d’États qui sont
par ailleurs assez mal en point à certains égards. Et donc oui, la solution, c’est
bien la communauté internationale, le reste des États qui ne sont pas en première
ligne et qui sont tenus d’être solidaires des États d’accueil en première ligne en
cas de crise de réfugiés, que ce soit pour la Syrie ou dans d’autres régions du monde.
En fait, ce principe de solidarité est inscrit à la fois dans la charte des Nations-Unies,
mais également dans une Convention relative au statut des réfugiés de 1951. Cette
solidarité doit s’exprimer à la fois de façon financière pour aider les États à avoir
les capacités d’accueil, à maintenir leurs structures d’accueil des réfugiés mais
également, de façon très concrète, en réinstallant sur des territoires davantage sûrs
des réfugiés qui sont, soit pour l’instant dans des camps de réfugiés, soit dans des
zones urbaines et qui ne peuvent pas jouir de leurs droits de façon toute à fait convenable.
Le nombre de morts en Méditerranée a été
particulièrement tragique en 2014, près de 3500 morts et encore, l’évaluation est
approximative et peut-être en dessous de la réalité. On sait que l’opération Mare
Nostrum avait quand même permis de sauver plusieurs dizaines de milliers de vies.
Les gardes-côtes italiens ont continué à agir par la suite mais avec des moyens réduits.
Quelle est la solution ? Est-ce que c’est à toute l’Union européenne de se mobiliser
pour que la Méditerranée ne soit plus un cimetière ?
Oui, 2014 a été marquée par le fait que la Méditerranée
est la route pour les migrants et les réfugiés la plus dangereuse et mortelle au monde,
ce qui est assez significatif ! La réaction de l’Union européenne, mise à part celle
de l’Italie est tout à fait décevante puisqu’il n’y a eu absolument aucune réaction
si ce n’est mettre en place une opération nommée Triton qui est une opération de contrôle
et de surveillance et pas du tout de recherche et de sauvetage. Régulièrement, à chaque
naufrage, Amnesty International appelle les États membres à mettre en place une opération
européenne concertée avec les 28 États membres qui permettent de rechercher et sauver
les migrants qui fuient notamment la Libye. À ce jour, notre appel n’est pas entendu.
Et ce que nous prévoyons pour l’année 2015, comme cela a été malheureusement le cas
pour 2014, c’est la poursuite des naufrages et des décès en mer.
La solution doit donc forcément venir d’une
solidarité européenne et ce n’est pas à l’Italie toute seule de gérer cette crise
humanitaire ?
Parfaitement. Les pays du Sud qui gèrent les frontières
extérieures de l’Union européenne sont souvent seuls voire même encouragés parfois,
comme c’est le cas pour l’Espagne, la Grèce ou la Bulgarie, à avoir des attitudes
très restrictives et qui portent atteinte aux droits des réfugiés et des migrants.
Nous appelons évidemment l’Union européenne à être cohérente. C’est-à-dire que si
elle considère que les personnes qui fuient les persécutions doivent être protégées
- comme elle le dit pour les réfugiés syriens et érythréens qui composent la majeure
partie des personnes qui sont à bord des embarcations qui traversent la Méditerranée
- alors, cette solidarité doit s’exercer. Les fonds doivent être affectés vers ces
États frontières de l’Union européenne pour renforcer les capacités de protection
et surtout pour une opération devant couvrir la Méditerranée, on attend bien évidemment
que la totalité des États européens se mobilisent d’une façon ou d’une autre pour
ne pas laisser l’Italie seule face à ces arrivées-là.
L’un des phénomènes nouveaux dans d’autres
continents, c’est que des pays instables, eux-mêmes terres d’émigration, se sont retrouvés
par la force des évènements terres d’immigration. C’est notamment le cas du Niger.
Est-ce qu’une intervention internationale serait nécessaire pour sanctuariser certaines
zones et permettre aux familles de trouver un espace de sécurité et de vie digne ?
Ce qui est certain, c’est que la protection des populations
civiles doit toujours dicter l’action de la communauté internationale et des États,
que ce soit au niveau régional, international ou le rôle des organisations internationales.
Il est évident qu’on peut d’ores et déjà anticiper les effets de crises comme celle
que traverse le Nigéria, notamment en termes de report de population réfugiée sur
les pays voisins avec les risques de déstabilisation. Évidemment, on attend un signal
fort des États et de la communauté internationale pour prendre en compte, à la fois
les problèmes à leur base, mais aussi d’ores et déjà gérer les conséquences qui sont
déjà à l’œuvre et qui sont souvent constituées du déplacement des populations. On
regrette notamment que la réunion concernant le Nigéria et le groupe armé Boko Haram
à Paris n’ait pas vraiment débouché sur les solutions qu’elle espérait trouver. C’est
ce type de responsabilité qu’on appelle vis-à-vis des dirigeants mondiaux et entre
autres, européens.
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