2015-02-03 17:35:00

Béatification de Mgr Romero : « On regarde l'Amérique Latine avec plus d'attention »


(RV) EntretienC’est une décision qui était attendue depuis longtemps : 35 ans après son assassinat, et à bientôt 2 ans du centenaire de sa naissance, Mgr Oscar Romero sera prochainement béatifié. Le Pape François a en effet signé ce mardi le décret reconnaissant le martyre de l’ancien archevêque de San Salvador, assassiné en 1980, en pleine messe. Mgr Oscar Romero, figure emblématique d’une Eglise persécutée parce que défenseur des pauvres, dénonçait avec force les injustices sociales, les assassinats et les violences commises impunément par les escadrons de la mort, lesquelles mettaient le pays en coupe réglée. 

Cette décision du Pape François, fervent admirateur de Mgr Romero, met ainsi fin à des années de blocage ; un blocage essentiellement dû aux risques, craints par certains, de récupérations politiques de la figure de Mgr Romero et de son engagement. 

La réaction du père Luc Lalire, prêtre du diocèse de Dijon et responsable du CEFAL, le pôle Amérique latine de la conférence des évêques de France. Il est interrogé par Manuella Affejee 

 

Quelle est votre réaction après la publication du décret par le Pape François ?
Tout d’abord, c’est une heureuse surprise que vous m’apprenez. D’autre part, ce n'est pas complètement une surprise dans la mesure où un travail s’était déjà établi depuis quelques années de façon très active de la part de l’épiscopat salvadorien puisque Mgr. Romero était l’archevêque de San Salvador à des moments dramatiques de son histoire, en 1980. Aujourd’hui, ça veut dire que l’ensemble de l’épiscopat salvadorien est en faveur et « derrière » cette canonisation.

Le processus de béatification de Mgr Romero a été au « point mort » pendant des années. Quelles ont été les difficultés principales qu’à présenté ce dossier ?
C’est un assassinat à la fois politique et en même temps religieux - on pourrait dire « en haine de la foi » - puisque Mgr. Romero célébrait la messe alors qu’il avait demandé aux militaires la veille d’arrêter l’œuvre de mort. J'oserai dire que c'est un procès qui est à la fois politique, sans doute, mais en tout cas canonique aussi, dans la mesure où il s’agissait de le reconnaître réellement comme martyr. Là était la vraie difficulté, pour des raisons politiques. Ensuite, l’épiscopat salvadorien n’était pas très unanime, au départ, sur cette canonisation, ou en tout cas cette reconnaissance du martyr de Mgr Romero, et il a fallu du temps pour unifier cette unanimité dans l’épiscopat.

En 2007, le Pape Benoît XVI s’était rendu au Brésil. Il avait expliqué qu’il était personnellement pour la béatification de Mgr Romero mais il avait soulevé toutefois des risques d’instrumentalisation politique, des risques de récupération. Pensez-vous qu’il y a toujours un risque de récupération ou bien ce danger est-il dépassé ?
Ce qui est intéressant, c’est que Benoît XVI lui-même se soit prononcé personnellement, en sachant les difficultés qui existaient, de fait, pour des raisons politiques. Il faut savoir aussi que du temps a passé et je pense à un évènement très important - la raison justement de la venue de Benoît XVI au Brésil en 2007 : la V° conférence de la Conférence Épiscopale latino-américaine qui a donné naissance aux documents d’Aparecida. Ce document d’Aparecida manifeste aujourd’hui une certaine « pacification » des conflits fondamentaux de l’Église latino-américaine. Il faut rappeler aussi que le document d’Aparecida a eu comme principal rédacteur, comme président de la commission de rédaction, le cardinal Bergoglio, actuel Pape. Voilà les évènements qui ont changé depuis bientôt dix ans.

Mgr Romero est une figure emblématique d’une Église persécutée parce qu’elle est aux côtés des pauvres. Est-ce cela le message de sa béatification prochaine ? Est-ce sur ce point que le Pape voudrait insister en autorisant la béatification de Mgr Romero ?
D’une part, cela braque les regards sur l’Amérique latine et cette période très difficile des années 80-90 qui a marqué non seulement le Salvador, mais on peut aussi rappeler ce qui s’est passé au Guatemala, en Argentine même, où un évêque a été assassiné et où on a mis du temps à le reconnaître, Mgr. Angelelli. Je pense que ce sont tous ces éléments-là qui font qu’effectivement, il y a eu une « prise de contact » de relations plus apaisées avec l’histoire récente de l’Amérique Latine et de son Église.

C'est le Pape François, premier Pape latino-américain de l’Histoire, qui va probablement béatifier Mgr Romero. Qu’évoque pour vous cet évènement prochain ?
Si je me permets une comparaison grammaticale, c’est une « concordance des temps ». Comme une sorte de manifestation aux yeux de tous et de toute l’Église, de ce qu’est l’Église latino-américaine : à savoir une Église très importante dans son histoire, qui a connu de vraies difficultés, avec des martyrs - récents - et beaucoup d’anonymes. D’autre part, cette Église est aussi donnée pour toute l’Église universelle comme un témoignage de foi. J’oserai dire que cela accentue encore plus  sa responsabilité aujourd'hui puisqu’on la regarde avec davantage d’attention. C'est se demander quel témoignage elle peut nous offrir aujourd’hui, avec les défis de ce monde, à savoir la violence, la question de la drogue, la pauvreté, qui sont des défis énormes que l’Amérique Latine connaît et que notre monde connaît en général.








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