2014-12-11 19:40:00

Le témoignage d'un dominicain parmi les réfugiés irakiens


(RV) - Le week-end dernier, la visite du cardinal Barbarin et d'une délégation du diocèse de Lyon au Kurdistan irakien a été l'occasion d'adresser un signal d'amitié et de soutien aux réfugiés et à toutes les personnes qui leur viennent en aide depuis l’offensive de l’Etat islamique dans la plaine de Ninive il y a 6 mois. Eux-mêmes acculés à la fuite il y a sept ans en raison des attentats islamistes, les dominicains de Mossoul ont dû abandonner l’été dernier leur première ville d'exil, Karakosh, et partir vers le Kurdistan parmi des milliers de chrétiens en fuite. Actuellement ils déploient leurs ressources et leurs réseaux pour venir en aide aux réfugiés chrétiens mais aussi à de nombreux Yézidis.

Le frère Sarmad Kallo, 34 ans, lui-même originaire de Mossoul, a témoigné au micro de Cyprien Viet de son expérience de "réfugié au service des réfugiés".

En fait, la question n’est pas que je suis en mission, je suis réfugié comme eux parce qu’on a laissé notre couvent à Karakosh. Nous sommes venus ici et nous nous y sommes installés. Donc, on essaye d’aider les réfugiés qui se trouvent sur place, de les aider moralement surtout et puis après, d’essayer de trouver les associations qui puissent les aider, leur donner de la nourriture ou autre chose.

Vous êtes dominicain exilé à Karakosh et réexilé à Erbil, c’est cela ?

Tout à fait. Donc, on a quitté notre couvent de Mossoul et en 2007, j’étais encore étudiant à Lille. À ce moment-là, je n’étais pas là. Par contre, depuis 2007, nous étions à Karakosh jusqu’il y a quelques mois quand on a quitté Karakosh pour Ankawa.

Comment cela s’est-il passé concrètement ? Vous êtes partis sous la menace des armes ou c’est des voisins qui vous ont dit de partir, qui vous ont avertis ? Je crois que c’était le 6 août.

Je n’étais pas là pendant le départ. J’étais en France. Par contre, j’ai eu des échos de mes frères parce que j’étais toujours en contact avec eux. Ils sont partis parce que tous les habitants de Karakosh ont quitté Karakosh en disant que Daesh était rentré. Ce qui s’est passé, c’est que l’armée kurde qui protégeait la frontière de Karakosh a laissé tomber la ville et s’en est allée. Du coup, les villageois de Karakosh se sont retrouvés sans personne pour les défendre. Ils sont partis tout de suite. Nos frères sont les dernières personnes à avoir quitté Karakosh. Ils sont partis vers 4h du matin et Daesh est rentré vers 5h du matin de ce même jour. Il y a des gens qui sont restés sur place. Ils étaient prisonniers à Karakosh. On leur a demandé soit de se convertir à l’Islam soit de payer une rançon. Ils ont réussi à fuir Karakosh quelques semaines plus tard.

Tout le monde a pu partir ou il y a eu des morts ?

Il y a eu des morts. En fait, le premier jour, une bombe est tombée sur Karakosh. Ce jour-là, une femme avec deux enfants, deux garçons sont morts. Tout le monde a tout de suite dit qu’il fallait quitter Karakosh et ne pas rester ! Ils sont partis ce jour-là. Actuellement, je ne peux pas dire s’il y a eu des morts à Karakosh mais je peux dire que quelques-uns sont restés sur place et nous n’avons plus de nouvelles d’eux.

Je voulais aussi vous poser la question de l’épreuve spirituelle que cela représente. Est-ce qu’il y a des gens qui se sont sentis abandonnés par Dieu ou est-ce qu’au contraire, l’épreuve, le fait d’être dépouillé de tout les a amenés à rechercher le Seigneur avec encore plus d’ardeur qu’avant ? Comment ont-ils réagi spirituellement ?

Écoutez, il y a vraiment des gens qui disent « Si Dieu est là, pourquoi sommes-nous dans cette situation ? » mais en même temps, on sait très bien qu’ils ont la foi en eux. C’est une relation amicale entre l’homme et Dieu. En voyant les islamistes, les terroristes qui entrent dans nos pays, dans nos villes et qui volent tout, qui nous attaquent, j’ai le droit de lui  dire : « Pourquoi n’es-tu pas là ? Pourquoi tu ne bouges pas ? Pourquoi tu ne fais rien du tout ? ». Par contre, aujourd’hui, ils voient quand même une grâce de Dieu qui est là parce que, s’ils survivent, c’est grâce à Dieu et c’est grâce à Dieu si on est là. C’est grâce à Dieu qu’il y a des aides humanitaires qui viennent nous aider. Évidemment, quand on est dans une telle situation, je ne dis pas qu’on a un choc de la foi mais plutôt qu’on est un peu en colère contre Dieu parce qu’on a l’impression qu’il ne réagit pas contre les islamistes. Tout le monde est là. Vous êtes tous ici pour nous dire que vous êtes avec nous, qu’il n’y a pas que l’Eglise d’Irak qui souffre et que l’Eglise de France, l’Eglise d’Europe, l’Eglise universelle souffre avec nous mais en même temps, on dit à Dieu : « Pourquoi ne fais-tu rien contre ces terroristes ? ». C’est ce que disent les gens ici.

« Mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? »

Tout à fait. Il continue à le dire encore parce qu’ils espèrent trouver une solution. La première, c’est retourner chez soi. La deuxième, si on n’arrive pas à réaliser la première, c’est quitter le pays.

Les gens nous demandent des visas pour la France mais en même temps, l’attachement à la terre, au village est viscéral. Les gens veulent retourner à Karaskosh, à Mossoul, à Alqosh. Pour un européen, l’attachement à la terre est surprenant de la part des Irakiens.

En fait, c’est leur vie. Leur vie est ici. Quitter le pays, ce n’est pas facile. Ca veut dire qu’on va recommencer notre vie à zéro. On va dans un pays qu’on ne connait pas. Il faut apprendre la culture, la langue et on reste toujours étranger dans ce pays. Dans notre pays, on vivait comme des rois. Tout d’un coup, la situation prend cette tournure alors qu’on ne voulait absolument pas partir mais absolument retourner chez soi et il y a une question qui reste : « Si on retourne chez nous, est-ce qu’on va trouver nos maisons ? Est-ce qu’on va trouver nos biens ? S’ils sont détruits, qui va nous rembourser pour recommencer ou pour reconstruire ce que Daesh a déjà détruit ?  ».

Vous croyez encore que la paix est possible en Irak, que la société peut se réconcilier, que l’État peut se restructurer ? Tout cela est-il encore possible ? 

Lorsque je crois en Dieu, oui je crois toujours que la paix va apparaître dans nos pays mais ça prend du temps. Je n’ai pas l’impression que ce sera demain. 








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