2014-11-27 17:47:00

Le témoignage du Père Balhan, curé de la paroisse d'Ankara


(RV) - Témoignage. Première étape du voyage du Pape François en Turquie, qui débute ce vendredi, le Pape visitera, conformément au protocole, le mausolée d’Ataturk avant de rencontrer les autorités politiques au palais présidentiel puis de se rendre au Diyanet, le Département pour les affaires religieuses. Son premier discours est très attendu : les autorités turques l’on fait savoir : elles espèrent que le Pape François renouvellera ses appels en faveur de la paix et contre l’extrémisme.

Première étape donc Ankara où vit une communauté de trois jésuites. Le père Jean-Marc Balhan est belge ; il vit en Turquie depuis 2001. La présence catholique est faible et très diversifiée. Le père Balhan nous parle de cette petite communauté dont il s’occupe en tant que curé de la paroisse d’Ankara.

 

Ankara est bien sur la capitale administrative de la Turquie mais c’est une région de la Turquie dans laquelle il n’y a pas beaucoup de chrétiens. À Ankara, il y a deux communautés chrétiennes : la communauté locale, la communauté turcophone et la communauté internationale. La communauté turcophone est une communauté très variée. Nous accueillons des chrétiens appartenant à des minorités orientales, principalement des arméniens catholiques. Nous avons également quelques syriaques et quelques chaldéens. Nous avons bien sûr des chrétiens latins : soit des chrétiens convertis soit des chrétiens étrangers turcophones qui vivent installés dans le pays. Donc, c’est en fait une communauté très composite. Étant donné qu’à Ankara, nous sommes la seule Église traditionnelle, nous accueillons les catholiques mais nous accueillons également les chrétiens orientaux qui n’ont pas de pasteur, ici sur place, à Ankara. Donc, ça fait une communauté très œcuménique. Nous vivons l’œcuménisme un peu au jour le jour.

L’autre communauté chrétienne, la communauté internationale, c’est également une communauté très variée puisque nous accueillons des américains, des philippins, des européens de diverses nationalités, des étudiants africains. Depuis 2006-2007, la Turquie a augmenté ses liens avec les pays africains et donc, il y a pas mal d’étudiants africains boursiers qui viennent maintenant en Turquie. C’est une communauté très stimulante.

Est-il vrai que les chrétiens sont considérés comme des étrangers en Turquie ?

En Turquie, il n’y a pas d’abord et avant tout des chrétiens. Il y a des gens qui appartiennent à différentes nationalités. Donc, quand vous êtes chrétien en Turquie, ça veut dire quoi ? Ca veut dire que vous êtes arménien, grec, syriaque. Et donc, avant d’être vus comme chrétiens, les chrétiens traditionnels de Turquie sont d’abord vus comme des gens appartenant à une nationalité différente. Il y a tout ce passif historique qui est là, bien présent, avant le fait que ces personnes-là sont chrétiennes. En Turquie, les chrétiens sont d’abord vus comme des non-turcs. La majorité des chrétiens sont citoyens turcs mais ne sont pas d’abord vus comme des turcs de plein droit puisque le turc de plein droit est musulman sunnite. l’Église latine est bien sûr faite de deux communautés : l’Église levantine, les descendants des italiens, grecs, etc qui s’étaient installés durant l’empire ottoman en Turquie. Et c’est une communauté qui se turquise de plus en plus. Les gens qui auparavant priaient en italien, en français se mettent de plus en plus à prier en turc et donc, l’identité levantine commence tout doucement à s’en aller. L’autre partie de l’Église latine, ce sont les expatriés.

Quels sont les principaux problèmes auxquels les chrétiens sont confrontés ? Par exemple, on sait que l’Église catholique n’a pas de reconnaissance juridique.

Il est important de dire également que ces dernières années, ce nationalisme ethnique commence tout doucement à disparaître. Ca va mieux de ce côté-là. Il y a des évolutions. Le gouvernement actuel est un gouvernement qui ne se veut pas « turquiste » mais qui insiste beaucoup moins sur les identités ethniques et rêve un petit peu d’un passé pluriel, d’un passé dans lequel les minorités avaient leurs droits, etc. Il y a une loi sur les fondations qui est passée il y a quelques années favorisant le retour de propriété ou de fondations des minorités reconnues telles que les arméniens, les grecs ou les juifs. De ce côté-là, il y a des progrès. D’un autre côté, c’est vrai que le problème de la reconnaissance juridique des Églises et particulièrement ici de l’Église catholique fait que l’Église ne peut pas posséder des biens en  tant que tel. Ca crée des problèmes qui ne sont pas toujours facile à vivre.

Est-ce que les chrétiens ont peur face à l’islamisation de la société turque ? Est-ce que le climat s’est détérioré depuis l’avancée de Daesh en Syrie et en Irak ?

Non, à ce niveau-là, ça n’a pas d’influence sur la vie ici en Turquie. Il est clair que la société turque est devenue un peu plus conservatrice mais ça ne change pas beaucoup la vie de tous les jours du chrétien. Ça change bien sûr la vie en société pour tout le monde, que l’on soit musulman, chrétien ou que l’on soit laïc. On voit d’autres symboles, etc. Mais ça ne nuit pas spécialement à la vie des chrétiens de manière particulière.

Donc, il n’y a pas d’hostilité antichrétienne affichée ?

Non, pas plus qu’ailleurs. Je dirais qu’un des problèmes de la Turquie- si je peux parler comme cela- c’est le fait que les chrétiens sont une toute petite minorité. Les chrétiens représentent 0,15% de la population. Il y a 100.000 chrétiens pour toute la Turquie dont la moitié est des arméniens. Là où les chrétiens vivent avec une présence significative, c’est-à-dire Istanbul, Izmir ou le sud de la Turquie avec Antioche, les gens sont habitués à voir des chrétiens. Ça ne pose pas trop de problèmes. Les gens sont habitués à un certain vivre ensemble. Mais à partir du moment où les chrétiens sont isolés dans des zones où il n’y a pas de chrétiens, les préjugés sont vivaces.

Dans le contexte actuel, quels sont, à votre avis, les principaux enjeux de la visite du Pape François en Turquie ? Et sont-ils très différents de ceux du voyage de Benoît XVI en 2006 ?

Oui et non. En gros, on peut dire que les enjeux sont semblables. La seule différence majeure étant que Benoît XVI est arrivé après les déclarations de Ratisbonne et donc, sa visite au directorat des affaires religieuses se faisait un petit peu dans ce contexte-là, pour essayer de rétablir un petit peu la paix. Sinon, en gros, les enjeux sont les mêmes. Le Pape vient en Turquie, non pas d’abord et avant tout pour la communauté catholique locale mais il vient dans le cadre des relations œcuméniques en vue de favoriser l’union entre l’Église catholique et l’Église orthodoxe. C’est le premier enjeu.

Le deuxième enjeu est celui du dialogue interreligieux. Il y a des problèmes chez les uns et chez les autres. Depuis septembre dernier, le président du directorat des affaires religieuses, Mehmet Görmez, s’est un petit peu exprimé disant qu’il jugeait un peu insuffisant l’implication du Pape dans le dialogue interreligieux plutôt que dans le fait que les minorités musulmanes en Europe étaient parfois victimes d’accidents, de mosquées qui étaient attaquées, etc. D’un autre côté, le Pape François est bien sûr très sensible à ce qui arrive aux chrétiens dans cette région du monde, à commencer par l’Irak. Donc, on peut espérer qu’entre le Pape François et Mehmet Görmez, qui est un fonctionnaire de l’État turc, il y ait un dialogue qui s’établisse en vue d’une meilleure compréhension des deux religions et surtout, du respect des droits des uns et des autres.  








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