2014-11-13 15:26:00

Comment appréhender les violences à Jérusalem ?


Le Secrétaire d’Etat américain John Kerry devait rencontrer aujourd’hui le président palestinien Mahmoud Abbas à Amman en Jordanie, alors que l’atmosphère s’est envenimée ces dernières semaines entre Israéliens et Palestiniens.

De nouveaux affrontements ont opposé ce jeudi des jeunes Palestiniens et les forces anti-émeutes israéliennes dans le quartier d’Essaouiya, à Jérusalem-Est.

Alimentant une psychose sécuritaire en Israël, des attaques « artisanales » menées au couteau ou à la voiture-bélier par des Palestiniens contre des Israéliens ont fait plusieurs morts ces derniers jours. Par ailleurs des mosquées et des églises sont régulièrement la cible d’actes de vandalisme menés par des extrémistes juifs.

Cyprien Viet a interrogé le journaliste franco-israélien Marius Schattner, ancien responsable de l’AFP à Jérusalem. Pour lui il est excessif de parler d’une « 3e Intifada » comme le font certains journalistes, mais le pourrissement de la situation engendre un réel désespoir dans la population.


On a maintenant une situation de fortes tensions, d’incidents qui sont quand même isolés mais qui reviennent périodiquement. Est-ce qu’on appelle cela Intifada ou pas ? Ca n’a pas la force de la seconde Intifada où vous aviez des attentats extrêmement meurtriers et un nombre de morts beaucoup plus important. Mais il est évident qu’il y a un pourrissement de la situation. Ça ne prendra pas forcément de forme extrêmement spectaculaire mais le pourrissement est très réel.

Un des paramètres qui semble nouveau dans les évènements actuels, ce sont les attaques contre les lieux de culte, notamment des mosquées. Est-ce que c’est nouveau ou cela a simplement plus d’échos médiatiques qu’avant ? Qui sont les auteurs de ces attaques ?

Je rappelle quand même que la seconde Intifada avait été appelé l’Intifada el-Aqsa. La motivation religieuse était déjà très forte dans la seconde Intifada, contrairement à la première qui était un grand mouvement populaire. On a tendance à oublier cela. En ce qui concerne les attaques contre les mosquées, c’est quelque chose qui n’est pas nouveau. Depuis trois, quatre ou même cinq ans, on a des groupes extrémistes, principalement parmi les colons mais aussi parmi des ultranationalistes religieux en Israël visant des mosquées et même des profanations d’églises et de cimetières. Le phénomène est extrêmement inquiétant, surtout que l’État n’a pas pris toutes les mesures qu’il faut. Ils ont pris certaines mesures et ils ont ralenti à un certain moment mais cela a repris depuis quelques semaines.

Au printemps, au moment de la visite du Pape François, on a beaucoup entendu parler d’un groupe qui s’appelle « Le prix à payer ». Quel est ce groupe ? Est-ce qu’il a vraiment une influence ? Qui sont ces membres ?

Ce n’est pas un groupe, c’est un slogan. C’est un slogan que les gens écrivent sur les murs chaque fois qu’ils veulent se venger soit d’une action commise par les Palestiniens, soit même d’une action visant la colonisation venant du gouvernement israélien qui pourtant les soutient.

Les courants ultranationalistes, est-ce qu’ils ont aussi des relais au sein de la droite israélienne ? Quelle est la position de Netanyahu par rapport à eux ?

Oui, c’est ça toute la question. Ce n’est pas simplement des herbes folles qui pousseraient on ne sait où. Elles s’appuient sur un certain terreau. Et elles ont des relais très forts au sein des partis au pouvoir et au sein du gouvernement de deux façons. L’un, c’est un parti qui est ouvertement d’extrême droite et en même temps religieux. Ce sont les  partis qu’on appelle la maison juive ou le parti de Naftali Bennett qui est une composante très forte du gouvernement. Et ce qui est encore plus grave, c’est qu’au sein du Likoud, au sein du parti de Netanyahu, il y a une très large partie qui estime qu’il n’est pas assez ferme, pas assez fort, par exemple, qu’il n’a pas exploité toutes les possibilités d’Israël pendant la guerre à Gaza. Donc, il y a des relais et c’est ça qui est inquiétant. C’est pour cela qu’on peut parler d’une certaine montée en puissance d’un extrémisme national religieux à cause de ces relais.

Je voulais aussi vous poser une question géopolitique. On entend beaucoup parler en Europe actuellement de la reconnaissance de l’État de Palestine. Est-ce que vous pensez que ce type de mesure pourrait avoir un effet de rupture dans les relations entre Israël et certains pays européens ?

Non, pas une rupture. Personne ne peut se permettre une chose pareille. L’Europe est le principal partenaire économique d’Israël. Il n’y a pas eu de rupture entre Israël et la Suède parce que la Suède a reconnu l’État de la Palestine. Ca va créer une réaction d’indignés, des protestations mais certainement pas de rupture. Et à mon avis, c’est un processus extrêmement positif parce que justement, ça permet de transformer et de s’éloigner du conflit religieux  ou du conflit absolu vers un débat politique.

L’actualité politique aujourd’hui, c’est aussi la rencontre entre John Kerry et Mahmoud Abbas. La situation palestienne interne semble se tendre entre le Hamas et le Fatah. Quel est le pouvoir réel de Mahmoud Abbas sur la population palestienne ? Est-ce que c’est encore un dirigeant respecté et suivi par une proportion importante ?

C’est difficile de savoir exactement mais sa cote de popularité s’est effondrée ces derniers mois. Il y avait une espèce d’apparence de processus de paix qui ne couvrait rien du tout. C’était une situation extrêmement néfaste pour l’autorité palestienne. Je crois que maintenant, elle a pris un petit peu plus de poids pour deux raisons. D’abord, parce qu’il n’y a plus ces négociations bidons, on peut utiliser ce terme et d’autre part, elle commence à avoir quelques acquis internationaux. Mais en règle générale, Mahmoud Abbas ne dispose pas d’un grand crédit mais le Hamas non plus. Il faut comprendre. Ce n’est pas qu’il y a un autre mouvement qui présente une alternative. Il y a un mélange dans la population palestiennne, une grande amertume, un grand désespoir. C’est le facteur dominant.

Pour conclure, vous parlez du désespoir ambiant. Quel est l’état d’esprit de la jeunesse, à la fois côté israélien et coté palestinien par rapport à leurs parents, à leurs grands-parents ? Comment voient-ils l’avenir ?

Ils ne le voient pas. Du côté palestinien, ils ne le voient pas très bien. Tout a été essayé, il y a eu l’état armé, le terrorisme, la politique, la diplomatie. Je pense plutôt que ces actions de violence, c’est plutôt le résultat d’un désespoir que d’une montée du radicalisme religieux dans les deux camps, bien que cette montée existe. Et du côté israélien, c’est un peu différent parce que les rapports de force se jouent en faveur d’Israël. Mais il y a aussi un sentiment d’impasse et un appui très fort qui est donné, particulièrement au sein de la jeunesse, à l’extrême-droite nationaliste religieuse.  








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