2014-10-23 13:15:00

Le livre noir des chrétiens persécutés


(RV) Entretien - Plus de 800 pages, 70 témoignages, des reportages et des analyses d’experts de 17 nationalités, chrétiens ou non : l’ouvrage est imposant et ambitieux et s’intitule « Le livre noir de la condition des chrétiens dans le monde ». Paru ce jeudi en France aux éditions XO, il sera bientôt traduit en italien. Il est dirigé par trois personnalités aux profil différents : Mgr Jean-Michel Di Falco, le frère dominicain Timothy Radcliffe et l’historien Andrea Riccardi, fondateur de la communauté Sant’Egidio.

150 à 200 millions de chrétiens sont discriminés ou persécutés à travers la planète. L’actualité nous le rappelle hélas trop souvent. Derrière le constat sombre, l’ouvrage souhaite mettre en lumière des témoignages et des éclairages qui vont au-delà de la simple question de la liberté religieuse, mais rappelle que cette hostilité voire cette haine peut compromettre toute une civilisation.

Samuel Lieven, journaliste au quotidien La Croix est le coordinateur de ce livre. Il explique à Olivier Bonnel la genèse de cet ouvrage.

La genèse, c’est qu’avec l’éditeur, on a mis bout à bout cette actualité malheureusement charriée depuis quelques années au sujet des chrétiens. Par exemple, l’attentat de la cathédrale de Bagdad en 2010, celui d’Alexandrie en 2011, la situation de la Syrie et de l’Irak de ces derniers mois et ces dernières années mais aussi l’enlèvement de religieux en Afrique et l’actualité des chrétiens du Pakistan. Il y avait beaucoup d’histoires à raconter, de témoignages à  recueillir mais on s’est dit qu’on est face à un phénomène global qui dépasse notre entendement. On ne peut pas se limiter uniquement à l’empathie, au témoignage. Il faut quelque chose de plus ambitieux, de plus vaste. Et l’éditeur était à l’origine du livre noir du communisme qui, il y a quinze ans, avait fait un peu le bilan d’un siècle d’idéologie mortifère au 21°siècle. On s’est dit que c’est un livre noir de la condition des chrétiens qu’il nous faut. Donc, « condition des chrétiens » et pas persécution parce que les 150 à 200.000.000 chrétiens qui sont aujourd’hui inquiétés pour le seul fait d’être chrétiens là où ils vivent ne sont pas persécutés au sens rigoureux du terme. C’est ce qu’on a d’ailleurs fait analyser par une historienne. Cela va des discriminations au quotidien, comme les coptes d’Égypte qui ne peuvent pas avoir tel ou tel travail, ou qui ne peuvent pas envisager une certaine carrière, jusqu’aux pires violences comme connaissent les Irakiens aujourd’hui mais aussi les chrétiens pakistanais qui ont subi les plus nombreux attentats antichrétiens de l’histoire de leur pays, à Peshawar, en septembre 2013. C’est un tour du monde où l'on a voulu à la fois recueillir des témoignages, des reportages mais aussi à chaque fois, pour chaque pays, donner des clefs de lecture par de grands experts indépendants qui n’ont pas de chapelle à défendre, qui ne sont pas des militants et qui analysent, souvent avec des détours par l’Histoire, la géopolitique et qui donnent au lecteur des clefs pour comprendre au-delà de l’émotion, au-delà de l’empathie.

C’est un ouvrage à plusieurs voix avec de nombreuses contributions du monde entier. C’est aussi un ouvrage dirigé par trois personnalités, Mgr Di Falco, l’évêque de Gap, Timothy Radcliffe, le dominicain et Andrea Riccardi, le fondateur de la communauté de Sant’ Egidio. Ce sont des voix très diverses. Comment êtes-vous concrètement arrivé à coordonner toutes ces voix ? Comment on articule un ouvrage avec des voix aussi disparates ?

On a d’abord voulu se dire qu’on est face à une problématique qui est volontiers récupérée souvent par des courants politiques qui aiment jeter un peu d’huile sur le feu des identités. On s’est dit que ce qu’on veut faire. Nous, ce qu’on veut faire, c’est montrer aujourd’hui qu’il y a là une réalité qu’il faut pouvoir regarder tranquillement en face. Pour cela, on va faire appel à des gens dont le fond de commerce n’est précisément pas le combat identitaire. On est donc allé chercher des gens qui sont à la fois des grandes personnalités chrétiennes engagées dans le monde, d’une manière ou d’une autre, qui portent sur le monde un regard fondamentalement généreux, qui n’ont pas de compte à régler avec telle ou telle partie de la population. C’est pour cela qu’on est allé chercher en tout premier lieu Andrea Riccardi parce qu’en tant qu’historien, il était celui qui avait travaillé sur ces questions au 20°siècle à la demande de Jean-Paul II. On est aussi allé chercher Timothy Radcliffe en tant qu’ancien supérieur mondial des dominicains, pour sa connaissance planétaire des communautés qu’il continue encore aujourd’hui de visiter en sillonnant la planète et en donnant également une lecture en profondeur des évènements, y compris à l’adresse d’un public qui n’est pas nécessairement chrétien parce qu’on tient à s’adresser à tout le monde. Et Jean-Michel Di Falco parce qu’en tant qu’évêque, il porte aussi une responsabilité d’Église. Au fond, qu’est-ce que les religieux peuvent faire aujourd’hui pour essayer de sortir un peu de cette ornière ? Il ne s’agit pas non plus d’en rester à un constat entièrement horizontal et déprimant. Le livre explore des voies pour tenter sans faire de plans sur la comète d’améliorer la condition de ces chrétiens à travers le monde parce qu’on ne se mobilise pas que pour des chrétiens. Là où les chrétiens sont inquiétés, ils ne seront pas les seuls et dans plusieurs situations, ils ne sont même pas les plus inquiétés. On pense par exemple aux musulmans victimes du conflit entre chiites et sunnites un peu partout dans le monde. Ils sont néanmoins les indicateurs du sort qui est fait à des populations entières et donc on s’est dit que là où la liberté de conscience et de religion n’est pas respectée, il faut pouvoir améliorer la situation.

On parle souvent de la liberté religieuse mais une des idées fortes de ce livre, c’est de dire que ces persécutions posent une question qui va bien au-delà de la question religieuse. C’est même une question qui concerne la civilisation, la coexistence des différentes communautés.

Tout à fait. C’est aussi pour cela qu’on a justement fait appel à des personnalités qui ne sont pas que chrétiennes. Je pense notamment au Grand Rabbin de France, Haim Korsia, à l’Imam Tareq Oubrou, au philosophe athée André Comte-Sponville. Au fond, ce livre, contrairement aux reproches qu’on pourrait s’imaginer faire en entendant le titre, ce n’est pas du tout une apologie de ce qu’on a appelé le choc des civilisations. C’est au contraire montrer que cette notion qui a aujourd’hui vingt ans est déjà éculée parce que le vrai seul conflit qui existe aujourd’hui, il a lieu non pas entre chrétiens et musulmans, entre chrétiens et hindouistes ou autres mais il a lieu entre ceux qui défendent une civilisation mondiale fondée sur le respect des droits de l’homme, auxquels le christianisme a participé de manière décisive tout au long de son histoire, et les autres. Et ce conflit-là, il a lieu aussi bien en Occident qu’en Orient et c’est justement à travers tous les cas rapportés dans ce livre et les grandes contributions transversales qu’on parvient à le montrer.

 








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