2014-10-09 15:58:00

Un étudiant français témoigne après un voyage au Kurdistan


(RV) Témoignage - Les frappes occidentales et arabes contre les positions jihadistes en Irak et Syrie se poursuivent, focalisant sur elles l’attention mondiale et médiatique, au point de passer sous silence le sort de ces dizaines de milliers d’Irakiens, chrétiens ou Yazidis, chassés de leurs villes par l’Etat islamique, et réfugiés au Kurdistan.

Les conditions de vie sont toujours difficiles pour ces exilés, même si sur place, les autorités locales, les organisations internationales et les institutions caritatives de l’Eglise s’arrangent tant bien que mal pour venir en aide à ces populations.

Ni humanitaire, ni journaliste, Clément de la Vaissière, est un jeune étudiant français qui s’est rendu au Kurdistan, notamment à Souleymanié et à Erbil. Pendant deux semaines, il a vécu avec ces réfugiés, partageant leur quotidien, notamment dans un monastère qui les accueille. Il nous fait partager son expérience. Un sujet signé Manuella Affejee

En général, les familles dormaient ensemble dans une pièce, parfois avec la grand-mère, une tante ou un oncle. C’est quand même cinq ou six personnes dans une pièce de dix à quinze mètres carrés en moyenne. C’est assez difficile. Mais quelque chose sur lequel je veux insister, c’est que la grande majorité des familles ont pu rester ensemble, c’est-à-dire le père, la mère et les enfants. Je pense que c’est quand même quelque chose de très précieux. Ce sont des gens qui ont relativement une chance par rapport aux réfugiés yazidis, par exemple. Il y a 1500 jeunes filles dont on n’a plus de nouvelles.

Les gens que vous avez rencontrés vous parlaient-ils volontiers de leur expérience avec l’État islamique, de leur fuite, etc ?

Ils commençaient à aborder le sujet des Daesh, de la crise de l’État islamique sous le mode de l’humour, ce qui était assez étonnant. Par exemple, les séminaristes avaient souvent des barbes. Certains avaient fait le serment de se raser quand ils rentreraient chez eux à Karakosh. Ils avaient des barbes parfois assez longues et les autres commençaient à se moquer d’eux en les traitants de membres de l’État islamique. Ou bien, quand quelqu’un s’était fait une éraflure ou un pansement, ils disaient « c’est l’État islamique qui t’a fait cela ».

Et ils en riaient.

Oui, voilà, ils en riaient. C’est comme ça qu’ils commençaient à parler de l’État islamique. Après, certains disaient d’un air un peu plus amer qu’en Irak, les gens passent leur temps à se tuer ou montraient des images assez sanglantes sur leur portable ou des vidéos pour nous montrer ce que c’était la sauvagerie qui régnait en Irak actuellement. Une sauvagerie qu’ils rejetaient complètement. Oui, certains parlaient de la fuite qu’ils avaient du faire. Mais ce n’était pas le premier sujet qu’ils abordaient. Un homme m’a dit comment il avait vu Daesh à peu près à deux-cents mètres mais il avait réussi à fuir. Il avait aperçu ses drapeaux. Il en parlait comme un bateau en pleine mer qui voit approcher une espèce de bateau pirate qui veut l’égorger. La plupart des familles ont fuies pendant la nuit, avant de voir Daesh arriver. L’impression que j’ai eu, c’est que notamment pour les mères de famille, ça a été très traumatisant de devoir quitter leur maison. Pour les enfants aussi ça a été dur.

Pendant deux semaines, vous avez vécu avec ces personnes. Que vous-ont t’elles apportées?

Ca m’a apporté une certaine espérance, un certain optimisme. Malgré le fait qu’on dise tout le temps que les chrétiens d’Irak sont à l’agonie, je les ai trouvés extrêmement vivants. J’ai été marqué très positivement par la douceur de ce peuple qui semble tellement évident. Par exemple, ils n’arrêtent pas de dire : « Jésus nous aime, nous aimons Jésus. Jésus nous interdit de  tuer ».

À la question de savoir s’ils prendraient les armes contre l’État islamique, les gens n’y pensent pas car ils n’ont pas le droit de tuer. J’ai trouvé que ce peuple avait beaucoup de bon sens, dans le sens chrétien du terme.

Vous avez dit toute à l’heure que certains réfugiés désiraient vivement rentrer chez eux. Est-ce que vous notez aussi également un désir d’émigrer, de partir de l’Irak, de partir du Kurdistan et de refaire sa vie à l’étranger, en Occident notamment ?

Oui, clairement. La majorité des familles désirent partir. Les enfants désirent rentrer chez eux. Les jeunes étudiants avaient envie de partir. Ce n’est pas forcément tant une question de sécurité qu’une question de manque d’avenir tout simplement. Beaucoup ont l’impression qu’en Irak, ils n’ont pas d’avenir.

Pas d’avenir en tant que chrétiens ?

En tant que chrétiens et même en tant que jeunes diplômés. Ils ont fait six ou sept ans d’études. Un aspect qui m’a marqué, c’est l’impression qu’une relation de confiance, de connivence s’est brisée avec la majorité musulmane. Beaucoup disent que quand ils vivaient chez eux à Karakosh ou à Telkaif, la cohabitation se passait bien, etc. Ils disent que ce n’est pas l’État islamique qui est à Karakosh. Ce sont des choses qu’on m’a dites. Ce ne sont pas des informations confirmées. Ils disent que ce sont les populations sunnites des environs qui se sont installées dans les maisons des chrétiens qui sont souvent plus belles. Ils se sont servis comme dans un supermarché des biens qu’il y avait à l’intérieur des maisons des chrétiens. Ils disent que ce ne sont pas forcément des gens agressifs, mauvais mais ce ne sont pas des gens à qui on peut faire confiance.

La cohabitation avec l’Islam devient de moins en moins évidente ?

Non, la cohabitation avec l’Islam n’est pas évidente. Pour les jeunes hommes étudiants, ça m’a paru plus simple. Certains jeunes hommes étudiants ont téléphoné devant moi à leurs amis qui étaient restés à Mossoul. Beaucoup de jeunes filles chrétiennes à l’université me disaient que du fait qu’elles se promènent sans voile sur la tête, on les traitait de jeunes filles aux mœurs  trop légères. Parfois des jeunes à l’université entendaient « kafir » à leur passage, ça veut dire « hérétique, infidèle ». On leur reproche tout un essaim de petite lâchetés, de petites vexations que les chrétiens comprennent comme « vous n’avez plus de futur ici, ce n’est plus votre pays ». 








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