2014-10-09 19:14:00

La CPI, un calcul politique pour le président kényan


(RV) Entretien - Le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, est rentré au jeudi dans son pays, accueilli en triomphe alors qu’il venait pourtant de comparaître devant la Cour pénale internationale à La Haye, aux Pays-Bas. C’est la première fois qu’un chef d’Etat en exercice est auditionné par la CPI.

Uhuru Kenyatta est accusé de crimes contre l’humanité après les violences post-électorales de décembre 2007, mais selon de nombreuses voix, son procès pourrait ne jamais avoir lieu, faute de preuves suffisantes et à cause de la défection de nombreux témoins. Il a d’ailleurs été repoussé sine die cette semaine.

Mercredi, Uhuru Kenyatta a soigneusement mis en scène son départ à La Haye, affirmant se présenter en tant que « citoyen ordinaire » devant la CPI, et pas en tant que chef de l’Etat kényan.

Roland Marchal, chercheur au CNRS et à Sciences Po, voit dans cette attitude plusieurs calculs politiques de la part d’Uhuru Kenyatta, comme il l'explique à Jean-Baptiste Cocagne.

Il y a une dimension interne, c’est que si l’instruction avait été faite correctement, il aurait peut-être été inculpé et du coup, cette inculpation aurait également affectée l’ensemble de la population  kenyane. C’était son président qui était inculpée. Donc, il y a eu une volonté peut-être de séparer l’un de l’autre et d’éviter que les kenyans disent finalement « s’il est inculpé, nous le sommes aussi ».

Le deuxième aspect, peut-être plus politique, c’est le fait que le Kenya a fait beaucoup de pression sur l’Union africaine pour obtenir un soutien vis-à-vis de cette procédure et l’Union Africaine n’a pas hésité à aller jusqu’au Conseil de Sécurité. Sur le continent africain, il y a une hostilité très forte des dirigeants, mais pas seulement, sur la Cour et le fait que les seuls qui soient réellement poursuivis à l’heure actuelle sont des africains. Et du coup, en acceptant de se rendre à la Haye, il revenait un peu sur la logique de son argument vis-à-vis de l’Union Africaine.  Il était peut-être plus prudent de quitter sa fonction officielle et d’y aller.

La troisième chose, c’est également un très bon coup de pub en interne et au niveau international puisqu’on voit un homme qui finalement a utilisé les prérogatives de l’État pour affaiblir considérablement le dossier d’accusation dans les années qui viennent de s’écouler et qui, au moment de passer devant ces juges, fait semblant d’être un citoyen ordinaire. C’est extrêmement bien joué.

Le dossier de la CPI est-il solide en termes d’accusation ?

Il ne l’est pas. Pas parce que les faits sont mal établis mais il ne l’est pas pour des raisons qui tiennent à ce qu’est la CPI, c’est-à-dire que la CPI est une Cour sans police, une Cour qui dispose de moyens limités pour la protection des témoins et c’est également une Cour qui est soumise à l’influence d’un certain nombre de partenaires internationaux extrêmement puissants voient évidemment aujourd’hui le Kenya en proie à une déstabilisation terroriste et qui estiment que dans des conditions pareilles, il est préférable d’oublier ou de mettre entre parenthèses les mille morts et les dizaines de déplacés liés aux élections de 2007et d’avancer avec Monsieur Kenyatta qui est quand même un grand ami de l’Occident.

Donc, avec un cas pareil, on atteint selon vous les limites de la CPI ?

Il y a une véritable interrogation pour savoir si cette institution peut fonctionner, au-delà de la morale et du droit dans l’ordre international tel qu’il fonctionne aujourd’hui. Comme l’a fait l’ancien procureur de la CPI : « Qui osait prétendre que les seuls meurtriers de masse sont aujourd’hui en Afrique ? ». Dans les derniers mois, de nombreux conflits ou des crimes de guerre et peut-être plus de crimes contre l’humanité ont été commis, quelque fois par des États qui ont le soutien des grands pays européens par exemple. La réalité africaine est plus nuancée que celle-là. C’est triste dans la mesure où la CPI, au moins dans son origine, avait produit un espoir que des crimes aussi importants ne seraient jamais impunis. Ce qu’on voit, c’est que ce n’est pas vrai. Dès lors qu’on est ami d’un certain nombre d’États occidentaux, finalement, la justice passe. Ce que je vois, c’est qu’on ne traite pas les crimes de la même façon suivant où ils sont commis et par qui ils sont commis. À partir de ce moment-là, on peut dire qu’il n’y a pas de justice possible. On a surtout l’expression d’un ordre international qui est ce qu’il est et que personnellement je peux trouver pas forcément juste pour nombre de peuples en Afrique, au Proche-Orient et ailleurs. 








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