2014-10-01 10:30:00

L'Eglise et la République se réconcilient grâce à la Grande Guerre


(RV) Entretien – La Première Guerre mondiale a été le creuset de la population française, tout au moins de ses hommes. Pendant quatre ans, dans les tranchées, sous le même uniforme, les Poilus, quel que soit leur région d’origine, leur croyance ou leur profession, se sont côtoyés et mélangés. Les laïcards comme les cléricaux ont appris à se connaitre. Une génération d’hommes a appris à s’apprécier et à aller au-delà de leurs préjugés ou de leur ignorance.

Le climat de tension qui prévalait avant la guerre, et qui avait culminé quinze ans plus tôt avec la rupture des relations diplomatiques entre la République française et le Saint-Siège et la loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l’Etat, s’apaise au lendemain de l’armistice du 11 novembre 1918.

Le père Franck Guérin, prêtre à Bar le Duc, dans la Meuse, un département français marqué par la bataille de Verdun, revient avec Xavier Sartre sur ce que la Première Guerre mondiale a changé dans les rapports entre la République, l’Eglise de France et le Saint-Siège

 

L’armistice à peine conclu entre les belligérants, le 11 novembre 1918, le gouvernement français dirigé par le radical-socialiste Georges Clémenceau doit résoudre un certain nombre de problèmes très concrets pour restaurer la souveraineté de la France sur les territoires recouvrés, et principalement l’Alsace et la Moselle. C’est l’occasion de vérifier concrètement l’amélioration des relations entre l’Eglise et l’Etat français. Le père Franck Guérin

« Il est évident que la guerre de ’14 a permis à la République et à l’Église catholique en France de reprendre langue. En 1905, c’est la séparation de l’Église et de l’État. Déjà avant, en 1904, la fermeture de l’ambassade de France auprès du Saint-Siège prépare cette séparation. Les relations sont extrêmement tendues. Il y a une incompréhension totale. On peut dire qu’après treize ans de brouille, la France et le Saint-Siège vont, avec l’Armistice, renouer le dialogue. Évidemment, l’anticléricalisme n’a pas totalement disparu dans les tranchées, loin s’en faut ! Mais il a quand même perdu de sa virulence et je dirais qu’il y a des raisons pratiques qui ont amené l’Église et la République à discuter ensemble.

L’Alsace rentre dans le giron national, la Moselle également. Il y a deux sièges épiscopaux importants : Metz et Strasbourg. Dans ces deux diocèses, le régime concordataire de Napoléon qui avait été maintenu par l’empire allemand est donc toujours présent en 1918. Et le président du Conseil de l’époque, Clémenceau va amener, inviter et sommer les deux évêques d’origine allemande de Metz et de Strasbourg à démissionner. Il faut trouver des remplaçants. Ils vont trouver deux Français. Pour des raisons pratiques, ils ont été amenés à discuter avec le Saint-Siège afin que les deux candidats français soient agréés par le Saint-Siège.

Des raisons pratiques ont amené les deux institutions à discuter, ce qu’elles ne faisaient plus facilement depuis un certain nombre d’années. En 1918, on garde à titre conservatoire, le régime concordataire de 1801 que les Allemands avaient maintenu et puis finalement, la République va décider de le maintenir. »

Le dossier alsacien et mosellan réglé, le Concordat napoléonien conservé par souci de ménager les populations lors de leur retour au sein de la mère patrie, se pose maintenant le cas des relations entre la République et le Saint-Siège. Là aussi, le gouvernement français va faire preuve de pragmatisme. Le père Franck Guérin

« Durant la guerre, les autorités de la République se sont rendues compte que ce n’était ni très malin ni très pratique de ne pas avoir de relation avec le Saint-Siège alors que les puissances d’Europe centrale, l’Allemagne et l’Autriche, en avaient. Entre 1914 et 1920, il y a énormément de pays qui ont décidé d’ouvrir une ambassade ou d’échanger les relations diplomatiques de manière formelle. Entre 1914 et 1919, c’est le cas de l’Angleterre, de la Hollande, du Japon, du Portugal, du Brésil. La Tchécoslovaquie et la Yougoslavie, qui sont toute deux nées des ruines de l’Autriche-Hongrie, ont décidé aussi de se faire représenter auprès du Saint-Siège. Et dans ce contexte-là, il devenait intenable, pour la République, de continuer à bouder le Saint-Siège. Et du côté de la place Saint-Pierre, l’effondrement des empires incite le Pape Benoît XV à imaginer une politique nouvelle d’entente avec les jeunes nations d’Europe qui ont surgi un peu partout en Europe centrale et orientale. Et ensuite, avec tous les pays qui accepteraient de négocier. Le Pape a compris que le gouvernement français n’était pas disposé à signer un nouveau concordat mais il admet que l’apaisement religieux peut être obtenu autrement. Il va profiter de l’élection de la chambre « bleu horizon » en novembre 1919 suivie par l’échec de Georges Clémenceau à l’élection de la présidence de la République, en janvier 1920, pour libérer la voie qui va conduire au rétablissement des relations diplomatiques de la France avec le Pape. Tout ça, c’est aussi dans un contexte, une ambiance patriotique de l’immédiate après-guerre. La République décide de fêter solennellement Jeanne d’Arc comme héroïne nationale et l’Église catholique de son côté, la canonise. Hasard de calendrier, coup de génie de l’Esprit Saint, je n’en sais rien mais il semble que chacun a bien reçu les messages envoyés par chacun ! »

Autre dossier délicat, consécutif à la politique anticléricale du début du XXe siècle, celui des membres des congrégations, contraints de quitter la France pour continuer leur mission. Leur retour dès le début du conflit pour prendre part aux combats a apaisé là-aussi les esprits. Le père Franck Guérin

« Dès 1914, le gouvernement français a suspendu les décrets d’application des lois d’expulsion des prêtres des congrégations qui avaient été interdites. Beaucoup de congrégations ont pu revenir. Les unes pour se battre et d’autres pour rétablir leur présence en France. Il est évident qu’en 1919, il y a des esprits très laïcs qui souhaitent le départ de ces congrégations. Mais cette proposition assez sectaire n’a pas pu aller très loin parce que cela choquait les consciences, même très républicaines. Chasser les congrégations, dont certains étaient morts au combat pour la patrie et qui étaient revenus pour se battre, paraissait absolument aberrant et insoutenable. Donc, les congrégations qui étaient rentrées en France ont pu se réinstaller, pas d’une manière juridique officielle mais elles ont été tolérées. Ça, c’est un des effets de la guerre de ’14 qui fait que l’Église catholique a parfaitement joué le jeu de l’Union sacrée. »

La double détente, en Alsace-Moselle et vis-à-vis du Saint-Siège, permet aux relations entre l’Etat et l’Eglise de France de s’apaiser. Elle va surtout déboucher sur une évolution juridique, très technique, mais qui, dans la vie de tous les jours des paroisses et des diocèses, va changer pas mal de choses. Le père Franck Guérin

« Ce fond d’apaisement des relations entre l’Église et la République leur permet aussi de discuter sur le statut juridique de l’Église catholique en France qui était resté en suspend puisque l’Église n’a pas accepté les propositions faites en 1905 et notamment, les associations cultuelles. Après trois ans et demi de négociations très complexes, tout le contentieux issu de la séparation sur l’organisation juridique de l’Église a finalement été levé à la fin de 1923-1924 avec l’élaboration d’un nouveau type d’association, des associations diocésaines aptes à gérer les biens cultuelles. Les négociateurs français et ceux du Saint-Siège sont parvenus à se mettre d’accord pour constituer des associations qui étaient à la fois conformes aux lois de 1901 sur les associations et de 1905 et 1907 sur la séparation de l’Église et de l’État et en même temps, respectueuses des règles internes à l’organisation traditionnelle de l’Église, donc au droit canon. La création de ces associations diocésaines a finalement été approuvée par le Conseil d’État et elles ont reçu quelques semaines plus tard, en janvier 1924, l’aval du Saint-Siège. »

Aujourd’hui, les équilibres généraux trouvés à l’issue de la Première Guerre mondiale sont toujours de mises. Le Concordat est maintenu en Alsace et en Moselle, la loi de 1905 est en vigueur dans le restant de la métropole et la France entretient toujours de solides relations diplomatiques avec le Saint-Siège, et personne ne pense à renvoyer les membres des congrégations.








All the contents on this site are copyrighted ©.