2014-09-25 16:03:00

Le Proche-Orient façonné par la Première Guerre mondiale


(RV) Entretien – La Première Guerre mondiale n’est pas qu’une guerre entre Européens. Le conflit, dès le début, s’est étendu au Proche-Orient. A l’époque, cette région que l’on nommait le Levant, était dominée par l’empire ottoman, allié de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie. Tous disparaitront à l’issue de la guerre, laissant un grand vide politique, aussi bien en Europe centrale et orientale, qu’au Proche-Orient. Les germes de conflits futurs s’y développeront.

Dominés depuis des siècles par les Ottomans, les Arabes, à la faveur de la guerre, reprennent le premier rôle, aidés en cela par les Britanniques et les Français qui, jouant leur propre carte, œuvrent pour instaurer leur contrôle sur toute la région. Cet aspect du premier conflit mondial est souvent méconnu en Europe, et pourtant, il explique bien des événements d’aujourd’hui, et notamment le développement de l’islam politique.

Xavier Sartre en parle avec Martino Diez, directeur scientifique de la Fondation Internationale Oasis

 

La Première Guerre mondiale n’est pas un conflit religieux. Quand l’Entente entre en guerre contre l’empire ottoman, ce ne sont pas des chrétiens qui combattent des musulmans. Il y a bien eu des tentatives de la part du sultan pour déclarer le djihad et inciter les musulmans des colonies françaises et britanniques à se révolter contre leur métropole, mais sans succès.

La Première Guerre mondiale au Levant, est d’abord et avant tout une guerre politique entre Etats. Et pour ce qui deviendra le Proche-Orient, elle a de lourdes conséquences et ce à deux niveaux, comme nous l’explique Martino Diez, de la fondation Oasis

« Le premier niveau, c’est la question territoriale ouverte, surtout dans le Levant, la partie du Proche-Orient arabe, c’est-à-dire de l’Égypte jusqu’à la Turquie et à la Perse. Là, les alliés - surtout la France et la Grande-Bretagne - ont fait beaucoup de promesses pendant la guerre pour affaiblir l’empire ottoman qui était un ennemi. Et ces promesses étaient contradictoires. On a fait des promesses aux arabes, aux juifs (notamment l’établissement d’une présence juive en Israël) et il y a eu beaucoup de promesses qui ont été faites aux chrétiens orientaux, les maronites. Ces promesses se sont finalement bien passées pour ces derniers parce qu’ils ont reçu une forme d’État. Pour les Arméniens, les choses se sont passées autrement. Il y a aussi eu le cas des actuels Assyriens. Il y a eu des génocides. On peut dire que l’abysse des communautés chrétiennes a commencé justement après la Première Guerre mondiale. Il faut aussi ne pas oublier la guerre entre Grecs et Turcs et le déplacement de populations en Anatolie. Il y a encore la question territoriale des Kurdes qui a été ouverte par la Première Guerre mondiale et le traité de Sèvres qui prévoyait la possibilité pour les Kurdes d’établir un véritable État, ce qui a été écarté. »

Sur les décombres de l’empire ottoman, s’élèvent bientôt les futurs Etats que nous connaissons aujourd’hui mais qui, au début des années 1920, ne sont que des mandats confiés par la toute nouvelle Société des Nations à la France et au Royaume-Uni. La chute définitive du califat, aboli par le Turc Mustapha Kemal en 1923, laisse également un vide parmi les musulmans arabes. Comment le remplacer ? cette question fait ainsi émerger l’islam politique. C’est là le second niveau des conséquences de la Première Guerre mondiale au Levant

« Le califat ottoman était vraiment un califat dans le sens classique du terme, comme au temps des Abbassides mais il y avait quand même une forte légitimation de type religieuse qui avait elle-même été amplifiée par le dernier calife, Abdülmecit. Les formations étatiques qui sont venues après la guerre- la Syrie, l’Irak, le Liban et la Jordanie- n’avaient pas la même légitimité du point de vue religieux. Dès ce moment, il y a un manque de légitimité et un manque de sens national qui va se manifester continuellement au Proche-Orient. Et je pense que c’est ce manque de légitimité qui explique la présence assez importante des dictatures dans cette région ou des régimes autoritaires pendant le temps qui nous amène jusqu’ aux révolutions arabes parce que là, il y a eu la difficulté de trouver de nouvelles formes de légitimation. Alors, dans ce cas-là, l’armée prend d’habitude un rôle assez grand. »

Pour gagner la guerre en Orient, Français et Britanniques ont multiplié les promesses. Il suffit de se rappeler de l’histoire de Lawrence d’Arabie, qui, de bonne foi, avait promis aux Arabes la création d’un grand Etat les réunissant tous, en échange de leur soutien contre les Turcs. Il n’en sera rien. Le gouvernement français a, lui, longtemps hésité sur ce qu’il allait faire avec les territoires dont il a hérité : créer une grande Syrie, rassemblant la Syrie actuelle et le Liban, ou bien morceler cet ensemble en plusieurs entités. Les espoirs, les craintes, les incompréhensions qui ont pu naitre de la politique des deux puissances mandataires ont contribué au développement de courants de pensées politiques au sein des populations arabes. La chute du califat a créé un vide que ni Londres ni Paris n’ont su combler. Martino Diez

« La chute du califat a accéléré la formation de l’islam politique. Le califat a été aboli après la guerre par Kemal Atatürk. Et on peut très bien voir chez les intellectuels musulmans de l’époque que c’est un véritable choc. Il y a beaucoup d’interventions, par exemple en Égypte et en Inde. Muhammad Iqbal qui est un grand penseur pakistanais, même si le Pakistan n’existait pas encore, va écrire longuement sur le sujet. Les Frères Musulmans en Égypte ont été fondés juste après la guerre. Et même si le fondateur n’est pas explicite sur ce point, il y a d’autres personnes qui sont proches d’eux, comme Rashid Rida qui parle beaucoup de la nouvelle création du califat. Donc, je mettrais le lien entre cette fin du califat et l’islam politique et le fait qu’on essaie de faire ou refaire- ça dépend du point de vue-un État islamique. Je pense que l’Arabie saoudite intervient dans cette deuxième phase après la Deuxième Guerre mondiale, via des rapports préférentiels établis avec les États-Unis et surtout, la découverte du pétrole. »

Le Proche-Orient n’en finit pas de payer les conséquences de la disparition de l’empire ottoman, qui lui-même, avait remplacé d’autres empires préexistants. Depuis la fin des mandats britanniques et français, les Etats arabes ont tous cherché une solution, que ce soit le panarabisme de Nasser, ou l’islam politique des Frères musulmans. La résurgence d’un califat sous la houlette de l’Etat islamique en Irak et en Syrie, même purement formel, apparait, à la lumière de l’histoire, comme une énième tentative de solder les comptes du passé. 








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