2014-08-07 17:41:00

La guerre en Syrie franchit les frontières libanaises


(RV) EntretienJusqu’alors relativement épargné par la violence, le Liban est à son tour frappé par des assauts de djihadistes sunnites venus de Syrie. Ersal, ville de 100 000 habitants et proche de la frontière syrienne, est le théâtre de combats intenses depuis une semaine. Les djihadistes ont mené l’assaut suite à l’arrestation d’un leader du Front Al-Nosra et la situation est toujours dangereuse malgré la négociation d’un cessez-le-feu. Cet évènement est traumatisant pour un pays encore marqué par la guerre civile des années 1970-80. Mais les différentes communautés et factions du Liban, qui ne sont pas d’accord sur la conduite à tenir face au conflit syrien, convergent sur l’urgence du maintien de la paix et des équilibres confessionnels au Liban.

Clefs de voûte de l’équilibre institutionnel du pays, les dirigeants chrétiens maronites n’ont pour le moment pas réussi à se mettre d’accord sur l’élection d’un nouveau chef de l’Etat issu de leurs rangs. Cette situation n’est pas nouvelle, dans un pays qui avait déjà connu plusieurs vacances du pouvoir dans le passé. Mais le contexte régional, avec les guerres en Irak et en Syrie et la crainte d’une contagion djihadiste, devrait les pousser à surmonter leurs divisions. L’analyse de Nicolas Dot-Pouillard, chercheur à l’IFPO, l’Institut Français du Proche-Orient, à Beyrouth. Il est interrogé par Cyprien Viet.

Comment le Liban résiste avec ce vide au pouvoir ?

« Le Liban a une certaine expérience de vie et de l’institutionnel. D’une certaine manière, le Liban est rodé à ce vide et peut y résister. Le deuxième élément, c’est qu’il y a effectivement des institutions nationales qui sont reconnues par toutes les communautés. La première, et qui permet encore de sauver le pays, c’est l’armée libanaise, même si cette dernière a été mise en difficulté à Ersal, après l’enlèvement des soldats et les affrontements de ces derniers jours. »

Est-ce que les évènements récents en Syrie et en Irak et la persécution des communautés chrétiennes par les djihadistes poussent les chrétiens du Liban à se réconcilier et à se montrer finalement solidaires face aux périls djihadistes ?

« Ce qui réunit les communautés chrétiennes -au pluriel puisque confessionnellement, il y a les maronites, les grecs orthodoxes et les grecs catholiques- c’est la peur d’une espèce d’attaque générale contre les chrétiens dans la région, surtout après la crise syrienne, les évènements d’Irak et l’implantation de l’État islamique en Irak et au Levant. 

Les chrétiens sont malgré tout divisés politiquement au Liban entre deux options qui sont des options historiques depuis 2005 ; l’option du 14 mars ou celle du 8 mars. C’est l’option de s’allier au Hezbollah et à la communauté chiite ou au contraire, de s’allier au parti de Saad Rahiri du Courant du futur. Il y a une certaine peur dans la région mais cela n’empêche pas qu’il y a une ligne commune au Liban. »

Quelles sont les différentes tendances politiques qui existent au sein de la communauté chrétienne maronite ?

« Il y a trois principales composantes politiques de la communauté maronite, qui est la principale communauté chrétienne au Liban. Il y a les « Phalanges libanaises » qui existent depuis 1930-1940. Il y a les « forces libanaises », qui sont en quelque sorte une scission des « Phalanges libanaises » qui sont apparues dans les années 1980 et qui sont dirigées par Samir Geagea. La troisième composante, c’est le « Courant patriotique libre » du général Michel Aoun.

Grosso modo, la division politique est telle que le général Michel Aoun et le « Courant patriotique libre » font alliance avec le Hezbollah libanais alors que les « Phalanges libanaises » et les « Forces libanaises » sont dans l’autre camp, c’est-à-dire dans le camp du 14 mars. Historiquement, elles ont été très opposées au régime syrien. Elles le sont toujours et il y a cette division verticale de la communauté maronite qui marque un peu la situation depuis les années 2000. »

D’un point de vue institutionnel, quel est le poids de l’église maronite dans le jeu politique libanais ? Est-ce que dans la population, on a une forme de sécularisation comme en Europe ou est-ce qu’au contraire, il y a une réaffirmation identitaire autour de l’identité maronite chez les chrétiens maronites ? 

« En fait, je ne parlerai ni de réaffirmation, ni de sécularisation. Le Liban est un pays confessionnel dans ses institutions, au niveau du partage des sièges parlementaires, du partage des ministères et des postes administratifs. C’est-à-dire que la mentalité confessionnelle et communautaire est très implantée istitutionnellement. Il ne s’agit pas d’un sentiment religieux mais d’un sentiment communautaire en tant que sentiment politique. De ce point de vue-là, l’identité maronite est aujourd’hui très forte. Et le rôle du patriarche maronite dans la politique maronite et dans la politique libanaise nationale en général est très important. Actuellement, il s’agit du patriarche Bechara Rai qui a pris une position qui semble aujourd’hui très modérée. Il veut discuter avec tous les acteurs, avec le Hezbollah et avec le Courant du futur de Saad Hariri. L’Église maronite et le patriarcat maronite jouent un rôle politique, également pour faire discuter les acteurs chrétiens entre eux. »

Est-ce que les chrétiens considèrent les militants du Hezbollah qui sont des combattants aguerris comme un possible rempart contre les infiltrations djihadistes sunnites à la frontière syro-libanaise ?

« Le Hezbollah nie toute intervention militaire dans les évènements de ces derniers jours à Ersal et dans les combats qui opposent l’armée libanaise à l’État islamique en Irak et au Levant. Il y a une double perception en ce qui concerne certains sujets. Par exemple, pour les partisans du général Michel Aoun, le Hezbollah apparait comme un organe politico-militaire qui en Syrie, en Irak et à fortiori au Liban pourrait protéger les communautés chrétiennes des infiltrations djihadistes ou de la pénétration djihadiste sunnite. D’autres perçoivent au contraire l’implication du Hezbollah dans les combats en Syrie et en Irak comme quelque chose qui alimente la guerre confessionnelle entre sunnites et chiites et qui participerait à un certain cercle vicieux. Au Liban, il y a vraiment deux points de vue sur le Hezbollah. »

Une dernière question sur les réfugiés syriens qui représentent quasi un tiers de la population libanaise. Est-ce que les évènements de ce week-end risquent de créer des tensions entre les libanais natifs du Liban et les réfugiés syriens ?

« Il y a déjà des tensions qui sont nées depuis plusieurs mois mais qui sont contenues. Ces tensions sont logiques car comme vous l’avez dit, depuis trois ans, il y a un afflux de réfugiés syriens qui est absolument immense pour un petit pays comme le Liban. Cela a des conséquences économiques. Le Liban est un pays très embêté qui n’a pas les moyens, sans l’aide de la communauté internationale, d’aider concrètement ces réfugiés. Donc, il y a eu des tensions.

Il n’y a pas non plus eu de vagues de violence ou de racisme contre les réfugiés syriens. Malgré tout, la situation est contenue. Il faut savoir que la situation des réfugiés à Ersal et dans cette zone qui est complètement fermée par l’armée libanaise en raison des combats, va sûrement empirer dans les prochains jours. »








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