2014-08-06 09:39:00

Erdogan veut une Turquie plus influente au Proche-Orient


(RV) Entretien- Ce dimanche 10 août aura lieu l’élection présidentielle en Turquie. Et pour la première fois, le scrutin se fera au suffrage universel direct. Le grand favori est le Premier ministre actuel Recep Tayyip Erdogan, à la tête du pays depuis 11 ans. Il espère obtenir la majorité absolue des voix dès le 1er tour.

Deux autres candidats sont en lice : Selahattin Demirtaş, un avocat soutenu par le principal parti kurde et Ekmeleddin Ihsanoğlu, ancien secrétaire général de l’Organisation de la coopération islamique.

Recep Tayyip Erdogan, sûr de sa victoire, rêve de réformer la fonction de président, dont les fonctions sont aujourd’hui honorifiques. Il veut en faire un vrai poste décisionnel, inspiré du modèle français.

Le Premier Ministre a déjà promis de continuer sa « politique étrangère active » : depuis qu’il a accédé au pouvoir, Erdogan cherche à faire de la Turquie un acteur de poids au Moyen-Orient.

L’analyse d’Ali Kazancigil, politologue et directeur de la revue de géopolitique Anatolie, interrogé par Jean-Baptiste Cocagne.

Recep Tayyip Erdogan a-t-il une influence diplomatique sur la région ?

« Depuis quelques années, Erdogan intervient beaucoup plus dans la diplomatie extérieure et son idée était que la Turquie puisse être à la fois un leader économique, stratégique et diplomatique dans le Moyen-Orient, depuis les Balkans jusqu’au Caucase. Finalement, il s’est assez mal débrouillé à la fois sur la question israélo-palestinienne, sur la question égyptienne et bien sûr, à propos de la Syrie. La Turquie est assez isolée dans la région.

Au départ, Erdogan a fait attention à surmonter la question sectaire de la diplomatie dans le Moyen-Orient. Vous savez que ce sont les sunnites et les chiites qui s’opposent. Il a établi de très bonnes relations avec le régime syrien qui sont des alaouites d’origine chiite, et les turques sont des sunnites. Ensuite, cela a mal tourné et aujourd’hui, la Turquie est assez isolée. Finalement, l’Iran reprend en quelque sorte le leadership dans la région. »

Quels sont les faits d’armes d’Erdogan, en termes de politique étrangère et ses réussites ?

« Au départ, les réussites, c’était de très bonnes relations avec le pouvoir syrien, une posture de "soft power", de puissance douce vis-à-vis de toute la région avec une présence en termes d’économie et de coopération. La Turquie a fait de la médiation, des politiques de conciliation avec des tas de pays, notamment entre Israël et la Syrie mais aussi dans d’autres régions. C’était une diplomatie à la fois de doux commerce -pour parler comme au XVIIIème siècle- et de stratégie assez intelligente.

Mais finalement, il a dérapé peu à peu et il a, en quelque sorte, perdu tous ses atouts. Il faut dire qu’après une dizaine d'années au pouvoir, il a commencé à manifester une espèce de paranoïa. Il est tout puissant mais il a toujours peur qu’un jour ou l’autre, on le renverse, que l’armée intervienne à nouveau -ce qui ne sera pas le cas dans l’immédiat. Il commence à voir partout des ennemis. Il a aussi une attitude qui commence à être assez irrationnelle. Et je pense que dans sa paranoïa, il n’écoute plus non plus son ministre des affaires étrangères, Ahmet Davutoğlu qui est quand même un professionnel des relations internationales et qui est l’un des plus modérés. Il a de bonnes idées mais Erdogan n’écoute plus personne. »

Si on regarde un peu plus vers l’ouest et la construction européenne, onze ans après son arrivée au pouvoir, la Turquie n’a pas avancé dans le processus d’intégration et de l’adhésion à l’Union Européenne. Qu’en est-il de son bilan à ce niveau-là ?

« Au départ, son bilan était tout à fait favorable. Les réformes en Turquie avaient déjà commencé en 2000-2001 mais à partir de 2002, il les a accélérées. C’est lui qui a obtenu une date de négociations. Et jusqu’en 2007-2008, il a fait beaucoup de réformes en Turquie, il faut le reconnaître. Sous son pouvoir, la société turque s’est davantage émancipée que par le passé.

Mais à partir de 2009-2010, il a commencé à prendre ses distances au motif que dans l’Union Européenne, il y avait des pays leaders qui étaient contre la Turquie, comme Nicolas Sarkozy, Angela Merkel, etc. Il a eu tendance à mettre au second plan la question européenne alors qu’au début de son mandat, cela figurait en haut de l’agenda de la Turquie. Aujourd’hui, c’est au point mort. La Turquie a arrêté les réformes démocratiques mais il y a pire, depuis 2011-2012, il y a une régression terrible. Il a pris des mesures liberticides et il veut restreindre les libertés contre les injustices de manière à s’imposer. »








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