(RV) Entretien- Le Japon s’achemine vers un retour au nucléaire : trois ans
après la catastrophe de Fukushima, l’autorité japonaise de régulation nucléaire a
estimé que deux réacteurs du sud-ouest du pays remplissaient les critères de sûreté
requis. Selon un minutieux rapport, analysé et décortiqué par les membres de l’autorité,
toutes les mesures pour faire face aux tsunamis, séismes, éruptions volcaniques et
autre désastre seraient assurées.
La validation technique définitive des deux
réacteurs est attendue pour le mois d'août. La décision du redémarrage reviendrait
ensuite aux dirigeants politiques locaux et nationaux… On sait le gouvernement de
Shinzo Abe favorable à une relance du secteur nucléaire, et ce, malgré l’opposition
d’une partie de la population. Et la raison est en principalement économique : depuis
l’arrêt total des réacteurs nucléaires en 2011, le coût d’importation d’hydrocarbures
a causé d’importants déficits commerciaux.
Mais pour Jean-Marie Brom,
chercheur au CNRS en physique nucléaire et membre du réseau « Sortir du nucléaire
», cette décision de retour au nucléaire est tout à fait regrettable.
Le Japon a
décidé qu’il n’avait pas le choix, c’est-à-dire qu’au lieu de réfléchir à avoir un
autre rapport à l’énergie, ils ont dit que comme ils n’ont pas de matière première
combustible, il revenait vers le nucléaire avec tous les risques que ça peut comporter.
On voit que c’est une très mauvaise décision qui est toujours d’avancer sur du sable,
préférant l’inconnu et le désastre potentiel à quelque chose qui pourrait être porteur
d’avenir. Pour mémoire, je vous dirais que six mois avant Fukushima, la centrale de
Fukushima avait eu une inspection qui l’a déclarée bonne pour le service.
Selon
cette autorité japonaise, les critères dits requis sont parfaitement remplis. Est-ce
que vous pouvez me dire de quoi il s’agit quand on parle de critères de sécurité requis
? Sur quoi est-ce que ça se base ? Ça se base sur des problèmes de statistiques,
c’est-à-dire qu’on estime que s’il devait arriver de nouveau le même accident qu’à
Fukushima, la centrale résisterait mieux que celle de Fukushima et ne partirait pas
en désastre. Le gros problème, c’est que la nature choisit la façon dont elle va réagir.
Il peut y avoir autre chose.
Donc, le risque zéro n’existera jamais ? Le
risque zéro ne peut pas exister. Dans toute activité industrielle, il y a une part
de risque, c’est bien évident. Lorsque vous prenez votre voiture pour aller faire
une promenade, vous prenez un risque mais simplement, ce qui se passe, c’est que dans
le nucléaire, le risque est démultiplié. Si vous avez eu un accident de voiture quand
vous partez vous promener, on ne doit pas évacuer une région entière pendant une trentaine
ou une quarantaine d’années. Dans le cadre du nucléaire, le gouvernement japonais,
aujourd’hui, accepte de continuer à prendre ce risque.
Alors, vous l’avez
un peu évoqué en début de cette interview mais j’aimerais qu’on y revienne : le gouvernement
de Shinzo Abe accepte de prendre ce risque, contre l’avis de la majorité de la population
japonaise. Pour quelles raisons ? Est-ce que ce sont des raisons purement politiques,
économiques ? Les raisons sont difficiles à expliquer. Vous savez, nous sommes
ici en France et on connait la puissance du lobby nucléaire. Moi je pense simplement
que tout gouvernement préfère peut-être des solutions à court terme qui lui fait éviter
de se poser des questions, au moins durant le temps d’un mandat électoral, plutôt
que de prendre le problème à bras-le-corps. On sait très bien que le nucléaire ne
va pas durer une centaine d’années. On sait très bien que ça doit s’arrêter un jour.
Simplement, un gouvernement n’a pas envie de prendre cette décision. Aujourd’hui,
pour le Japon, arrêter le nucléaire, c’est accepter d’importer du charbon, du pétrole
et du gaz ou bien c’est redéfinir sa politique énergétique. Ils préfèrent le nucléaire
parce que ça dispense de réfléchir. Le jour où l’accident viendra, puisqu’il adviendra
peut-être de nouveau, on se reposera des questions.
Donc, les opposants
au nucléaire préconisent les énergies, dites propres et renouvelables. Est-ce réaliste
au vue de leur coût ? Aujourd’hui, non, clairement non. En cinq minutes, vous
ne pouvez pas passer un pays uniquement en énergies renouvelables. Mais par contre,
quand on fait un plan qui décide que dans les trente ans, on passe au renouvelable,
on peut par exemple faire comme les allemands qui ont arrêté le nucléaire et qui vont,
pendant un certain temps, passer au gaz et pas au charbon. Malgré ce que l’on dit,
c’est faux. Ils n’ont pas ouvert de centrale au charbon. Et mettre un plan pluriannuel.
Après tout, regardez ce qui s’est passé en France. En 1973-1974, on a décidé d’avoir
un recours massif au nucléaire. Ça a mis vingt ans à se mettre en place. Et aujourd’hui,
on nous dit qu’on ne pourrait plus en sortir parce que le renouvelable a un coût qui
est exorbitant, ce n’est pas vrai. Il n’a pas un cout qui est exorbitant. On veut
qu’il ait un coût exorbitant, ça c’est clair. Mais aujourd’hui, il y a à peu près
400 réacteurs dans le monde. Ces 400 réacteurs représentent 12 à 14% de l’énergie
mondiale. Est-ce que vous pensez que le monde ne peut pas se passer de nucléaire ?
Quand on voit le taux de gaspillage qu’on fait de l’énergie, est-ce que le monde ne
peut pas se passer de 14% de son énergie parce qu’elle est nucléaire et l’a remplacé
par d’autres formes d’énergie. C’est encore une fois un problème de vue à long terme.
Et aujourd’hui, le nucléaire nous permet d’avoir à court terme, un certain confort
avec un risque énorme. Depuis le début de l’ère nucléaire, on a eu Three Mile Island,
Tchernobyl et Fukushima. Je ne sais pas ce qu’on aura demain mais on aura encore quelque
chose demain. Et aujourd’hui, on sait que le nucléaire, dès que ça part en débandade,
quel qu’en soit la raison, ça mène à des catastrophes. Tchernobyl n’est toujours pas
fini. Fukushima n’est pas prête d’être réglée. Et on continue.
Photo:
manifestants contre le nucléaire ce mercredi à Tokyo