Entretien exclusif avec le nouveau président de l'IOR
(RV) Entretien - Jean-Baptiste de Franssu est devenu président de l'IOR (Institut
pour les Œuvres de religion) ce mercredi, en remplacement de l'Allemand Ernst Von
Freyberg. Diplômé de l'Ecole supérieure de commerce de Reims, ce financier français
était jusqu'à présent le PDG d'Incipit, un cabinet de conseil en fusions-acquisitions
et stratégie établi à Bruxelles. Auparavant, il était le directeur du bureau exécutif
d'Invesco Europe, société d'investissement. Son parcours professionnel est également
passé par la Caisse des Dépôts et Consignations, où il a occupé un poste de directeur.
Marié et père de quatre enfants, il est membre du bureau de l'ONG catholique « Alliance
mondiale de la jeunesse », qui défend la famille.
Jean-Baptiste de Franssu
travaille sur la réforme économique du Vatican depuis qu'il a été nommé à la Commission
référente sur les structures économiques et administratives du Saint-Siège (COSEA),
aujourd’hui dissoute après la création du Secrétariat pour l'Economie. Il avait d'ailleurs
été appelé à siéger dans ce nouveau dicastère de la Curie romaine. Devant la presse,
il a déclaré que « c'est un honneur d'être appelé à effectuer les changements jugés
aujourd'hui nécessaires pour transformer ultérieurement l'IOR en un fournisseur de
services pour l'Eglise. Je vois ce rôle comme une mission » a-t-il précisé.
Selon
le quotidien français La Croix, c’est Mgr Lucio Vallejo Balda, secrétaire et
coordinateur de la commission chargée de réformer la banque du Vatican, qui a « repéré
ce financier dans la cinquantaine, souriant au regard perçant, courtois et diplomate
».
Hélène Destombes a rencontré Jean-Baptiste de Franssu, le nouveau président
de l'IOR, quelques heures après l'annonce de sa nomination.
C’est
désormais officiel, vous êtes à la tête de l’IOR. Comment avez-vous reçu cette nomination
? Quel est votre état d’esprit ? C’est une grande tâche qui m’est confiée,
surtout car je suis dans la continuité du travail qui a été fait par Ernst Von Freyberg,
le président partant. C’est une tâche qui appelle beaucoup d’humilité parce que l’IOR
joue un rôle important pour beaucoup de congrégations et beaucoup de diocèses dans
le monde. Il joue également un rôle important dans la perspective de toute l’organisation
administrative et financière du Saint-Siège. C’est donc une tâche importante, que
je suis heureux d’avoir acceptée. Je le vois plus comme une mission qu’autre chose
et j’espère que je serais en mesure de répondre aux attentes qui m’ont été mises sur
les épaules, lorsqu’on m’a confié cette responsabilité.
Votre prédécesseur
avait été nommé dans un contexte difficile. Il avait évoqué une mission douloureuse.
Maintenant, nous passons à la phase II, en quoi va-t-elle consister ? J’ai
un gros avantage sur mon prédécesseur car j’arrive après le travail qu’il a fait.
C’est un avantage important et je lui rends hommage pour ce travail. Autre avantage
: j’ai été associé aux travaux de la Commission COSEA depuis le mois d’août 2013 et,
depuis le 2 mai 2014, au Conseil pour l’Économie. Donc j’ai relativement une meilleure
connaissance des rouages de l’organisation administrative et financière du Saint-Siège
mais également – et c’est important –, de la direction que le Saint-Père souhaite
donner à l’ensemble de cette organisation. Donc j’arrive à l’IOR avec peut-être une
compréhension un peu plus complète de celle de mon prédécesseur quand il est arrivé,
de là où nous en sommes et surtout ce qui est très important, de là où le Saint-Père
veut que nous allions.
Vous avez rencontré le Pape François à plusieurs
reprises, étant membre du Conseil de l’Économie. À terme, quel est son objectif pour
l’IOR ? D’abord, je ne peux pas parler au nom du Pape. Je ne peux que vous
donner mon interprétation de ce que j’ai compris, des messages que le Pape nous a
fait passer. D’abord et avant tout, la mission principale que le Pape a en tête lorsqu’il
parle de l’institut de l’IOR, c’est comment l’Église, le Saint-Siège, peut continuer
à aider les pauvres et faire plus pour la propagation de la foi. D’où la question
: quels moyens pouvons-nous lui donner dans la gestion quotidienne de l’IOR qui permettrait
d’accélérer ou d’augmenter l’aide à destination des pauvres et la propagation de
la foi à travers le monde ? Ça, c’est le premier élément. Le deuxième élément, et
c’est une caractéristique du Saint-Père, c’est plus de transparence. L’exercice avait
déjà bien sûr été engagé par le Pape Benoît XVI, c’est lui qui avait nommé Ernst Von
Freyberg. Plus de transparence et surtout, être tout à fait dans les normes de ce
qui se pratique internationalement. L’IOR ne doit en aucun cas être différent de toutes
les grandes institutions bancaires. Avec un focus très important sur les clients :
nous devons nous assurer que nous répondons aux attentes des clients, que nous répondons
aux attentes des congrégations et des diocèses, que ce soit au niveau de la qualité
des services et de la qualité des produits. C’est un élément qui caractérisera probablement,
encore plus que par le passé, la phase II de la réorganisation de l’IOR par rapport
à la phase I.
Vous dites que l’IOR doit s’aligner sur le système économique
et financier mondial. En même temps, l’IOR doit-elle être une banque comme les autres
? Nous ne devons pas nous aligner sur le système économique et financier mondial.
Nous devons respecter l’ensemble des règles internationales, à juste titre, tel que
n’importe quel autre établissement financier ou banque. Je rappelle que nous ne sommes
pas une banque à l’IOR. On dit souvent « la banque » mais statutairement, nous ne
sommes pas une banque. Que l’ensemble des autres établissements financiers à travers
le monde doivent respecter ces normes est normal. Ça fait partie de la globalisation
de l’économie et si le Saint-Siège veut pouvoir avoir des relations avec d’autres
États, nous devons impérativement respecter ces codes et ces nouvelles règles. Le
Saint-Siège s’y est donc employé depuis un certain temps et le travail d’Ernst Von
Freyberg, en ce qui concerne l’IOR, a été surtout d’aller dans cette direction. Nous
continuerons bien évidemment cet aspect dans les mois, dans les années qui viennent.
L’IOR
doit dégager des profits. Comment faire de l’argent tout en étant exemplaire, en termes
d’éthique, de transparence, de moralité ? L’IOR doit dégager des profits mais
d’abord et avant tout, l’IOR doit rendre service. Rendre service aux institutions
du Saint-Siège qui ont besoin de communiquer, de faire des transactions avec le monde
extérieur. Il nous faut un établissement équivalent à une banque qui nous permette
de faire ces transactions. On pense par exemple déjà aux Musées du Vatican. Les Musées
du Vatican attirent des millions de gens tous les ans. Ils ont des frais, ils communiquent
avec le monde extérieur. Il y a une librairie, il y a des tas de choses. Il faut que
l’argent circule. On a donc besoin d’une banque. Et pour le Saint-Siège, il est important
que cet établissement – encore une fois qui n’est pas une banque mais un établissement
financier qui joue ce rôle –, soit un établissement sous contrôle du Saint-Siège pour
que le Saint-Siège sache exactement ce qui s’y passe. Donc cette première chose est
de rendre service au Saint-Siège, à l’ensemble de ses institutions. Deuxièmement,
il est normal aussi que l’ensemble des dicastères, des congrégations et des diocèses
avec qui nous partageons notre foi catholique, puissent se rapprocher d’un établissement
dans le cadre du Saint-Siège, plutôt que d’autres banques commerciales quelconques
qui ne partageront peut-être pas certaines valeurs qui sont les nôtres. On parle toujours
des choses qui n’ont pas été mais on ne parle jamais des choses qui ont bien
été. Il y en a des tas à l’IOR, depuis très longtemps. Mais malheureusement, à
cause de certaines choses qui ne se sont pas passées comme elles auraient dû dans
le passé, on a le sentiment, quelquefois, que cet établissement n’est peut-être pas
en mesure de rendre l’ensemble des services. Ce n’est pas vrai. Encore une fois, tout
sera fait dans les mois et les années à venir pour renforcer ce message, servir les
clients, rendre service aux clients avec cette éthique catholique. Tous les produits
que nous allons développer pour rendre service, pour répondre aux attentes des clients,
seront centrés autour de notre foi, autour de valeurs très fortes qui font que les
diocèses et les congrégations qui viendront vers nous et nous confierons leur argent
sauront que tout ce qui a été fait, l’a été « dans une étroite communion », si je
puis dire.
Quelle sera votre marge de manœuvre ? La même marge
de manœuvre que tout autre dirigeant d’un établissement financier qui s’emploie à
répondre aux impératifs des clients, qui cherche tous les jours à faire de son mieux
dans un univers financier et économique qui n’est pas facile. On va faire de notre
mieux. On va essayer de répondre à toutes les exigences. On se fixe des objectifs
très précis. Maintenant, on ne sera peut-être pas toujours parfait mais on demandera
un peu de compréhension de la part de nos clients. Mais en tous cas, la volonté et
le travail seront là pour nous emmener dans cette direction.
En plein scandale,
certaines voix avaient évoqué une fermeture pure et simple de l’IOR. C’est une option
totalement inenvisageable ? Je crois que le Saint-Père a été très précis sur
ce point dans son communiqué du 7 avril 2014. Il était important d’étudier la possibilité
de fermer l’IOR parce qu’en étudiant la possibilité qu’on avait de le faire, on s’est
rendu compte qu’on avait besoin de l’IOR.
Vous connaissez déjà les structures
économiques et financières du Vatican. Qu’avez-vous découvert ? Quelle est la réalité
que vous avez découverte en arrivant au Vatican ? Une réalité très simple,
une réalité qui n’a peut-être pas toujours évolué au cours des quinze ou vingt dernières
années aussi vite que le monde financier dans lequel nous évoluons. Une réalité où
peut-être quelque fois, l’absence d’un nombre suffisant de professionnels de ces métiers
devenus de plus en plus complexes, aussi bien au niveau de la construction des produits
que de la complexité des marchés, que de l’environnement juridique, a peut-être nui
un peu au Saint-Siège. Il est évident que lorsque des hommes d’Eglise, des prêtres,
des évêques et des cardinaux sont en charge d’une institution financière, ce n’est
pas leur centre premier d’activités, ce n’est pas là où ils ont reçu la plus grande
formation. Il est donc important, et c’est vraiment ce que le Saint-Père souhaite
faire, d’associer de plus en plus des professionnels dans tous les aspects de la vie
administrative et financière. Aujourd’hui nous parlons de l’IOR mais regardez tout
ce qui est en train de se passer dans plein d’autres domaines, cette association d’efforts
entre les membres du clergé et des professionnels catholiques engagés. Tout ça pour
aider l’Église, pour renforcer son action et celle du Saint-Père.