(RV) Entretien - Alors que l’Irak est affaibli par l’offensive des djihadistes
sunnites de l’Etat islamique et que le pouvoir de Bagdad est discrédité par les luttes
intestines, le président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, a officiellement demandé
jeudi au Parlement de sa province d’organiser un référendum sur l’indépendance, probablement
dans les prochains mois.
Cette démarche constituerait l’aboutissement d’un
processus entamé en 2003, lorsque les Etats-Unis avaient tenté, une fois le régime
de Saddam Hussein renversé, de transformer l’Irak en un pays fédéral, en accordant
au Kurdistan une large autonomie.
Bertrand Badie, professeur de Relations
Internationales à Sciences-Po Paris, explique à Cyprien Viet que l’indépendance du
Kurdistan serait un processus logique mais risque de déstabiliser la région, en stimulant
les aspirations indépendantistes des Kurdes de Turquie
C’est un symptôme
assez banal de décomposition d’un État qui ne parvient pas à se construire et à surmonter
l’invasion américaine de 2003. C’est lorsque les États sont faibles que les processus
de décomposition et de revendication identitaire viennent à s’aiguiser. Maintenant,
le problème reste entier. Et il est entier pour deux raisons : une raison interne
et une raison externe. L’une et l’autre envoient la même constatation : il est très
difficile de territorialiser le peuple kurde qui n’est pas concentré dans des espaces
homogènes. Et donc, construire un État kurde dans l’ancien territoire irakien ou ce
qui reste du territoire irakien, ça va poser une quantité de problèmes, notamment
pour les deux grandes villes de Mossoul et de Kirkouk qui sont revendiquées en même
temps par les Sunnites et par les Kurdes et va poser un énorme problème sur le plan
régional et extérieur. Il y a comme un jeu de contagion. L’autonomisation, la
création d’un État kurde ex-irakien va poser le problème autrement plus complexe du
Kurdistan turc et aussi de celui du Kurdistan iranien, sans oublier les minorités
Kurdes de Syrie. En Turquie, le phénomène est explosif parce que territorialiser
les Kurdes turcs est quelque chose d’extrêmement difficile. Le faire face au nationalisme
turc dans un État qui n’est pas en situation de décomposition comme en Irak, c’est
effectivement une gageure et un risque réel d’explosion de toute la région.
Est-ce
que cette revendication d’un Kurdistan indépendant a déjà été formulée antérieurement
dans l’histoire de l’Irak ? Il y a toujours eu une tendance dans l’histoire
irakienne, d’un réduit kurde qui est plus facile à dessiner dans la mesure où il correspond
à ces régions difficilement accessibles du nord et du nord-est de l’Irak. Mais la
reconnaissance d’une entité kurde n’a été possible qu’à partir de 2003 lorsque les
États-Unis avaient joué très maladroitement la carte de ce qu’ils considéraient comme
étant une fédéralisation possible en jouant de trois entités chiite, sunnite et kurde.
C’est effectivement le point d’aboutissement de ce processus qui avait été consacré
par une autonomisation institutionnalisé d’un Kurdistan irakien dont la capitale est
Erbil qui fonctionne de manière très autonome par rapport à Bagdad et qui a à sa tête
un chef redoutable, Massoud Barzani qui est lui-même fils de Barzani, du grand Barzani
qui avait lancé le mouvement indépendantiste kurde, déjà du temps du régime baasiste.
Techniquement, qu’est-ce qui peut se passer maintenant ? Le Kurdistan irakien
peut-il se séparer de Bagdad sans conflit ouvert ? Si les nationalistes kurdes
profitent de cette situation pour couper définitivement les liens avec Bagdad, finalement,
ce serait tout à fait possible parce que le processus ne serait pas si complexe. Actuellement,
Erbil, la capitale du Kurdistan irakien est très coupée de Bagdad. D’un certain
point de vue, Erbil est plus proche, en liaison beaucoup plus intense avec Istanbul
qu’avec Bagdad. Donc là, ce pourrait être l’aboutissement d’un processus qui ne serait
pas très couteux, qui ne serait même pas spectaculaire et qui viendrait pour le coup,
bouleverser toute la région et porter un coup mortel à l’Irak telle qu’elle a été
dessinée suite à l’effondrement de l’empire ottoman.
Photo : Kurdes
irakiens sous le drapeau du Kurdistan irakien