2014-07-04 12:02:43

Vers un Kurdistan indépendant


(RV) Entretien - Alors que l’Irak est affaibli par l’offensive des djihadistes sunnites de l’Etat islamique et que le pouvoir de Bagdad est discrédité par les luttes intestines, le président du Kurdistan irakien, Massoud Barzani, a officiellement demandé jeudi au Parlement de sa province d’organiser un référendum sur l’indépendance, probablement dans les prochains mois.

Cette démarche constituerait l’aboutissement d’un processus entamé en 2003, lorsque les Etats-Unis avaient tenté, une fois le régime de Saddam Hussein renversé, de transformer l’Irak en un pays fédéral, en accordant au Kurdistan une large autonomie.

Bertrand Badie, professeur de Relations Internationales à Sciences-Po Paris, explique à Cyprien Viet que l’indépendance du Kurdistan serait un processus logique mais risque de déstabiliser la région, en stimulant les aspirations indépendantistes des Kurdes de Turquie RealAudioMP3

C’est un symptôme assez banal de décomposition d’un État qui ne parvient pas à se construire et à surmonter l’invasion américaine de 2003. C’est lorsque les États sont faibles que les processus de décomposition et de revendication identitaire viennent à s’aiguiser.
Maintenant, le problème reste entier. Et il est entier pour deux raisons : une raison interne et une raison externe. L’une et l’autre envoient la même constatation : il est très difficile de territorialiser le peuple kurde qui n’est pas concentré dans des espaces homogènes. Et donc, construire un État kurde dans l’ancien territoire irakien ou ce qui reste du territoire irakien, ça va poser une quantité de problèmes, notamment pour les deux grandes villes de Mossoul et de Kirkouk qui sont revendiquées en même temps par les Sunnites et par les Kurdes et va poser un énorme problème sur le plan régional et extérieur.
Il y a comme un jeu de contagion. L’autonomisation, la création d’un État kurde ex-irakien va poser le problème autrement plus complexe du Kurdistan turc et aussi de celui du Kurdistan iranien, sans oublier les minorités Kurdes de Syrie.
En Turquie, le phénomène est explosif parce que territorialiser les Kurdes turcs est quelque chose d’extrêmement difficile. Le faire face au nationalisme turc dans un État qui n’est pas en situation de décomposition comme en Irak, c’est effectivement une gageure et un risque réel d’explosion de toute la région.

Est-ce que cette revendication d’un Kurdistan indépendant a déjà été formulée antérieurement dans l’histoire de l’Irak ?
Il y a toujours eu une tendance dans l’histoire irakienne, d’un réduit kurde qui est plus facile à dessiner dans la mesure où il correspond à ces régions difficilement accessibles du nord et du nord-est de l’Irak. Mais la reconnaissance d’une entité kurde n’a été possible qu’à partir de 2003 lorsque les États-Unis avaient joué très maladroitement la carte de ce qu’ils considéraient comme étant une fédéralisation possible en jouant de trois entités chiite, sunnite et kurde.
C’est effectivement le point d’aboutissement de ce processus qui avait été consacré par une autonomisation institutionnalisé d’un Kurdistan irakien dont la capitale est Erbil qui fonctionne de manière très autonome par rapport à Bagdad et qui a à sa tête un chef redoutable, Massoud Barzani qui est lui-même fils de Barzani, du grand Barzani qui avait lancé le mouvement indépendantiste kurde, déjà du temps du régime baasiste.

Techniquement, qu’est-ce qui peut se passer maintenant ? Le Kurdistan irakien peut-il se séparer de Bagdad sans conflit ouvert ?
Si les nationalistes kurdes profitent de cette situation pour couper définitivement les liens avec Bagdad, finalement, ce serait tout à fait possible parce que le processus ne serait pas si complexe. Actuellement, Erbil, la capitale du Kurdistan irakien est très coupée de Bagdad.
D’un certain point de vue, Erbil est plus proche, en liaison beaucoup plus intense avec Istanbul qu’avec Bagdad. Donc là, ce pourrait être l’aboutissement d’un processus qui ne serait pas très couteux, qui ne serait même pas spectaculaire et qui viendrait pour le coup, bouleverser toute la région et porter un coup mortel à l’Irak telle qu’elle a été dessinée suite à l’effondrement de l’empire ottoman.


Photo : Kurdes irakiens sous le drapeau du Kurdistan irakien







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