(RV) Entretien - Les musulmans en Centrafrique sont toujours la cible d’attaques
de la part des milices anti-balaka. Parmi eux, la communauté peule. Peuple d’origine
nomade, ils sont aujourd’hui plus ou moins sédentarisés en RCA et les anti-balakas
attaquent directement leurs troupeaux d’élevage dans l’Est du pays. Beaucoup de Peuls
ont été contraints de fuir au Cameroun et au Tchad, mais ils se retrouvent réfugiés
dans des camps le long de la frontière. Les autres sont bloqués dans leur village
et ne peuvent pas en sortir.
L’ONG CCFD-Terre Solidaire a débloqué cette semaine
une aide d’urgence de 50 000 euros pour venir en aide à la communauté peule. Cette
somme permettra d’apporter de la nourriture, des bâches, des nattes et des produits
de première nécessité à 580 familles.
Bruno Angsthelm est chargé de mission
Afrique au CCFD. De retour de Centrafrique, il nous explique les enjeux profonds
liés à la communauté peule.
Tous les peuls
de la partie ouest ont quitté le pays et sont réfugiés au Cameroun et au Tchad. Il
reste encore quelques communautés peules et d’autres communautés musulmanes dans cette
partie qui sont dans des situations dramatiques, qui sont assiégés, qui ne peuvent
pratiquement pas sortir de leur quartier. Ils subissent des attaques régulières de
la part des anti-Balaka. Mais il y a également toute une partie des communautés peuls
dans la partie est, qui eux, continuent leurs activités. Pour nous, il y a des enjeux
profonds avec cette communauté. Il semble très fortement que cette communauté est
le symbole de la réconciliation à venir, du travail à faire sur la question du retour
parce que si les centrafricains, d’une manière générale, ont une sorte de rejet des
musulmans, les peuls restent quand même une communauté reconnue comme centrafricaine.
Donc, pour nous, au CCFD, il s’agit aussi à travers ce projet d’urgence d’envoyer
des messages à cette communauté comme quoi, elle reste concernée par la situation
centrafricaine et il s’agit également de continuer à mettre en lien ces communautés
à travers leurs représentants associatifs avec la société civile de Bangui.
Donc
pour vous, la communauté peule est un maillon essentiel pour la réconciliation future
de la nation centrafricaine ? En fait, il y a deux aspects. Pour pouvoir mettre
dans le débat national, aujourd’hui en Centrafrique, la question du retour des musulmans,
la question du retour des peuls nous paraît être une première étape, probablement
plus facile, même si la question sera très complexe. L’autre chose, c’est qu’envoyer
des messages de solidarité à la communauté peule peut mettre cette communauté en lien
avec la société civile centrafricaine. Ce serait aussi une manière de la faire participer
aux efforts de réconciliation et surtout, d’éviter à terme que cette communauté puisse
se radicaliser. Si cette communauté se sent rejetée dans les camps de réfugiés, s’ils
se sentent isolés puisqu’ils ont quand même très peu d’appui, cette communauté risque
peut-être d’être à l’écoute des messages envoyés par un certain nombre de chefs de
cette communauté, en tout cas de radicaux qui sont aujourd’hui dans la Séléka.
Vous
venez de rencontrer des leaders de la communauté peule. Quel message vous-ont t’il
fait remonter ? Quel message veulent-ils faire passer ? Le premier point,
c’est qu’il souhaite qu’on puisse bien exprimer le fait que c’est une communauté qui
est victime. Malheureusement, dans l’imaginaire, les peuls sont souvent stigmatisés,
marginalisés. On les considère souvent comme suspects, voire dangereux, agressifs.
Effectivement, certains membres de la communauté ont rejoint ces dernières années
quelques mouvements rebelles. Aujourd’hui, quelques leaders de la Séléka sont d’ailleurs
peuls. Mais ce qu’ils souhaitent dire, c’est que cette communauté est pacifique et
veut vivre en paix. Ils sont victimes, depuis des années et aujourd’hui encore, des
anti-Balaka. Il y a eu un très grand nombre de morts, de blessés et de viols. Des
communautés ont été enfermées dans des caves et brulées vifs. Ils veulent rappeler
ceci, pour eux, c’est très important, ils veulent être impliqués dans le processus
de réconciliation. Ils veulent qu’on commence à préparer le retour. Ils considèrent
que justement, il y a besoin d’une aide d’urgence, il y a besoin d’envoyer des messages
dans les communautés peules réfugiées afin que ceux-ci gardent l’espoir qu’ils soient
reconnus, finalement, dans leurs droits.