(RV) Entretien- En Birmanie, le parlement devait examiner vendredi dernier
le projet de loi anti-conversion. Une mesure qui suscite l’inquiétude de nombreuses
ONG et membres de la société civiles dans le pays.
Portée par un groupe extrémiste
bouddhiste, cette loi a pour but avoué de mettre fin à l’augmentation numérique des
adeptes de l’islam dans le pays, limitant les mariages interreligieux et prônant la
restriction des naissances pour la population musulmane. Les minorités birmanes s’inquiètent
: en avril dernier, l’archevêque catholique de Rangoun avait dénoncé « l’interférence
de l’Etat dans la conscience de chacun ».
Eclairage sur les enjeux de cette
loi et le contexte avec Régis Anouilh, rédacteur en Chef d’Eglises d’Asie,
l'agence d'information des Missions étrangères de Paris :
Le gouvernement
a été saisi, il y a plusieurs semaines de cela, par une faction de moines bouddhistes
connus sous le nom de “Mouvement 969” qui fait référence à une numérologie bouddhique
et les juristes qui sont aux côtés de ce mouvement de moines bouddhistes extrémistes
ont rédigé quatre projets de loi qui concernent notamment les mariages interreligieux,
la conversion religieuse ou bien encore le contrôle des naissances et le respect de
la monogamie en Birmanie. Et ces moines nationalistes sont en fait porteurs d’une
vision, une vision de la nation birmane et leur idée est que la nation birmane et
bouddhique (cette religion réunit les deux tiers de la population) - ils parlent même
de la race birmane- est menacée par une poussée démographique qui vient des musulmans
voisins du Bangladesh. Il y a donc une conception d’une nation assiégée et également
une nation au sens religieux, dans le sens où l’essence de la nation birmane est le
bouddhisme et cette essence serait menacée par une poussée démographique venue du
Bangladesh musulman voisin.
Quelles sont les dispositions, les modalités
que ces moines bouddhistes voudraient imposer à la population ? Les dispositions
les plus contestées concernent celles relatives au mariage. En ce sens que désormais,
une bouddhiste qui se marierait avec un musulman ou non- bouddhiste serait face à
un certain nombre d’obstacles ou en tout cas de mesures administratives qui de fait,
leur empêchent quasiment ce mariage. De même, dans le domaine de la conversion, elles
deviennent extrêmement encadrées, contrôlées et il y a une immixtion de l’État dans
ces domaines-là. Enfin, en matière de contrôle démographique, il y a déjà des mesures
en place qui visent notamment la minorité des Rohingyas que l’on connait bien parce
que c’est cette minorité de religion musulmane qui est au sud du pays, à la frontière
du Bangladesh qui est toujours victime d’une discrimination féroce de la part des
autorités locales et qui a été victime de pogroms. Cette minorité a déjà assuré des
mesures de restriction démographique puisque la taille des foyers est limitée à deux
enfants par femme et là encore, ces mesures seraient reformées. Il y a un dernier
point concernant la polygamie. La polygamie était hors-la-loi en Birmanie mais ces
textes viendraient renforcer cette volonté de maintenir la monogamie comme régime
normal des couples en Birmanie. C’est un ensemble de mesures relativement techniques
mais qui ont toutes les mêmes buts : elles s’orientent vers cette volonté de préserver
la nation, la race et la religion de la Birmanie.
Ces moines du « Mouvement
969 » que vous avez évoqué toute à l’heure, est-il possible de mesurer leur influence
au sein de la société ? Cette influence, elle est diffuse mais elle est de
plus en plus importante. Il y a quelques semaines, j’avais cité dans une de mes dépêches
pour « Églises d’Asie », l’archevêque catholique de Rangoon, Mgr. Charles Bo qui s’inquiétait
du fait que lorsqu’il allait en tournée, en visite dans son diocèse, dans des villages
un petit peu reculés de la campagne, il entendait des haut-parleurs installés dans
les pagodes bouddhiques du voisinage, des prêches haineux visant effectivement à mettre
en garde la population contre ce raz-de-marée musulman supposé. Il y a donc un discours
de haine qui se diffuse dans la société actuellement. Quant à savoir si ces moines
représentent l’ensemble de l’opinion, il est difficile de le savoir dans la mesure
où la démocratie est toute neuve et encore très embryonnaire, d’une certaine manière,
en Birmanie. Les élections générales en 2015 se profilent. Aujourd’hui, en Birmanie,
on est quasi dans un climat de campagnes pré-électorales et les différents acteurs
se positionnent.
Photo : Le moine bouddhiste Wirathu,
accusé d'incitation à la haine envers la minorité musulamne de Birmanie.