Anne-Marie Pelletier, fière pour toutes les femmes
(Radio Vatican) - Entretien L’annonce a été faite mardi : la bibliste française
Anne-Marie Pelletier remporte le prix Ratzinger 2014, devenant ainsi la première femme
lauréate de ce prestigieux prix de théologie, qu’elle partage avec le père Waldemar
Chrostowski, prêtre polonais, engagé dans le dialogue entre catholiques et juifs.
Mère
de trois enfants, agrégée de Lettres Modernes, docteur en Sciences des religions,
Anne-Marie Pelletier, outre son travail d’exégèse, s’est également illustré ces dernières
années pour sa réflexion sur le rôle et la place des femmes dans l’Eglise et dans
le christianisme.
Jointe par téléphone, Anne-Marie Pelletier réagit
à cette récompense, et nous évoque ses thèmes de recherche :
Écoutez,
je dirais que c’est un grand étonnement, une grande surprise, avec bien sûr de la
gratitude. Mais je me dis que tellement d’autres, et en particulier tellement d’autres
femmes auraient d’autres titres à faire valoir que moi. Alors je me dis « pourquoi
moi ? ». J’ai une grande admiration pour ce que vivent les femmes d’une façon générale,
et dans l’Église en particulier. Et c’est pour ça que recevant cette distinction,
je pense aux autres et j’étends l’honneur qui m’est fait aux autres femmes dans l’Église.
En vous conférant ce prix, la fondation Ratzinger a voulu saluer de
manière particulière vos travaux sur le rôle et la place de la femme dans l’Église
et dans le christianisme. Est-ce que par rapport à cette thématique très sensible
et très importante, vous avez pu noter une évolution des mentalités au cours de ces
dernières années ? Ma réponse est résolument positive. Alors, je sais bien
que beaucoup d’autres femmes et moi quelques fois, ont le sentiment de certains piétinements,
parfois même de reculs, mais je crois qu’il faut être attentif à ce qu’il se passe
au fil des années, et qui fait que les femmes sont tout de même de plus en plus reconnues
dans l’Église et de ce qu’elles font et du coup, elles reçoivent des responsabilités
qui n’étaient pas pensable il y a encore quelques décennies. Alors, on peut considérer
que tout cela est insuffisant et je serai assez prête, dans certains cas, à le reconnaître
mais moi j’ai tendance à vivre dans la confiance et à prôner en la matière une certaine
patience en appuyant justement sur tout ce qui positivement, se met en place depuis
le Pape Jean-Paul II en particulier, confirmé par le Pape Benoît XVI et aujourd’hui
par le Pape François.
Vous parlez donc d’une évolution positive en
général. Pouvez-vous me donner des exemples ? Écoutez, tout simplement si je
me réfère à mon lieu d’enseignement, les femmes enseignent aujourd’hui. Et des femmes
enseignent à des séminaristes. Donc, elles contribuent à la formation de ce qui sera
le clergé de demain. Des femmes sont chercheuses en théologie et là aussi, elles apportent
une contribution, me semble-t-il, importante parce qu’on ne pense pas exactement de
la même manière quand on est homme et quand on est femme. On fait la même théologie
mais en même temps, une théologie un petit peu différente. Et puis, je constate, dans
l’Église de France, par exemple, dans l’espace de ces derniers jours, je vois des
femmes qui sont nommées à des postes importants. Tout récemment, l’amitié judéo-chrétienne
vient d’être confiée à Jacqueline Cuche, qui remplace un prêtre. Alors, il ne s’agit
pas de prendre la place les uns des autres. Je ne suis pas du tout dans cette logique
de pouvoir et même de redistribution des places mais je crois que ça veut dire quelque
chose, de l’ordre d’une reconnaissance et d’une confiance qui est faite aux femmes.
L’été dernier, dans l’avion qui le ramenait de Rio à Rome, le Pape François
avait exprimé le souhait que les femmes aient un rôle plus décisif dans l’Église.
Comment interprétez-vous cette déclaration ? J’ai reçu, là aussi bien sûr
avec gratitude, ces mots du Pape François qui me semblent intéressants d’autant plus
que nous ne partons pas de rien. Le texte Mulieris dignitatem, à la fin du siècle
dernier, a marqué une date importante. Donc, une évolution s’est amorcée. En même
temps, le Pape François arrive et il semble toujours remettre à plat d’une certaine
manière et nous dire « il y a un chantier à ouvrir ». Ce qui veut dire que des choses
ont été faites mais il en reste encore beaucoup à faire. Cette place décisive pour
moi, telle que je la comprends en lisant le Pape François, justement, ce n’est pas
simplement une question de poste hiérarchique, de reconnaissance institutionnelle.
Alors, il y a certainement de cela, mais il y a aussi dans mon esprit et je pense
être à peu près fidèle à ce que lui-même nous dit, il y a la nécessité que nous arrivions
à penser une ecclésiologie intégrale où les femmes aient leurs places plénières et
jouent le rôle de signe de ce qu’est la vie chrétienne dans sa réalité la plus fondamentale,
de ce qu’est la vie baptismale. Elles n’ont pas de sacerdoce ministériel, elles ne
l’auront pas mais du coup, elles deviennent, je crois, les témoins de ce trait fondamental
qui est la grâce de la vie chrétienne et dont elles ont la plénitude. Elles doivent
rappeler à tous dans l’Église, y compris à ceux qui ont donc des responsabilités hiérarchiques,
que c’est ça au fond le centre de gravité de la foi chrétienne et de la vie chrétienne.