Syrie : l'amertume et la colère de Carla del Ponte
(RV) Entretien - Présentation ce mardi 17 juin du dernier rapport de la Commission
d’enquête de l’ONU sur les violations des droits de l’Homme en Syrie, devant le Conseil
des droits de l’Homme à Genève. Le texte souligne de nouvelles exactions commises
à travers tout le pays, trois ans après le début de la guerre. De nouvelles preuves
sont apportées à la connaissance du grand public et de la communauté internationale.
Malgré cela, Carla Del Ponte, membre de cette commission, et ancienne
procureur du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et du tribunal pour
le Rwanda, est amère et en colère face à l’inertie de la justice internationale
et des principales puissances. Un entretien réalisé à Genève par Catherine Fiankan-Bokonga
Voyant le
cumul de preuves qu’on a, on pourrait déjà sortir des actes d’accusation, on pourrait
déjà commencer un très bon travail. Ce qui serait naturellement une aide énorme pour
arriver à une négociation parce que si vous avez les hauts responsables politiques
militaires qui sont sous mandat d’arrêt international, naturellement, les négociations
se facilitent. On a eu l’exemple de l’Ex-Yougoslavie. Quand on voyage dans les pays
limitrophes et qu’on rencontre toutes ces victimes avec leurs souffrances, on voit
qu’on est en train de détruire un État. Il y aura toute une génération de jeunes gens
qui seront traumatisés, ce sera vraiment une catastrophe, une tragédie, un désastre.
Alors, je me dis « Mais pourquoi la Communauté Internationale n’intervient pas, ne
fait pas quelque chose ? ». Pourquoi ne pas commencer avec la justice ? C’est un
petit pas qu’on peut faire pour une paix durable. Mais je ne sais pas, il n’y a pas
de volonté politique. Je me demande le pourquoi et je n’ai pas de réponse.
Par
le passé, vous vous êtes occupée du tribunal pour l’Ex-Yougoslavie. On est toujours
intervenu au niveau justice, que ce soit pendant le conflit pour la Yougoslavie ou
après le conflit pour le Rwanda. Que se passe-t-il ? On a de l’expérience maintenant.
Pas seulement de l’expérience, on a fait de grands pas en avant en ce qui
concerne la justice internationale, jusqu’au cas de la Syrie. C’était un grand succès.
Alors, retournons à la deuxième guerre mondiale. Pendant 50 ans, il n’y a rien eu.
Et puis tout à coup, la justice internationale a vu sa naissance avec les tribunaux
internationaux et maintenant, la Cour Permanente. Alors, je me demande maintenant
le pourquoi de la Syrie. Pourquoi fait-on marche-arrière ? J’espère vivement que ça
va changer dans quelques semaines, dans quelques mois parce que la gravité et la tragédie
de ce qui se passe en Syrie peut être vue par tout le monde et j’espère vivement que
ça va changer.
La Commission n’arrête pas de marteler que seule une solution
politique peut permettre de résoudre ce conflit, d’arrêter la violence. Est-ce que
vous pensez sincèrement que ce conflit peut s’arrêter sans instrument de justice mis
à disposition des supposés personnes impliquées ? Moi personnellement, je
suis contre la guerre. Donc, s’il n’y a pas de guerre, il y a seulement les négociations
et c’est pour cela que la Commission reste sur les négociations. Mais effectivement,
on est à un point mort. Deux négociateurs ont déjà donné leur démission. Si aujourd’hui,
la négociation n’est pas encore possible, à plus forte raison, il faut marcher avec
la justice. C’est-à-dire ayant une institution judiciaire qui commence un petit grand
travail qui porte certainement à la paix. Malheureusement, on n’en est pas encore
là mais on espère.
Sur le terrain, les combats se poursuivent notamment
entre une partie des rebelles, notamment le Front Al Nosra, et l’Etat islamique en
Irak et au Levant. Cette guerre dans la guerre aurait fait plus de 6 000 morts depuis
le début de l’année.