Chine : la question ouïghoure révèle des dissensions au sein du Parti communiste
(RV) Entretien- L’attaque était spectaculaire : en octobre dernier, en plein
cœur de Pékin, une voiture chargée de bidons d’essence fonçait contre l’entrée de
la Cité interdite, où trône le célèbre portrait de Mao Tsé-toung. L’attentat faisait
2 morts et 40 blessés.
Lundi, la Chine a condamné à la peine capitale 3 personnes,
qualifiées de « terroristes », pour complicité dans l’attaque. Les noms des trois
accusés avaient une consonance ouïghoure, cette minorité qui rejette la tutelle de
Pékin. C’est à elle que les autorités attribuaient une autre attaque, celle, le mois
dernier à Urumqi, la capitale régionale du Xinjiang, dont les Ouïghours sont la première
ethnie. Elle faisait une trentaine de victimes.
Pour Emmanuel Lincot, fondateur
de la Chaire des Études Chinoises Contemporaines au sein de l’Institut catholique
de Paris, cette problématique ouïghoure cache en fait les dissensions au sein
du Parti communiste.
Ecoutez-le, interrogé par Antonino Galofaro :
Quelle est
l’organisation qui commandite ces attentats? On n’en sait absolument rien. Dans un
contexte aussi opaque qui est celui de la Chine et de son régime politique, tout est
ouvert par rapport à l’interprétation qu’on peut en faire. Or, il y a une lutte de
factions au sein du pouvoir communiste chinois. Il peut très bien s’agir aussi d’une
tentative d’instrumentalisation d’un certain nombre de caciques chinois faisant porter
la responsabilité d’un certain nombre d’attentats à des ouïghours. Ce qui me trouble
beaucoup, c’est que l’attentat survenu à Urumqi est survenu dans un marché qui est
fréquenté par des ouïghours eux-mêmes et notamment par des personnes âgées. Donc,
on ne voit pas très bien la logique d’une telle opération. Des ouïghours tuant des
ouïghours, mais pourquoi ? Ce qui me trouble dans cet évènement, c’est la grossièreté
même de la mise en scène. Je trouve cela fait d’une manière presque amateur.
Quel
serait le but de cette instrumentalisation par des factions au sein du pouvoir ? Xi
Jinping a été élu par le Police Bureau, c’est-à-dire six autres membres avec la majorité
absolue des voix. Et en même temps, il ne faut se faire d’illusions, il y a des luttes
de pouvoir très fortes en amont entre le clan supporter du président sortant et notamment
l’ancien président Jiang Zemin qui a longtemps soutenu Bo Xilai dont la destitution
a fait grand bruit en Chine avant même le commencement, l’année dernière, de l’ouverture
du, 18°congrès du Parti Communiste chinois. L’assisse même de Xi Jinping n’est pas
totalement assurée et aujourd’hui encore, continue un travail de sape, de purge au
sein même du parti entre ces deux factions, l’une incarné par ce qu’on appelait la
nouvelle gauche avec Bo Xilai à sa tête et Xi Jinping, par ailleurs considéré comme
un réformateur, même si, bien sûr, ce genre de classification ne correspond absolument
pas aux réalités politiques européennes.
Et la problématique ouïghoure
dans tout ça ? Au-delà de ce problème, le problème ouïghour est une revendication
identitaire d’une minorité qui se sent évidemment spoliée dans ses droits. Donc, c’est
un problème global et à cela s’ajoute un autre problème qui touche en réalité l’ensemble
de la Chine et de ses régions, c’est la question de l’exploitation ouvrière. Ce que
redoute par-dessus tout les autorités chinoises, c’est un embrassement de la situation
comparable à celle de 2009 à Urumqi, précisément, où il y avait eu plusieurs centaines
de morts. Et cela était lié en amont en fait à des rivalités entre ouvriers Han, chinois
et ouïghours de cantons, à des milliers de kilomètre de Urumqi. À la suite de
ces rixes, via les réseaux sociaux, internet, twitter, etc, les ouïghours de cantons
en avait appelé à la révolte auprès de leurs concitoyens ouïghours d’Urumqi et des
autres grandes villes du Xinjiang. La question ouïghoure est une question de fond
qui touche encore une fois l’ensemble de la société chinoise, c’est-à-dire que le
développement économique effréné ne fait pas que des heureux.
Photo
: A Urumqi, capitale du Xinjiang, le procès des auteurs présumés de l'attentat contre
l'entrée de la Cité interdite, en octobre 2013.