(RV) Son voyage en Terre Sainte, l'invocation pour la paix de dimanche dernier. Les
relations des chrétiens avec les juifs ou son point de vue sur le fondamentalisme,
ou encore l’indépendance de la catalogne. Dans une longue interview réalisée lundi
dernier et publiée ce vendredi par le journal catalan La Vanguardia, le Pape
répond sans ambages à plus d’une vingtaine de questions parfois très personnelles.
« Quand j’ai eu 75 ans, j’ai présenté ma démission à Benoît XVI ».
Le pape confirme avoir une chambre réservée « dans une maison de retraite pour
prêtres » en Argentine. C’était bien sûr, avant la renonciation du Pape allemand,
le conclave et son élection. Vous avez changé beaucoup de choses, des projets
? Le Pape dit « ne pas être un illuminé ». « Je n’ai pas de projet personnel
(…) Je suis venu avec une petite valise de Buenos Aires » et « ce que je fais, c’est
mettre en œuvre ce à quoi nous avons réfléchi lors des congrégations générales »,
et comme cela a été recommandé alors : de me faire « conseiller par des équipes extérieures
au Vatican ».
Le Pape François, un révolutionnaire ? Non, pour lui « la
grande révolution c’est d’aller aux racines de les reconnaitre et de voir ce qu’elles
ont à dire aujourd’hui ». Pour faire des « vrais changements, il faut savoir
d’où on vient, comment on s’appelle, quelle est sa culture et sa religion », explique-t-il
. Pape ou pasteur ? « Je ne joue pas au pape-pasteur ». « Servir les gens
est ancré au plus profond en moi, comme d’éteindre la lumière pour faire des économies
(…) mais dans le même temps, je me sens Pape. Je fais les choses avec sérieux ».
« Mes collaborateurs sont sérieux et professionnels (…) Quand un chef d’État vient,
je veux le recevoir avec la dignité et le protocole qu’il mérite ». François reconnait
cependant « avoir des problèmes avec le protocole, mais « tache de le respecter
».
Pas toujours évident, notamment en voyage. Le Pape fait allusion à
sa papamobile blindée des JMJ de Rio : « Comment voulez-vous que je dise aux gens
que je les aime depuis une boite à sardine », s’interroge le Pape. Il y a des
risques, mais il s’en remet à Dieu. En outre, ajoute-t-il, « A mon âge, je n’ai
pas beaucoup à perdre ». Comment aimeriez-vous qu’on se souvienne de vous
? Comme d’un bonne personne qui a fait du mieux qu’il a pu. « Cela me réconforte
quand j’entends quelqu’un dire cela », explique le Pape. Comment considérer vous
la renonciation de Benoît XVI ? Un geste « très grand ». « Il a ouvert une
porte » et poursuit-il, « je demanderais moi aussi au Seigneur de m’illuminer
lorsque le moment sera venu ».
Le modèle économique actuel alimente
une culture de l'exclusion
Dans cette longue interview, une question concerne
le rôle de l’Eglise pour réduire le fossé séparant les pauvres des riches. Ce sera
la réponse la plus longue du Pape François. Comme il l’a déjà fait par le passé, le
Pape dénonce le système économique mondial d’aujourd’hui. « Je crois qu’il n’est
pas bon ». Il laisse des enfants mourir de faim alors qu’il y a suffisamment à
manger. Il met de côté les jeunes et les personnes âgées. Avec la « culture
de la mise à l’écart », on « limite la natalité », mais ce système économique
laisse aussi « 75 millions de jeunes chômeurs ». « Un scandale » pour
le Pape. Les forces vives et la mémoire des peuples sont mis à l’écart. Les personnes
âgées sont considérées comme « une classe passive », qui ne « produit pas
». Le pape plaide pour que l’homme soit remis au centre de l’économie. La mondialisation
peut être une richesse, mais il proteste : « les grandes économies mondiales sacrifient
l’homme sur l’autel de l’argent roi ». Il s’emporte contre « la pensée unique
» et un système qui permet à la guerre de survivre. « Comme on ne peut pas aire
de troisième guerre mondiale, on fait des guerres locales ».
Un vrai
chrétien doit connaître ses racines juives
Pourquoi avez –vous voulu aller
dans l’ouragan qu’est le Moyen-Orient ? l’interroge le journal La Vanguardia. « Le
véritable ouragan, en raison de l’enthousiasme soulevé, fut la Journée mondiale de
la jeunesse l’an passé », répond le Pape qui accepte volontiers d’évoquer son
voyage en Terre sainte. Le mandat du président israélien s’achevait, et l’invitation
de Shimon Peres a « précipité le voyage ». Pourquoi est-ce important pour
un chrétien d’aller en Terre sainte : « Pour la révélation. Pour nous c’est là
que tout a commencé. C’est comme le Ciel sur la terre ». Un geste que le monde
a retenu de ce déplacement apostolique. L’accolade avec ses amis rabbin et musulmans
devant le mur des Lamentations. « Qui sait si cette amitié entre nous trois sera
perçue comme un témoignage ? » Une prière… Autre question « vous avez dit que
dans chaque chrétien, il y a un juif ». François corrige : « il serait plus
juste et sérieux de dire « qu’on ne peut pas être un vrai chrétien si on ne reconnait
pas ses racines juives », « au sens religieux », précise le Pape.
« Je
crois que le dialogue inter-religieux doit plonger dans la racine juive du christianisme
et dans la floraison chrétienne du judaïsme ». Je comprends que ce soit un défi
poursuit le Pape, « une patate chaude », mais on « peut le faire entre frères
».
L'antisémitisme, Pie XII, la Terre Sainte
Comment voyez-vous
l’antisémitisme ? « Je ne saurais l’expliquer ». Le Pape dénonce l'antisémitisme
qui « réside dans les courants politiques de droite plutôt que de gauche ». «
Il y a encore aujourd'hui des négationnistes de la Shoah. Une folie. » Vous
avez pour projet d’ouvrir les archives vaticanes sur l’holocauste. « Cela apportera
beaucoup de lumière », confirme le Pape.
Des préoccupations ? Ce qui me
préoccupe c’est la figure de Pie XII. « Le pauvre, il ont tiré tous sur lui à boulet
rouge ». Or, François rappelle qu’il s’agit d’un « grand défenseur des juifs
». Plusieurs exemple sont cités. « Il en cacha dans les couvents de Rome dans d’autres
villes d’Italie et même dans la résidence d’été de Castel Gandolfo (…) Dans sa propre
chambre, 42 bébés de personnes juives ou d’autres réfugiés sont nés ». « Je
ne veux pas dire que Pie XII n’a pas fait d’erreur, moi-même j’en fait beaucoup,
mais son rôle doit être lu dans le contexte de l'époque. » Le Pape avoue « avoir
une sorte d’urticaire existentiel » quand il voit « tout le monde s’en prendre
à l’Église et à Pie XII ».
Retour sur le voyage en Terre sainte et la
rencontre avec le patriarche de Constantinople. Sa venue à Jérusalem et au Vatican
pour la rencontre de prière de dimanche, « fut un pas risqué » explique le
Pape. « Certains pourraient le lui reprocher », mais il a accompli « ce
geste d’humilité », pour nous « nécessaire » car il n’est pas concevable que
nous chrétiens nous soyons divisés. C’est un péché historique que nous devons réparer
».
Persécution des chrétiens, des chiffres en hausse
Parmi les
autres sujets abordés, la persécution contre les chrétiens. Le Pape assure qu’il y
a plus de martyrs aujourd’hui que par le passé. « Ce n’est pas de la fantaisie,
mais des chiffres. » Sur le fondamentalisme religieux, meurtrier ou non, il est
« violent » puisque « sa structure mentale » est la violence au nom
de Dieu. Il précise que les trois religions monothéistes ont des groupes fondamentalistes,
qui représente un petit nombre.
Les séparatismes, à prendre avec des pincettes
Interrogé
par un journal et une télévision espagnoles, le pape donne son point de vue sur une
possible indépendance de la Catalogne. « Toute division me préoccupe ». François
souligne la différence, selon lui, entre les indépendances menées par d'anciennes
colonies qui s'émancipent, comme dans les pays d'Amérique latine, et les séparatismes
comme dans le cas de l'ex-Yougoslavie. Et à ce propose, le pape commente : « évidemment
il y a des peuples avec des cultures si diverses que même avec de la colle il est
difficile de les raccrocher ». « Il faut voir au cas par cas. L'Ecosse, la
Padanie, la Catalogne. Il y a des cas qui seraient justes et des cas qui ne le seraient
pas, mais la sécession d'une nation sans un passé d'unité forcée, il faut la prendre
avec beaucoup de pincettes ».