Rencontre avec le cardinal haïtien Chibly Langlois
(RV) Entretien - Le Cardinal Chibly Langlois, évêque des Cayes en Haïti a achevé
ce mercredi une visite à Rome, à l’occasion de sa prise de possession samedi dernier
du titre de St.Jacques in Augusta. Le Pape Francois l’avait élevé au rang de cardinal
le 12 janvier dernier, quatre ans jour pour jour après le terrible séisme qui avait
dévasté l’île faisant plus de 200 000 morts. Il est le premier cardinal haïtien de
l’histoire.
Lors de sa première messe en tant que cardinal il a déclaré vouloir
être proche de la population et il a exhorté les fidèles à s'unir pour sortir le pays
de la pauvreté. Un fléau qu’il combat jour après jour. Le cardinal Langlois a par
ailleurs été appelé à jouer le rôle de médiateur afin de mettre un terme à la crise
politique. Il est notamment intervenu pour favoriser la signature d’un accord prévoyant
la tenue d’élections législatives. Le premier tour de ce scrutin aura lieu le 26 octobre
prochain. L’annonce a été faite officiellement par le gouvernement haïtien ce mardi.
Au
micro d’Hélène Destombes le cardinal Langlois s’attarde sur la situation politique
mais aussi économique et sociale dans le pays
Sur le plan
social, les gens ont de très grandes difficultés à pouvoir prendre en charge leurs
responsabilités. Il y a beaucoup d’inquiétude au niveau de la société. Sur le plan
économique, on sait très bien qu’Haïti est un pays où on ne peut pas répondre à tous
ces besoins. Donc, beaucoup de familles souffrent et connaissent des situations économiques
très difficiles. Je crois que c’est une grande responsabilité de la part des hommes
du gouvernement mais également de la part des responsables de toutes les institutions
de se mettre ensemble afin d’aider le pays à sortir de cette situation.
Une
grande pauvreté, un taux de chômage élevé, des problèmes de santé. Dans quelle mesure
l’Église peut-elle contribuer à améliorer le quotidien des Haïtiens, à être présente
aux côtés de cette population qui souffre ? Bien entendu, l’Église en Haïti
est présente un peu partout dans le pays. Et cet engagement se fait au niveau de toutes
nos institutions, de nos paroisses et des instituions qui travaillent également au
niveau de la justice comme la justice et la paix, la Caritas, l’éducation. Nous sommes
sur tous les fronts. Mais l’engagement de l’Église, c’est également auprès des acteurs
politiques. La dernière fois, nous avons aidé les acteurs à pouvoir se mettre ensemble
pour réfléchir sur la situation et essayer de trouver une sortie de crise sur le plan
politique. D’autant plus que nous sommes maintenant dans une situation où l’on doit
avoir les élections dans le pays. Ça nous préoccupe beaucoup parce que nous ne voulons
pas arriver à une crise intenable dans le pays. Donc l’Église s’est mise au service
de la société, au service des institutions pour que l’on puisse vraiment aider à changer
la vie de toute la société.
Cette médiation a abouti à une annonce, ce mardi,
de législatives pour l’automne prochain. Vous avez joué un rôle important dans cette
décision ? Bien entendu, comme personne, moi, oui. Mais c’est surtout la Conférence
des Evêques. Et c’est au nom de la Conférence des Evêques, au nom de l’Église que
j’ai joué ce rôle de médiation entre les acteurs politiques. Ce qui en est ressorti,
c’est un accord pour avoir des élections cette année, des élections crédibles dans
une atmosphère qui inspire confiance. Après la signature de cet accord, il y a eu
des difficultés à pouvoir l’appliquer. On a pu comprendre que ça a demandé beaucoup
de patience pour que les acteurs puissent se mettre d’accord sur l’application de
cet accord. À présent, nous donnons un accompagnement afin que l’on puisse vraiment
arriver à cet objectif : avoir des élections cette année.
Cette annonce
du gouvernement concernant la tenue de législatives en automne prochain ne satisfait
pas l’opposition et une partie des Haïtiens qui réclament la démission du président.
On peut malgré tout s’attendre à un apaisement de la situation ? S’il y a
de la bonne volonté de part et d’autre, surtout de la part du Parlement, je crois
qu’on peut s’attendre à des résultats positifs. Mais nous devons provoquer ces résultats
positifs par la voix de Radio Vatican. J’invite les acteurs à pouvoir se concerter
pour vraiment arriver à ces élections qui seront salutaires pour le pays.
Ces
dernières semaines, les manifestations anti-gouvernementales se sont multipliées à
Port-au-Prince. La crise politique est avant tout liée à un problème de gestion des
biens et des ressources ? La gestion des biens a toujours posé problème dans
le pays. On doit développer, on doit enseigner le sens du bien commun. C’est à cause
de ce manque-là que beaucoup de gens souffrent dans le pays. Ce n’est pas seulement
la question politique, c’est également la question économique qui provoque parfois
des manifestations. Donc, il est important que les acteurs, les responsables du pays
prêtent attention à la gestion du bien commun afin que les pauvres puissent également
trouver la possibilité de vivre, d’espérer dans le pays parce qu’il y a une majorité
pauvre qui souffre.
Quatre ans après le terrible séisme qui a ravagé l’île,
quels sont aujourd’hui les principaux défis ? Il y a plein de défis sur le
terrain. On s’en tient d’abord à la reconstruction. Nous en sommes encore très loin,
nous n’avons pas encore reconstruit d’Église dans la capitale. Jusqu’à présent, on
cherche encore à faire des études, on cherche encore à pouvoir s’organiser pour pouvoir
commencer la reconstruction. Donc, il y a plein de défis à ce niveau-là pour la reconstruction
de nos Églises, de nos presbytères, de certaines écoles et nous devons encore chercher
de l’argent pour reconstruire. Mais après le tremblement de terre, il y a également
la difficulté de la part de plusieurs familles à pouvoir survivre. La situation économique
du pays a empiré. Quatre ans après, nous avons encore besoin d’être accompagnés, d’être
assistés à certains niveaux. D’un autre côté comme Église, nous faisons ce qui est
à notre portée, ce qui est possible mais nous sommes limités dans nos moyens.
L’attention
aux pauvres, c’est une des questions au cœur du pontificat du Pape François. Vous
vous sentez soutenu par le Saint-Père ? Tout Haïti a reçu ma nomination comme
cardinal comme un signe de la part du Pape François pour accompagner Haïti, être proche
d’Haïti, un pays où il y a en majorité des pauvres. Cela signifie que l’Église est
constituée en majorité de pauvres. Donc, notre accompagnement, c’est particulièrement
un accompagnement auprès des gens qui souffrent, des pauvres, des malades. Je me sens
effectivement accompagné, soutenu de la part du Pape François dans le travail, dans
la mission que nous avons en Haïti. Ca donne la possibilité de continuer à espérer.