(RV) Entretien - C’est un procès très médiatique qui s’est ouvert ce mercredi
matin à Pau dans le sud-ouest de la France: celui devant les assises d’un médecin,
le docteur Patrick Bonnemaison, accusé d’avoir empoisonné sept patients en fin de
vie. L’accusé risque la réclusion criminelle à perpétuité.
Derrière l’affaire,
la question délicate de la fin de vie et de l’euthanasie ressurgit. Mais attention
à ne pas confisquer ce débat derrière un fait divers, c’est la mise en garde de Sylvain
Pourchet, médecin responsable de l’unité des soins palliatifs à l’hôpital Paul
Brousse de Villejuif près de Paris
C’est vraiment
un procès d’une grande complexité qui mérite vraiment qu’il y ait de la sérénité et
qu’on évite toute forme de confusion. Un procès, c’est juger un homme pour des faits
précis au regard de la loi et cela ne relève pas d’un débat national. Le débat national,
il a lieu ailleurs. Lui aussi, il a besoin de sérénité. Il a lieu ailleurs, dans d’autres
instances et le débat national a pour vocation de faire évoluer la loi ou non, c’est-à-dire
que le débat national s’adresse au cas général et pas au cas particulier, comme c’est
le cas du procès.
Donc, on ne peut pas demander aux jurés ou attendre du verdict
d’un procès, une conséquence à en tirer en terme d’évolution législative. Cela serait
vraiment confondre les enjeux et pourrait nuire à l’intérêt de la procédure judiciaire
et à l’intérêt du débat national. La révision des lois de bioéthique, on en parle
depuis plusieurs années maintenant et un certain nombre de travaux se font justement
dans un climat de sérénité. Et j’observe qu’on parle assez peu de l’évolution de ces
travaux alors que c’est plus là que doit se nourrir la réflexion et l’opinion nationale.
On parle essentiellement de ces questions de la fin de vie à l’occasion de faits divers,
c’est-à-dire à l’occasion de situations qui ne sont pas des situations majoritairement
rencontrées par les patients.
Quand on parle de fin de vie, on parle aussi
de soins palliatifs. Vous êtes très engagé dans ce combat mais on a l’impression que
cela fait dix ans qu’on dit que les soins palliatifs ne sont pas suffisamment développés.
Quel est votre point de vue ? Les soins palliatifs restent insuffisamment
développés. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les différentes études ou rapports.
Le dernier en date vient de l’observatoire national de la fin de vie qui estime quand
même à 150 000 personnes chaque année, le nombre de patients qui relèvent d’une prise
en charge palliative et qui ne la reçoivent pas. C’est-à-dire qui relèvent finalement
d’un traitement qui existe et qui pourrait les soulager et qui ne les reçoivent pas.
Donc oui, on est quand même sur des questions en terme de santé publique qui sont
d’un autre ordre. Une fois que l’on pose ce point, il ne faut pas non plus noircir
le tableau et le fait est que depuis dix ans, il y a réellement sur le terrain, de
profondes avancées dans le déploiement des soins palliatifs. Compte tenu de l’inertie
qu’il y a entre le moment où l’on prend une décision et le moment où les professionnels
de santé vont être finalement formés, ce temps d’une dizaine d’années n’est pas choquant.
Il faut maintenant presque trois, quatre ans pour former une infirmière et il en faut
en moyenne une dizaine pour former un médecin. Entre le moment où on décrète quelque
chose et le moment où ça se déploie sur le terrain, il y a du temps qui se passe.
On dit souvent que la loi Leonetti est la meilleure ou en tout cas, la
moins mauvaise en ce qui concerne la fin de vie. Est-ce que vous pensez qu’il faut
réaménager cette loi comme le demandent certains ou au contraire tout simplement faire
en sorte qu’elle soit mieux appliquée ? La loi Leonetti, c’est une loi d’équilibre
et c’est une loi de liberté. Je pense que s’agissant de l’offre de soins, la loi Leonetti
a parfaitement répondue aux attentes. En revanche, je pense qu’il y a un débat qui
peine à s’ouvrir et qui est un débat honnête sur le front des questions d’aide à mourir,
de suicide assisté ou d’euthanasie et qu’en essayant de confondre le débat sur la
position de la médecine dans la fin de vie, on confond loi et éthique. Et la position
de la société vis-à-vis des demandes d’aide à mourir, ça, c’est à mon avis un débat
qui n’est pas ouvert. Je pense que les soins palliatifs sont la réponse médicale
aux problèmes de fin de vie et qu’en cela, on a une offre qui est satisfaisante et
qui reste à développer davantage car elle est encore insuffisamment développée. Après,
on a une vraie question qui est une question d’ordre social qui ne concerne pas la
médecine en tant que telle. Lorsque les citoyens demanderaient à être aidé à mourir
quand ils le trouveraient opportun de le faire, est-ce que la société accepterait
d’organiser, de planifier la mise à mort d’une certaine partie de sa population ?
Et du coup, ça, c’est un sacré débat. Il est social et je trouve qu’à force de contourner
la question, de la confondre avec des questions d’ordre plus médicale, finalement
on a un peu un sentiment d’enlisement et peut-être de confusion qui ne permet pas
d’avancer.
Vous faites partie du collectif « Plus digne la vie » qui rassemble
de nombreux professeurs, chercheurs et intellectuels. Quel regard portez-vous sur
l’évolution de ces lois bioéthiques en France concernant la fin de vie ? On sait qu’il
y a beaucoup d’inquiétude, par exemple quand on regarde la Belgique. Est-ce que vous
pensez qu’on peut arriver à ces extrêmes en France ? L’essence du collectif,
c’est vraiment d’alerter effectivement sur les risques de dérives et de remettre le
débat là où il doit être, c’est-à-dire au cœur de l’espace public, de l’espace social.
Il y a pas mal d’avancées qui ont été faites avec les conférences citoyennes, etc.
Je pense que la procédure n’est pas aboutie. Est-ce qu’il y a des risques de dérives
en France comme celles qui semblent émerger en Belgique ? Oui, je pense qu’on est
dans une situation où les opinions sont très sensibles, très fragiles, très inquiètes
du contexte général et que ça, ça peut donner l’impression que des solutions simples
comme l’euthanasie pour ne pas dire des solutions simplistes répondent à des grandes
questions de l’humanité, des questions qu’on a connues de tout temps et qui sont la
source des angoisses humaines auxquelles chaque époque a essayé de répondre du mieux
qu’il pouvait. Le mieux qu’il pouvait n’étant pas forcément le mieux tout court.
Vous
pensez que le législateur courre un risque d’une fuite en avant ? Le législateur,
dans une société qui va très vite courre toujours le risque d’une fuite en avant sur
des sujets qui méritent de prendre du temps.