2014-06-11 15:37:24

Le débat sur la fin de vie ressurgit en France


(RV) Entretien - C’est un procès très médiatique qui s’est ouvert ce mercredi matin à Pau dans le sud-ouest de la France: celui devant les assises d’un médecin, le docteur Patrick Bonnemaison, accusé d’avoir empoisonné sept patients en fin de vie. L’accusé risque la réclusion criminelle à perpétuité.

Derrière l’affaire, la question délicate de la fin de vie et de l’euthanasie ressurgit. Mais attention à ne pas confisquer ce débat derrière un fait divers, c’est la mise en garde de Sylvain Pourchet, médecin responsable de l’unité des soins palliatifs à l’hôpital Paul Brousse de Villejuif près de Paris RealAudioMP3

C’est vraiment un procès d’une grande complexité qui mérite vraiment qu’il y ait de la sérénité et qu’on évite toute forme de confusion. Un procès, c’est juger un homme pour des faits précis au regard de la loi et cela ne relève pas d’un débat national. Le débat national, il a lieu ailleurs. Lui aussi, il a besoin de sérénité. Il a lieu ailleurs, dans d’autres instances et le débat national a pour vocation de faire évoluer la loi ou non, c’est-à-dire que le débat national s’adresse au cas général et pas au cas particulier, comme c’est le cas du procès.

Donc, on ne peut pas demander aux jurés ou attendre du verdict d’un procès, une conséquence à en tirer en terme d’évolution législative. Cela serait vraiment confondre les enjeux et pourrait nuire à l’intérêt de la procédure judiciaire et à l’intérêt du débat national. La révision des lois de bioéthique, on en parle depuis plusieurs années maintenant et un certain nombre de travaux se font justement dans un climat de sérénité. Et j’observe qu’on parle assez peu de l’évolution de ces travaux alors que c’est plus là que doit se nourrir la réflexion et l’opinion nationale. On parle essentiellement de ces questions de la fin de vie à l’occasion de faits divers, c’est-à-dire à l’occasion de situations qui ne sont pas des situations majoritairement rencontrées par les patients.

Quand on parle de fin de vie, on parle aussi de soins palliatifs. Vous êtes très engagé dans ce combat mais on a l’impression que cela fait dix ans qu’on dit que les soins palliatifs ne sont pas suffisamment développés. Quel est votre point de vue ?
Les soins palliatifs restent insuffisamment développés. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les différentes études ou rapports. Le dernier en date vient de l’observatoire national de la fin de vie qui estime quand même à 150 000 personnes chaque année, le nombre de patients qui relèvent d’une prise en charge palliative et qui ne la reçoivent pas. C’est-à-dire qui relèvent finalement d’un traitement qui existe et qui pourrait les soulager et qui ne les reçoivent pas.
Donc oui, on est quand même sur des questions en terme de santé publique qui sont d’un autre ordre. Une fois que l’on pose ce point, il ne faut pas non plus noircir le tableau et le fait est que depuis dix ans, il y a réellement sur le terrain, de profondes avancées dans le déploiement des soins palliatifs. Compte tenu de l’inertie qu’il y a entre le moment où l’on prend une décision et le moment où les professionnels de santé vont être finalement formés, ce temps d’une dizaine d’années n’est pas choquant. Il faut maintenant presque trois, quatre ans pour former une infirmière et il en faut en moyenne une dizaine pour former un médecin. Entre le moment où on décrète quelque chose et le moment où ça se déploie sur le terrain, il y a du temps qui se passe.

On dit souvent que la loi Leonetti est la meilleure ou en tout cas, la moins mauvaise en ce qui concerne la fin de vie. Est-ce que vous pensez qu’il faut réaménager cette loi comme le demandent certains ou au contraire tout simplement faire en sorte qu’elle soit mieux appliquée ?
La loi Leonetti, c’est une loi d’équilibre et c’est une loi de liberté. Je pense que s’agissant de l’offre de soins, la loi Leonetti a parfaitement répondue aux attentes. En revanche, je pense qu’il y a un débat qui peine à s’ouvrir et qui est un débat honnête sur le front des questions d’aide à mourir, de suicide assisté ou d’euthanasie et qu’en essayant de confondre le débat sur la position de la médecine dans la fin de vie, on confond loi et éthique. Et la position de la société vis-à-vis des demandes d’aide à mourir, ça, c’est à mon avis un débat qui n’est pas ouvert.
Je pense que les soins palliatifs sont la réponse médicale aux problèmes de fin de vie et qu’en cela, on a une offre qui est satisfaisante et qui reste à développer davantage car elle est encore insuffisamment développée. Après, on a une vraie question qui est une question d’ordre social qui ne concerne pas la médecine en tant que telle. Lorsque les citoyens demanderaient à être aidé à mourir quand ils le trouveraient opportun de le faire, est-ce que la société accepterait d’organiser, de planifier la mise à mort d’une certaine partie de sa population ? Et du coup, ça, c’est un sacré débat. Il est social et je trouve qu’à force de contourner la question, de la confondre avec des questions d’ordre plus médicale, finalement on a un peu un sentiment d’enlisement et peut-être de confusion qui ne permet pas d’avancer.

Vous faites partie du collectif « Plus digne la vie » qui rassemble de nombreux professeurs, chercheurs et intellectuels. Quel regard portez-vous sur l’évolution de ces lois bioéthiques en France concernant la fin de vie ? On sait qu’il y a beaucoup d’inquiétude, par exemple quand on regarde la Belgique. Est-ce que vous pensez qu’on peut arriver à ces extrêmes en France ?
L’essence du collectif, c’est vraiment d’alerter effectivement sur les risques de dérives et de remettre le débat là où il doit être, c’est-à-dire au cœur de l’espace public, de l’espace social. Il y a pas mal d’avancées qui ont été faites avec les conférences citoyennes, etc. Je pense que la procédure n’est pas aboutie.
Est-ce qu’il y a des risques de dérives en France comme celles qui semblent émerger en Belgique ? Oui, je pense qu’on est dans une situation où les opinions sont très sensibles, très fragiles, très inquiètes du contexte général et que ça, ça peut donner l’impression que des solutions simples comme l’euthanasie pour ne pas dire des solutions simplistes répondent à des grandes questions de l’humanité, des questions qu’on a connues de tout temps et qui sont la source des angoisses humaines auxquelles chaque époque a essayé de répondre du mieux qu’il pouvait. Le mieux qu’il pouvait n’étant pas forcément le mieux tout court.

Vous pensez que le législateur courre un risque d’une fuite en avant ?
Le législateur, dans une société qui va très vite courre toujours le risque d’une fuite en avant sur des sujets qui méritent de prendre du temps.








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