Egypte : Al-Sissi officiellement à la tête du pays
(RV) Entretien - L’armée est officiellement à nouveau au pouvoir en Egypte.
Le nouveau président Abdel Fattah al-Sissi doit prêter serment dimanche. L’ancien
chef de l’armée a été proclamé président mardi, après avoir récolté 96,9 % des voix
lors de l’élection présidentielle fin mai.
Le scrutin a été marqué par une
faible participation. Si bien que les autorités ont prévu une journée de vote en plus
pour inciter les Egyptiens à se rendre aux urnes. Mais finalement, sur trois jours,
seuls 47,5 % des électeurs inscrits ont voté. Cela peut s’expliquer par le fait qu’al-Sissi
dirige de facto l'Egypte depuis un an. Son coup de force contre Mohamed Morsi a éliminé
toute opposition, qu’elle soit islamiste, libérale ou laïque.
Mais ce n’est
pas l’unique raison, comme l’explique Jean-Noël Ferrié à Antonino Galofaro.
Il est directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l’Egypte :
L’enjeu n’était
pas dans cette élection. Tout le monde savait que le maréchal Al-Sissi allait être
élu. Ce n’est pas un effet mobilisateur en soi. Lors de la précédente élection présidentielle
entre Morsi et Chafik, il y avait un véritable enjeu puisque finalement, Morsi était
à 52 et Chafik à 48. Il y avait un véritable enjeu qui attirait les électeurs. Donc,
je pense qu’il ne faut pas non plus surévaluer la faiblesse relative à la participation.
Donc la faible participation s’explique aussi par le fait que le maréchal
Al-Sissi était de fait déjà au pouvoir ? Toute la configuration institutionnelle
depuis plusieurs mois, c’est la montée en puissance et l’affirmation d’Al-Sissi et
de l’armée.
Que va changer alors cette élection ? Jusqu’à présent,
on savait son importance dans son gouvernement en Égypte mais il n’était pas au devant
de la scène. Il ne prenait pas directement les décisions et peut-être même ne prenait-il
pas toutes les décisions et peut-être même n’avait-il pas au point un programme. Simplement
là, il va être au devant de la scène et donc, il va directement être comptable de
ce qu’il fait ou de ce qu’il ne fait pas dans une situation qui est quand même plutôt
lourde socialement, économiquement mais également politiquement.
Désormais
sa mission, c’est de redresser l’économie, d'assurer stabilité ? Oui, ce sont
des travaux d’Hercule parce qu’effectivement, je ne sais pas si Al-Sissi est préparé
politiquement à faire cela. Il ne suffit pas d’être « l’homme de la situation ou celui
qui a ramené l’ordre civil » et encore faut-il être capable d’avoir une certaine imagination
socio-économique ou au moins s’entourer des bonnes personnes et avoir de la constance
dans les politiques de réforme à mettre en place. C’est un chantier extrêmement lourd.
Un militaire au pouvoir avec un tel score, cela rappelle Hosni Moubarak
avant la révolution ? C’est la situation de l’Égypte depuis 1952. Nasser,
Sadate, Moubarak, Al-Sissi avec une brève parenthèse avec Monsieur Morsi. L’armée
n’a jamais quitté, si ce n’est le devant de la scène. L’arrière-scène et le départ
de Moubarak n’ont été finalement pour l’armée qu’un moyen de préserver sa présence
comme institution. L’armée n’a jamais disparue du paysage politique égyptien.
Que
retient alors l’Égypte de sa révolution de 2011 ? Pour l’instant, on ne sait
pas. Peut-être simplement l’idée qu’il est toujours possible de manifester, de descendre
dans la rue et d’ébranler le pouvoir. Et du côté du pouvoir, l’idée est qu’il peut
toujours y avoir quelque chose auquel il n’est pas capable de faire face. Mais là,
on est plutôt dans une phase de restauration de l’ordre de manière même assez rude,
dans la poursuite de la « révolution du 25 janvier ».
Comment l’armée s’est-elle
adaptée ces trois dernières années ? Je ne suis pas sur que l’armée ait changé.
Simplement, dans la crise avec Moubarak, l’armée est repassée au devant de la scène.
Elle a un peu tâtonné à l’époque du maréchal Tantawi, notamment à cause de l’incapacité
formidable des Frères Musulmans à reprendre le gouvernement. Après, il y a deux possibilités
: elle peut se dire que finalement, il faut faire attention parce qu’il y a toujours
un risque ou on peut se dire qu’elle a très bien jouée et que finalement, les choses
sont redevenues ce qu’elles étaient. C’est vrai que le deuxième scénario malheureusement,
peut tout à fait se réaliser. C’est en résumé ce qu’elle peut penser qui s’est produit.
Photo : des supporters d'Al-Sissi fête sa victoire place Tahrir, au
Caire