(RV) Entretien - C’était il y a 25 ans, à Pékin, en Chine, la répression sanglante
d’un soulèvement d’étudiants qui dénonçaient la corruption et réclamaient des réformes
démocratiques. La photo d’un étudiant arrêtant un char d’assaut sur la place Tiananmen,
au cœur de la capitale, avait fait le tour du monde.
Ce mercredi, les autorités
chinoises ont imposé une sécurité draconienne autour de la place Tiananmen pour prévenir
tout tentative de commémoration de la répression meurtrière du « printemps de Pékin
». L'importance du quadrillage policier, même 25 ans après, souligne la nervosité
des autorités vis-à-vis d'un événement qui avait traumatisé la population et violemment
ébranlé le régime.
Dans la nuit du 3 au 4 juin 1989, la place située face à
l'entrée de la Cité interdite était le théâtre de la plus meurtrière répression par
l'armée d'un mouvement populaire à Pékin depuis la fondation du régime en 1949. Des
dizaines de milliers de soldats, appuyés par des centaines de chars, avaient repris
possession de la place, occupée depuis sept semaines par les étudiants et la population,
réclamant liberté et démocratie. L'assaut avait fait plusieurs centaines de morts
et jusqu'à plus de mille, selon des sources indépendantes.
Un événement
encore ignoré par beaucoup
1989, le monde communiste s’effondrait mais
les autorités chinoises verrouillaient toute évolution politique et punissaient toute
forme de contestation et de critique du régime. Aujourd’hui encore de nombreux Chinois
ignorent cette période noire. Toute référence à cet évènement sanglant est interdite.
Jean-Luc Domenach, professeur à Sciences Po Paris et spécialiste de la
Chine analyse l'évolution de la société chinoise depuis cet événement. Il est
interrogé par Audrey Radondy
L’évolution
a été terrible dans les deux sens. Dans le sens un petit peu niais, c’est-à-dire où
elle était très grande puisque la Chine est devenue une très grande puissance économique
en une vingtaine, trentaine d’années. La deuxième chose, c’est que du coup, la hausse
du niveau de vie a un peu détruit le souvenir qu’on avait de la protestation de mai-juin
du printemps 1989 parce que les gens se sont dits de plus en plus et se disent maintenant
que ça ne valait pas la peine de se révolter quand l’augmentation du niveau de vie
donne à peu près ce que les gens voulaient avoir en 1989. Il y a de tels changements
dans le niveau de vie, de la façon de vivre que maintenant, bien des gens se disent
que la demande de liberté qui a été faite en 1989 n’avait pas de sens. Bien entendu,
tout cela est très contestable naturellement. Mais globalement, on peut dire que le
pouvoir chinois a gagné parce qu’il a su ajouter à la répression un progrès économique
extraordinaire.
Et pourtant, la Chine est quand même fragilisée au niveau
politique et les mouvements sociaux se sont multipliés ces dernières années. Ça,
c’est ce qu’on dit de loin mais très franchement, il n’y a pas beaucoup de régime
dans le monde qui sont aussi solides que ce régime là, il faut bien le dire. Les dirigeants
chinois ont l’armée, la police, une police qui est incroyablement puissante et la
diplomatie chinoise ne cesse de progresser. Ce n’est pas seulement le niveau de vie
qui s’élève, c’est également la puissance du pays qui se renforce. Même si c’est vrai,
tout pouvoir reposant sur la force est très gravement menacé. Tout pouvoir reposant
sur le mépris et l’écrasement des minorités, celui-là, un jour ou l’autre, paiera
ça très cher. Mais au jour d’aujourd’hui et aussi longtemps que le régime fera gagner
6 à 10% des revenus à la population chaque année, il sera évidemment dans une situation
relativement favorisé.
Et par rapport à ce vingt-cinquième anniversaire,
est-ce que ça parle plus à la population ? Est-ce qu’ils arrivent à avoir un peu plus
d’informations ? Non, ça parle plutôt moins parce que les gens qui avaient
25 ans à cette époque ont une trentaine d’années en plus. Mais aussi, à l’intérieur
du régime (on ne le dit pas assez), il y a des accords. Il y a toute une série de
gens, y compris d’ailleurs le patron du régime, Monsieur Xi Jinping dont le père avait
désapprouvé le massacre de la place Tienanmen. Monsieur Xi Jinping a une soixantaine
d’années au plus et son père était un très grand dirigeant communiste. Il avait vraiment
marqué ce scandale et cela se sait en Chine. Il y a des petites revues qui font des
allusions très directes et on peut se demander si l’anniversaire ne sera pas l’occasion
pour Monsieur Xi Jinping de dire des choses qui seraient à la fois justes et habiles,
à savoir que ce fût une erreur de frapper si fort et qu’en tout état de cause, le
régime va évoluer vers une situation où il n’aurait pas à frapper. Et on peut imaginer
que le régime communiste chinois se civile à l’occasion de cet anniversaire.