Espagne : les désirs des républicains réveillés après l'abdication
(RV) Entretien - 24 heures après l’annonce lundi de l’abdication du roi Juan
Carlos, l’Espagne se prépare à la relève. Le gouvernement a approuvé mardi la loi
pour mettre en marche sa succession. Pendant le processus qui devrait durer plusieurs
semaines, cette loi devra être votée par les deux chambres du Parlement. Et c’est
seulement après ce vote que le prince des Asturies, le futur roi Felipe VI, prêtera
serment et montera sur le trône.
Une succession qui n’est pas du goût des
républicains espagnols. A l’annonce de l’abdication, un mouvement s’est même créé
pour demander un référendum sur la monarchie et une nouvelle constitution. Alors la
monarchie est-elle menacée en Espagne ?
Bernard Bessière, est professeur
à l’université Aix-Marseille, spécialiste de l’Espagne contemporaine. Selon lui,
il n’y a aucune chance dans l’immédiat. Il est interrogé par Audrey Radondy :
On
peut très bien imaginer que dans les années qui viennent, il y aurait une réforme
de la Constitution qui permettrait un référendum sur le système de l’État et qui n’est
pas prévu dans la Constitution de 1978. Il faudrait donc déjà que le parlement accepte
cette loi puis qu’il y ait un référendum et troisièmement, encore faudrait-il que
ce référendum soit négatif à la monarchie. Mon avis, c’est que pour l’instant, la
monarchie a encore quelques années devant elle. Mais tout dépendra évidemment de la
position, du comportement et de la stature du nouveau roi parce qu’il y a un certain
courant mais à mon avis minoritaire. Dans quel parti s’incarne ce mouvement républicain
? C’est surtout le parti de gauche qui s’appelle « Izquierda Unida » qui est l’ancien
parti communiste et il y a également un parti qui est ouvertement républicain qui
est un petit parti catalan qui s’appelle « Esquerra Republicana de Catalunya » qui
a été au pouvoir dans les années’30. Et je dirais que même s’il n’y a pas de sondage
très précis, aujourd’hui, il y a entre 15 et 20% d’espagnols qui souhaiteraient la
République mais pas plus. Alors, il y a eu entre 5.000 et 10.000 personnes, notamment
à Madrid sur la Puerta del Sol qui est le cœur palpitant de Madrid. Est-ce que c’est
majoritaire, c’est un autre problème !
Quel est plus globalement la position
des partis politiques face à cette abdication ? Tous les partis le souhaitaient.
Il y a des partis qui sont totalement indifférents à cette succession dynastique et
notamment les partis basques. À part « Esquerra Republicana de Catalunya » et à part
« Izquierda Unida », tous les autres partis sont favorables à la Constitution. La
Constitution actuelle de l’Espagne a été votée par référendum en décembre 1978 par
88% des espagnols. Et dans cette Constitution, il y avait la monarchie constitutionnelle
parlementaire. Autrement dit, les deux grands partis qui dominent très largement la
vie politique, la droite et la gauche -c’est-à-dire le « Partido Popular » de Rajoy
et le « PSOE (Partido Socialista Obrero Español) donc le parti socialiste de Rubalcaba-
ces deux partis sont dynastiques. Il y a un troisième parti, on peut dire que c’est
le troisième parti espagnol qui est actuellement en train de pousser, qui est un jeune
parti qui s’appelle UPyD ( Unión Progreso y Democracia) qui est aussi favorable à
la Constitution. Autrement dit, les trois premiers partis espagnols qui représentent
à peu près 70% de la population sont favorables à l’application de la Constitution
et favorables à la succession. Lorsqu’un roi abdique, son successeur prend sa place.
Vous avez dit que globalement il y avait quand même un attachement des
espagnols pour la monarchie mais est-ce que la couronne a encore une légitimité, notamment
après les différents scandales qu’elle a pu vivre ? Lorsque Juan Carlos est
arrivé au pouvoir en 1975, à la mort de Franco, c’était une fabrication de Franco.
Autrement dit, il n’avait pas de légitimité. Mais dans les deux ou trois ans qui ont
suivi, le roi Juan Carlos a prouvé sa volonté démocratique évidente. C’est ce qui
a fait que très rapidement, tous les partis politiques, y compris le parti communiste,
ont appuyé non pas la monarchie mais ils étaient Juan-Carlistes. Mais les nuages noirs
se sont amoncelés sur la couronne, sur Juan Carlos surtout. Autrement dit, les espagnols
qui n’étaient pas monarchistes étaient Juan-Carlistes. Ils ont cessés d’être Juan-Carlistes
depuis quelques années et maintenant, il y a quand même dans les sondages, une majorité
des espagnols favorables au système monarchique, peut-être provisoirement mais actuellement
les espagnols sont favorables à la poursuite de la monarchie en Espagne.
Quels
vont donc être les défis du futur roi Felipe ? Si effectivement son père a
traversé une période politique extrêmement troublée, extrêmement délicate et dont
il s’est remarquablement sorti, le roi actuel n’aura aucun rôle politique. Il faut
bien comprendre que comme son père et comme le fixe la constitution, le roi d’Espagne
n’a pas l’exécutif. L’exécutif appartient au premier ministre et à son gouvernement.
Donc, qui est ce jeune homme ? Il sera en Europe le roi le plus cultivé, celui qui
aura reçu la meilleure formation universitaire aux États-Unis, au Canada et en Espagne.
Je crois que c’est quelqu’un qui est très différent de son père. Son père était très
badin, très proche du peuple, très plaisantin, etc. Felipe est beaucoup plus strict
et beaucoup plus silencieux. Il a plus de retenu. Il a eu le temps de se former. Je
crois qu’il est très bien formé et son épouse est aussi quelqu’un de grande qualité.
Photo : des manifestants réclamant la fin de la monarchie
à Barcelone