Europe, Asie, œcuménisme, réforme de la Curie : le Pape répond à la presse
(RV) Dans l’avion du retour vers Rome, François a répondu à 11 questions des journalistes
durant une cinquantaine de minutes, tout d’abord en précisant que les gestes posés
lors de son pèlerinage en Terre Sainte n’avaient pas été préparés dans le détail mais
qu’ils étaient spontanés. A une exception près toutefois : l’invitation faite aux
présidents israélien et palestinien à venir prier ensemble au Vatican, une rencontre
que le Pape aurait aimé organiser directement en Terre Sainte mais qui posait une
évidente difficulté diplomatique. Il s’agira bien d’une rencontre de prière et non
pas d’une médiation formelle du Saint-Siège.
Sur le plan œcuménique, le Pape
François a insisté sur l’importance de marcher ensemble, de cheminer ensemble avec
les Eglises d’Orient, soulignant notamment qu’une date de Pâques commune entre catholiques
et orthodoxes serait un signe d’unité. Il a aussi évoqué les martyrs chrétiens, catholiques
et non catholiques, plus nombreux à notre époque qu’aux premiers temps de l’Eglise.
En
prenant l’exemple des Eglises d’Orient, François estime que la porte est toujours
ouverte sur l’ordination d’hommes mariés dans l’Eglise latine, cette règle de vie
n’étant pas un dogme de foi, mais que le sujet n’est pas à l’ordre du jour dans l’immédiat.
Par
ailleurs, il a précisé que la réforme de la Curie suivait son cours. « On travaille
beaucoup, les résultats ne se voient pas tout de suite, mais je suis content des travaux
de la commission des huit cardinaux », a estimé François. Il a aussi évoqué l’affaire
des 15 millions d’euros que le cardinal Bertone, ancien Secrétaire d’Etat du Saint-Siège,
est suspecté d’avoir détourné des caisses de la banque pontificale, en déclarant que
le problème était à l’étude, sans conclusion définitive pour le moment.
Sur
la question des prêtres pédophiles, François rappelle que « le prêtre qui abuse
d’un enfant trahit le corps du Seigneur », assimilant cette acte à la célébration
d’une messe noire. « Il y aura prochainement une messe avec quelques personnes
qui ont subi des abus, à Sainte-Marthe, et ensuite une réunion avec eux : moi, eux
et le cardinal O’Malley qui est de la commission. Mais on doit encore sur ce dossier
aller de l’avant : tolérance zéro. »
Concernant ses prochains voyages,
le Pape François se tourne vers l’Asie : après la Corée du Sud en août, il confirme
qu’il se rendra en janvier au Sri Lanka et aux Philippines, notamment dans les zones
touchées par le typhon de novembre 2013.
Enfin, sur la question de savoir s’il
démissionnera le jour où il ne se sentira plus la force d’assumer son ministère, il
a déclaré « qu’un évêque de Rome qui sent que ses forces baissent doit se poser
les mêmes questions de Benoît XVI.»
Texte intégral de la conférence
de presse du pape François (traduction avec l'aide de l’agence Imedia) :
Saint-Père,
vous avez accompli ces jours-ci des gestes qui ont résonné dans le monde entier :
la main sur le mur de Bethléem et le signe de croix, le baiser aux survivants (de
la Shoah, ndlr) au Yad Vashem et aussi le baiser, avec le patriarche Bartholomée au
Saint-Sépulcre, et de nombreux autres. Nous voulions vous demander si tous ces gestes
avaient été réfléchis, voulus, et pourquoi ils avaient été pensés, et selon vous quels
en seront les retombées ? Et bien sûr aussi d’avoir invité Shimon Peres et Mahmoud
Abbas au Vatican…
Les gestes les plus authentiques sont ceux auxquels
on ne réfléchit pas, ceux qui viennent (naturellement). J’ai pensé que je pourrai
faire quelque chose, mais pas à un geste concret. Aucun de ces gestes n’a été pensé
ainsi. Certaines choses comme, par exemple, l’invitation à prier aux deux présidents,
on avait un peu pensé à le faire là (en Terre Sainte, ndlr), mais il y avait tellement
de problèmes logistiques, tellement. Car ils doivent tenir compte du territoire, où
on le fait, et ce n’est pas facile, n’est-ce pas ? On a pensé à une réunion, mais
au final on a pensé à ce qui, j’espère, se passera bien. On n’y a pas pensé à l’avance.
Je ne sais pas… il me vient à l’idée de faire quelque chose, c’est spontané, c’est
ainsi. Au moins, pour dire la vérité, quelqu’un avait dit ‘là on pourrait faire quelque
chose’, mais concrètement rien. Par exemple, au Yad Vashem, aucun geste n’était préparé,
c’est venu comme ça.
Vous avez eu des paroles très dures contre les actes
pédophiles de la part des prêtres, et vous avez créé une commission spéciale pour
mieux faire face à ce problème au niveau de l’Eglise universelle. Concrètement, nous
savons qu’il y a désormais dans toutes les Eglises locales des normes qui imposent
une forte obligation morale et souvent légale à collaborer avec les autorités civiles
locales, d’une façon ou d’une autre. Que ferez-vous lorsqu’un évêque n’a clairement
pas observé ces obligations ? Vous l’obligerez à démissionner ? Il y aura d’autres
sanctions ? Concrètement, comment faire la discipline ?
En Argentine,
nous disons à propos des privilégiés : « ça, c’est un fil à papa ». Dans ce
problème, il n’y aura pas de fils à papa. En ce moment il y a 3 évêques sous enquête.
Un, qui est déjà condamné, dont nous étudions la peine qu’il doit faire. Il n’y a
pas de privilèges. Cet abus des mineurs est un crime tellement laid. Nous savons que
c’est un problème grave, partout, mais ce qui m’intéresse, moi, c’est l’Eglise. Un
prêtre qui fait cela trahit le corps du Seigneur. Car ce prêtre doit mener cet enfant,
cette enfant, ce petit garçon, cette petite fille, ce jeune homme, cette jeune fille
à la sainteté. Et ce garçon, cette petite fille, a confiance, et celui-là, au lieu
de leur apporter la sainteté, abuse d’eux, et c’est très grave ! Je vais faire une
comparaison : C’est comme faire une messe noire par exemple, non ? Tu dois le mener
à la sainteté et tu le mènes à un problème qui dure toute la vie. Il y aura prochainement
une messe avec quelques personnes qui ont subi des abus, à Sainte-Marthe, et ensuite
une réunion avec eux : moi, eux et le cardinal O’Malley qui est de la commission.
Mais on doit encore sur ce dossier aller de l’avant : tolérance zéro.
Dès
les premiers jours de votre pontificat, vous avez lancé le message fort d’une Eglise
pauvre pour les pauvres, de simplicité, d’austérité. Mais parfois on voit qu’il y
a des scandales, par exemple l’histoire de l’appartement du cardinal Bertone, la fameuse
fête le jour de la canonisation, ou encore en revenant au cardinal Bertone la confusion
à propos de l’IOR et des 15 millions d’euros. Qu’en pensez-vous ? Que voulez-vous
faire pour qu’il n’y ait pas de contradictions avec ce message d’austérité ?
Le
Seigneur Jésus a dit une fois à ses disciples, c’est dans l’Evangile : « il est
inévitable qu’il y ait des scandales ». Nous sommes humains, tous pécheurs, et
il y en aura. Le problème est d’éviter qu’il y en ait en plus, non ? Dans l’administration
économique, honnêteté et transparence. Les deux commissions, celle qui a étudié l’IOR
et celle qui a étudié tout le Vatican, ont donné leurs conclusions, ont proposé des
plans. Et maintenant, avec le ministère, disons le secrétariat de l’économie, que
dirige le cardinal Pell, les réformes qu’ils ont conseillées vont être mises en route.
Mais il y aura des incongruités, il y en aura toujours car nous sommes humains. Et
la réforme doit être continue. Les Pères de l’Eglise disaient : Ecclesia semper
reformanda. Nous devons être attentifs à réformer chaque jour l’Église, car nous
sommes pécheurs, nous sommes faibles, et il y aura des problèmes. L’administration
que le Secrétariat de l’économie met en place aidera beaucoup à éviter les scandales,
les problèmes. A l’IOR, par exemple, je crois qu’à ce jour 1600 comptes ont été fermés,
plus ou moins, c’est le chiffre dont je me souviens, des comptes de personnes qui
n’avaient aucun droit à en avoir. L’IOR est pour aider l’Église. Les évêques et les
diocèses y ont droit, les employés du Vatican, leurs veuves ou leurs veufs pour y
percevoir la retraite, c’est ainsi. Mais certains n’y ont pas droit. Les ambassades
oui, tant que dure l’ambassade, mais rien de plus. Ce n’est pas une chose ouverte.
Et clore les comptes de ceux qui n’y avaient pas droit est une bonne chose. Je voudrais
dire une chose : dans votre question, vous avez mentionné cette affaire des 15 millions.
C’est un fait qui est à l’étude, ce n’est pas clair. Peut-être est-ce la vérité mais,
en ce moment, le problème n’est pas définitif, il est à l’étude. C’est pour être juste,
non ?
Après le Moyen-Orient, nous rentrons maintenant en Europe. Etes-vous
inquiet par la croissance du populisme en Europe qui s’est manifestée, hier encore,
avec les élections européennes ?
Ces derniers jours, j’ai eu le temps
de prier le Notre-Père, un peu, (rires) mais je n’ai pas d’informations sur les élections,
vraiment. Je n’ai pas de données sur qui a gagné, qui a perdu, je n’ai pas d’informations.
Mais le populisme en quel sens me dites-vous ? Aujourd’hui, beaucoup d’Européens ont
peur, ils pensent qu’il n’y a pas d’avenir en Europe, il y a beaucoup de chômage et
les partis anti-européens ont connu une croissance dans cette élection…
C’est
une question dont j’ai entendu parler, l’Europe, la confiance ou la méfiance dans
l’Europe, ceux qui veulent aller en arrière sur l’Euro… Dans ce domaine, je ne comprends
pas grand-chose. Mais vous avez prononcé une parole clé : le chômage. Cela est grave.
Grave. Je l’interprète comme cela, en le simplifiant. Nous sommes dans un système
économique mondial où l’argent se trouve au centre. Ce n’est pas la personne humaine.
Au centre d’un véritable système économique, il doit y avoir l’homme et la femme,
la personne humaine. Et aujourd’hui, au centre, il y a l’argent. Pour maintenir ce
système et pour l’équilibrer, il doit avancer avec certaines mesures de rejet. On
rejette les enfants. En Europe, le taux de natalité n’est pas si grand : je crois
qu’en Italie on est à 1,2 %. En France, vous avez 2, l’Espagne, moins que l’Italie.
On jette les enfants, on jette les personnes âgées, mais les vieux cela ne sert à
rien. En ce moment, c’est conjoncturel, on va les voir parce qu’ils touchent la retraite
et qu’on en a besoin, mais c’est conjoncturel. On rejette les vieux. Il y a aussi
des situations d’euthanasie cachée, dans de nombreux pays. C’est-à-dire avec des médicaments
que l’on donne jusqu’à un certain moment… En ce moment, on jette les jeunes. Et cela
est très grave. En Italie, je crois que le chômage des jeunes est quasi à 40 %. En
Espagne, j’en suis sûr, nous sommes à 50 %. En Andalousie, au Sud de l’Espagne, c’est
60 % ! Cela signifie qu’il y a toute une génération de ‘ni, ni’ : ils n’étudient ni
ne travaillent. Ceci est très grave, on jette une génération de jeunes. Pour moi,
cette culture du rebut est très grave. Mais ce n’est pas seulement en Europe, c’est
un peu partout, mais en Europe cela se sent fortement. Si je devais faire une comparaison,
il y a dix ans, il y avait la culture du bien-être. Et c’est tragique. C’est un moment
difficile, car il y a un système économique inhumain. Je n’ai pas eu peur d’écrire
dans l’Exhortation apostolique Evangelii gaudium que ce système économique
tue, et je le répète.
Seriez-vous d’accord pour la restitution de Jérusalem
à la Palestine ? Comment résoudre la question de Jérusalem pour obtenir, comme vous
l’avez dit, une paix stable et durable ?
Il y a tellement de propositions
sur la question de Jérusalem. L’Eglise catholique, disons le Vatican, a sa position
du point de vue religieux : ce sera la ville de la paix des trois religions. C’est
un point de vue religieux. Les mesures concrètes pour la paix doivent sortir de la
négociation. Il faut négocier. Je serais d’accord pour que, dans les négociations,
on dise : cette partie sera la capitale d’un Etat, celle-là de l’autre. Mais ce sont
des hypothèses. Je ne dis pas que cela doit être ainsi. Ce sont des hypothèses qu’ils
doivent négocier. Vraiment, je ne me sens pas compétent pour dire il faut faire ceci
ou cela, ce serait une folie de ma part. Mais je crois qu’il faut entrer dans la négociation
avec honnête, fraternité et beaucoup de confiance. Là-bas on négocie tout : le territoire,
les rapports… il faut du courage pour faire cela et je prie beaucoup le Seigneur pour
que ces deux dirigeants, ces deux gouvernements, aient le courage d’aller de l’avant.
C’est l’unique voie pour la paix. Mais Jérusalem comme ceci ou comme cela, je ne peux
dire que ce que l’Eglise doit dire et a toujours dit : que Jérusalem soit conservée
comme capitale des trois religions comme une référence, une ville de paix, et je pensais
au mot ‘sacrée’, mais ce n’est pas juste, mais une ville de paix et religieuse.
Durant votre pèlerinage, vous avez longuement parlé avec le patriarche Bartholomée.
Avez-vous parlé de pas concrets de rapprochement, au-delà de la déclaration commune
et de la prière ensemble, qui a été un signe fort. Et est-ce que l’Eglise catholique
pourra apprendre quelque chose de l’Eglise orthodoxe, je pense aux prêtres mariés,
une question qui intéresse beaucoup de catholiques en Allemagne et aussi à la lumière
de la lettre que vous avez reçue de la part de femmes qui aiment des prêtres ?
Mais,
l’Eglise catholique a des prêtres mariés, non ? Les catholiques grecs, les catholiques
coptes, non ? Il y en a. Dans le rite oriental, il a des prêtres mariés parce que
le célibat n’est pas un dogme de foi. C’est une règle de vie que j’apprécie beaucoup
et je crois que c’est un don pour l’Eglise. N’étant pas un dogme de foi, la porte
est toujours ouverte, mais maintenant nous n’avons pas parlé de cela comme un ordre
du jour. Au moins en ce moment, nous avons des choses plus fortes à entreprendre.
Nous n’en avons pas parlé avec Bartholomée parce que c’est un thème secondaire avec
les orthodoxes. Nous avons parlé de l’unité et l’unité se fait sur la route, en marchant,
c’est un chemin. On ne peut pas faire l’unité dans un congrès de théologie et il m’a
dit quelque chose que je savais, et que c’était vrai : Athénagoras a dit à Paul VI
: « Restons ensemble tranquillement et nous mettons tous les théologiens ensemble
sur une île pour qu’ils discutent entre eux, et nous nous avançons dans la vie. »
C’est vrai, Bartholomée me l’a dit ces jours-ci. Marcher ensemble, cheminer ensemble,
travailler ensemble en toutes choses que nous pouvons faire ensemble. Nous aider.
Par exemple, pour les églises à Rome et dans tant de villes, beaucoup d’orthodoxes
utilisent des églises catholiques, à telle ou telle heure, comme une aide, pour marcher
ensemble. Nous avons aussi évoqué la possibilité de faire quelque chose lors du concile
panorthodoxe sur la date de Pâques. Parce que c’est un peu ridicule : « Dis-moi,
ton Christ, quand est-ce qu’il ressuscite ? La semaine prochaine. Ah, le mien a ressuscité
la semaine dernière. » La date de Pâques est un signe d’unité. Avec Bartholomée,
nous parlons comme des frères, nous nous apprécions bien. Nous nous racontons les
difficultés de notre gouvernement. Et puis nous avons pas mal parlé de l’écologie.
Il est très préoccupé par ce problème, moi aussi, et nous avons parlé de faire un
travail conjoint sur ce problème.
Je voudrais vous poser une question
sur l’Asie. Vous allez en Corée du Sud, dans des régions voisines, il n’y a pas de
liberté de religion et pas de liberté d’expression et de religion en Corée du Nord
et en Chine. Quelle genre d’action comptez-vous prendre pour aider des gens qui se
trouvent dans de pareilles circonstances ?
Deux voyages sont en préparation
pour l’Asie : la Corée du Sud pour la rencontre avec des jeunes d’Asie et ensuite,
en janvier, un voyage de deux jours au Sri Lanka et ensuite aux Philippines dans la
zone qui a été frappée par le typhon. Le problème de la non liberté de pratiquer sa
religion ne concerne pas seulement quelques pays asiatiques, certains oui, mais aussi
dans d’autres pays du monde. La liberté religieuse est une chose que tous les pays
n’ont pas. Certains ont un contrôle plus ou moins facile, tranquille, d’autres prennent
des mesures qui finissent en une vraie persécution des croyants. Il y a des martyrs
aujourd’hui, des martyrs chrétiens catholiques et non catholiques, mais des martyrs.
Dans certains endroits, il n’est pas possible de porter le crucifix, ou d’avoir une
Bible, tu ne peux pas enseigner le catéchisme à des enfants, aujourd’hui ! Je crois,
et je ne me trompe pas, qu’il y a à notre époque plus de martyrs qu’aux premiers temps
de l’Eglise. Nous devons nous rapprocher, dans certains cas, avec beaucoup de prudence,
pour aller les aider. Nous devons beaucoup prier pour ces Eglises qui souffrent. Elles
souffrent tellement. Et puis les évêques, le Saint Siège, travaillent dans la discrétion
pour aider ces pays et les chrétiens de ces pays, mais ce n’est pas une chose facile.
Je te donne un exemple : dans un pays, il est interdit de prier ensemble. Interdit
! Mais les chrétiens qui vivent là veulent célébrer l’eucharistie et il y a un monsieur
untel qui travaille comme ouvrier et qui est prêtre, et il va là, à la table, ils
font semblant de prendre le thé et ils célèbrent l’eucharistie. Si les policiers arrivent,
ils cachent les livres et font comme s’ils prenaient le thé. Cela arrive de nos jours.
Ce n’est pas facile.
Allez-vous venir au Japon ? (Silence,
sourire)
Dans votre pontificat, vous faîtes face à un grand nombre d’engagements,
et vous le faites de manière très serrée comme nous l’avons vu ces jours-ci. Si, à
l’avenir, disons un jour très lointain, vous deviez sentir que vous n’avez plus la
force pour tenir votre ministère, pensez-vous que vous feriez la même chose que votre
prédécesseur et que vous abandonneriez votre pontificat ?
Je ferai
ce que le Seigneur me dira de faire : prier, chercher la volonté de Dieu. Mais je
crois que Benoît XVI n’est pas un cas unique. Il s’est passé qu’il n’avait pas la
force, et honnêtement, en homme de foi, si humble, il a pris cette décision. Je crois
qu’il est une institution. Il y a 70 ans, les évêques émérites n’existaient presque
pas, et aujourd’hui il y en a beaucoup. Qu’est-ce qui se passera avec les papes émérites
? Je crois que nous devons le regarder (Benoît XVI, ndlr) comme une institution :
il a ouvert une porte, la porte des papes émérites. S’il y en aura d’autres ou non,
Dieu le sait, mais cette porte est ouverte. Je crois qu’un évêque de Rome, un pape
qui sent que ses forces baissent - car maintenant on vit longtemps - doit se poser
les mêmes questions que Benoît XVI.
Vous avez rencontré aujourd’hui même
un groupe de survivants de l’holocauste. Vous savez bien qu’une figure suscite encore
un peu de perplexité pour son rôle durant l’holocauste, celle de votre prédécesseur
Pie XII. Avant votre pontificat, vous avez écrit et dit que vous estimiez Pie XII
mais que vous vouliez voir les archives ouvertes avant de parvenir à une conclusion
définitive. Nous voudrions savoir - également parce que vous avez récemment canonisé
deux papes et que d’ici peu vous en béatifierez un autre - si vous aviez l’intention
de faire avancer la cause de Pie XII ou d’attendre quelque autre événement dans la
procédure avant de prendre une décision ?
La cause de Pie XII est ouverte
et je me suis informé, il n’y a encore aucun miracle. Tant qu’il n’y a pas de miracle,
elle ne peut pas avancer, non ? Elle est à l’arrêt. Nous devons attendre la réalité,
(de voir) comment avance réellement cette cause et penser ensuite à prendre une décision.
Mais la vérité c’est qu’il n’y a aucun miracle et il en faut au moins un pour la béatification.
C’est ainsi qu’est la cause de béatification de Pie XII. Et je ne peux pas penser
« je le béatifierai », car le procès est lent.
Vous êtes devenu
un leader spirituel et aussi un leader politique, et vous avez suscité beaucoup d’attentes,
dans l’Eglise comme dans la communauté internationale, notamment sur la question de
la communion des personnes divorcés remariées, et puis cette médiation avec la rencontre
au Vatican, est-ce que vous ne craignez pas des échecs en ayant ouvert tellement de
fronts ?
Je commence par une clarification sur cette rencontre au Vatican.
Ce sera une rencontre de prière. Ce ne sera pas pour faire une médiation ou pour chercher
des solutions. Non, nous nous réunirons pour prier, seulement. Et ensuite, chacun
retournera à la maison. Je pense que la prière est importante. Prier ensemble. Sans
faire d’autres discussions, cela aide. Peut-être me suis-je mal exprimé avant pour
dire comment cela se passerait. Ce sera une rencontre de prière. Il y a aura un rabbin,
il y aura un musulman et moi. J’ai demandé - je crois que je peux le dire - au Custode
de Terre Sainte d’organiser un peu les choses sur le plan pratique. Et puis, deuxièmement,
merci pour la question sur les divorcés (remariés, ndlr). Le synode sera sur la famille,
sur le problème de la famille, sur les richesses de la famille, sur la situation actuelle
de la famille. L’intervention préliminaire du cardinal Kasper avait 5 chapitres, dont
4 sur la famille, les choses belles de la famille, les fondements théologiques, et
quelques questions familiales. Et puis, dans le chapitre 5, le problème pastoral des
séparations, des nullités matrimoniales, des divorcés, et dans ce problème s’insère
la question de la communion. Et je n’ai pas aimé que de nombreuses de personnes, y
compris d’Eglise, des prêtres, aient dit « ah, le synode, pour donner la communion
aux divorcés remariés ». Et ils sont allés là. J’ai vu combien tout se réduisait
à une casuistique. Non, la chose est plus large. Aujourd’hui, nous le savons tous,
la famille est en crise. Elle est en crise mondiale. Les jeunes ne veulent pas se
marier, ou ils ne le font pas, ou ils vivent ensemble. Le mariage est en crise, la
famille aussi. Et je ne voudrais pas que nous tombions dans cette casuistique : on
peut, on ne peut pas. Pour cela je vous remercie encore d’avoir posé la question,
parce que cela me donne l’opportunité de clarifier tout cela. Le problème pastoral
de la famille est très, très large.
Et l’on doit étudier cas par cas. Le pape
Benoît XVI a dit une chose 3 fois sur les divorcés remariés qui m’aide beaucoup. Une
fois dans le Haut Adige, une fois à Milan et lors de l’ultime consistoire public :
étudier les procédures de nullité matrimoniale parce que certaines peuvent être expédiées
ou sont pour quelques personnes, étudier la foi avec laquelle la personne va se marier,
et clarifier que les divorcés ne sont pas excommuniés et sont très souvent traités
comme des excommuniés. C’est une question grave. Voilà pour la casuistique de ce problème.
Le synode sera sur la famille, les richesses, les problèmes de la famille, solutions,
nullité, tout cela et aussi il y aura ce problème mais dans l’ensemble. Et maintenant
je voudrais dire, pourquoi ce synode sur la famille. Ce fut une expérience spirituelle
très forte pour moi. Mgr Eterovic, alors secrétaire du Synode, est venu me voir durant
mon deuxième mois de pontificat avec les 3 thèmes que le conseil post-synodal proposait
pour le prochain synode. Le premier était très fort et bon : “l’apport de Jésus-Christ
à l’homme d’aujourd’hui“. C’était le titre et il était en continuité avec le synode
sur l’évangélisation. J’ai dit oui, et nous avons parlé de la réforme de la méthodologie…
Et à la fin, j’ai dis, mettons quelque chose de plus : “l’apport de Jésus Christ à
l’homme d’aujourd’hui et à la famille ; cela va. Puis je suis allé à la première réunion
post-synodale et il se disait, de plus en plus en plus, lentement, l’apport de Jésus
à la famille, et ce synode sur la famille. Et sans s’en rendre compte, la commission
post-synodale a fini par parler de la famille. Moi, je suis certain que c’est l’Esprit
du Seigneur qui nous a guidé jusqu’au choix de ce titre. J’en suis sûr. Parce qu’aujourd’hui,
vraiment, la famille a besoin de tant d’aide pastorale.
Pouvez-vous nous
dire quels sont les obstacles à votre réforme de la Curie romaine et à quel stade
en sommes-nous aujourd’hui ?
Le premier obstacle, c’est moi ! Eh oui
parce que… Non, nous sommes à un bon point. Je ne me souviens plus de la date, mais
un mois après l’élection, le Conseil des 8 cardinaux a été nommé. Puis, début juillet,
nous nous sommes réunis pour la première fois. Depuis ce moment on travaille. Que
fait ce conseil ? Le conseil étudie toute la constitution Pastor Bonus et la
Curie romaine. Il a consulté tout le monde, toute la Curie. Et il a commencé à étudier
certaines choses : on peut faire ceci de telle façon ou d’une autre façon, fusionner
certains dicastères par exemple pour alléger un peu l’organisation. Un des points
clés est l’économie, et le dicastère de l’économie va aider beaucoup. Il doit travailler
avec la Secrétairerie d’État, car c’est une conjonction de choses. Maintenant nous
aurons en juillet 4 jours de travail de cette commission, et ensuite à la fin de septembre
à nouveau 4 jours. On travaille, on travaille beaucoup. Les résultats ne se voient
pas encore tous. Mais la partie économique est celle qui est sortie en premier parce
qu’il y avait quelques problèmes dont la presse parlait abondamment et nous devions
les étudier. Les obstacles sont les obstacles normaux de tout projet. Étudier le chemin.
La persuasion est tellement importante : un travail de persuasion, d’aide. Il y a
des personnes qui n‘y voient pas clair, mais dans toute réforme il y a ces choses.
Je suis content. En vérité je suis content. On a beaucoup travaillé et cette nouvelle
commission nous aide beaucoup.