(RV) Entretien - Ce lundi, le Pape François, au pas de charge, alternera moments
d’émotion et de protocole. Et foulera du pied des lieux chargés d’histoire, se rendant
sur l’Esplanade des Mosquées, visitant le Grand Conseil des musulmans, allant au Mur
Occidental (communément appelé Mur des Lamentations) pour déposer un message comme
l’ont fait ses prédécesseurs. Inédit pour un Pape, François se rendra au cimetière
du Mont Herzel, pour y déposer une gerbe de fleurs, et nous le retrouverons ensuite
au mémorial de l’Holocauste, le Yad Vashem. Pour un autre moment d’intense recueillement.
Le Père Fréderic Manns est franciscain, il a dirigé la Faculté des
sciences bibliques de Jérusalem jusqu’en 2001. Spécialiste du rapport entre
judaïsme et christianisme aux premiers siècles, il nous parle du dialogue judéo-chrétien,
mais aussi de la perception du Pape par les Israéliens. Il est interrogé par Gabriele
Palasciano
Comment
est perçu le Pape François par les Israéliens ? La société israélienne est
une société pluraliste. Il y a des juifs orthodoxes, des juifs libéraux, des sionistes,
des colons qui se basent sur le livre de Josué, il y a l’institut du troisième temple,
il y a les juifs messianiques, il y a des laïcs… Donc certains sont très ouverts au
dialogue. Je pense à Rabbi Rosen, Rabbi Alon Goshen-Gottstein et d’autres. D’autres
pensent que le dialogue est une illusion et qui ne fait que rien d’autre que répandre
le relativisme. La visite du Pape François est d’abord la visite d’un chef d’État,
un chef d’État un peu spécial qui viendra de la Jordanie et de Bethléem et qui viendra
comme messager de paix et messager de réconciliation pour rappeler la doctrine de
Vatican II, en particulier, celle qui est énoncé dans le document Nostra Aetate.
Quelle
est l’essence du dialogue entre christianisme et judaïsme aujourd’hui, étant donné
que certains le perçoivent comme une sorte de compromis dans une perspective politico-religieuse
? La perspective du Pape François n’est pas une perspective politique. Il
viendra rappeler que les racines chrétiennes se trouvent dans le judaïsme. En fait,
Jésus de Nazareth nous unit à nos frères juifs et en même temps, nous divise de nos
frères juifs. La boussole du dialogue restera toujours le document, la déclaration
Nostra Aetate. Les rapports entre christianisme et hébraïsme sont un peu les
rapports d’un arbre avec ses racines. Si les racines sont en bon état, l’arbre peut
donner un fruit. Si les racines sont en mauvais état, l’arbre ne peut pas donner de
fruits. Il y a bien sûr le dialogue au niveau de la vie quotidienne mais il y a surtout
le dialogue au niveau théologique qui est important. Il faut absolument continuer.
Quelle
est la différence entre le dialogue judéo-chrétien de la diaspora et celui qui se
réalise et se manifeste en Israël ? Dans la diaspora, le judaïsme était minoritaire.
En Israël, c’est clair, c’est le judaïsme qui est majoritaire. Mais malgré tout, en
Israël, ce dialogue prend une importance très grande. Il nous permet tout d’abord
une connaissance authentique du judaïsme. Je pense en particulier à la connaissance
des fêtes juives que nous célébrons, toutes ces fêtes qui sont mentionnées dans le
Nouveau Testament nous aident à mieux connaître la théologie du judaïsme. Il y a également
la connaissance de la langue hébraïque qui est toujours parlée, ici et qui permettra
aux chrétiens à mieux connaître les concepts fondamentaux de la Bible.
Quels
sont les éléments que la personne et l’enseignement du Pape François peuvent ajouter
à ce dialogue ? Et surtout, quelles sont les attentes du monde contemporain de la
confrontation entre les juifs et les chrétiens ? Le Pape François a l’art
de la formule brève, bien faite et qui fait réfléchir. Son style est un peu le style
prophétique. Il nous réserve certainement des surprises. Son message, c’est qu’une
société sans Dieu ne peut pas être fraternelle. Nous vivons dans un monde globalisé
qui rejette tout ce qui est valeur religieuse. Mais à ce monde-là, il faut rappeler
l’urgence d’un dialogue car le salut vient des juifs. Et en même temps, si les hommes
éliminent complètement Dieu, la société devient invivable.
Comment Jésus
de Nazareth est-il perçu par les juifs d’aujourd’hui ? Ce sont les juifs libéraux
qui s’intéressent en priorité à Jésus. Ca fait plus de cent ans que les juifs libéraux
écrivent des livres sur Jésus, le juif, leur frère. Donc, je crois qu’il y a là quelque
chose de très important et qui permet également aux exégètes chrétiens de mieux resituer
le Nouveau Testament dans son contexte authentique qui est le monde juif. Les fouilles
récentes de Magdala, de Capharnaüm, de César et de Philippe, de Siloé, des fouilles
près du temple faites en particulier par des archéologues juifs nous aident à connaître
davantage le monde du Nouveau Testament. Saint Ignace disait que lorsqu’il lisait
une page du Nouveau Testament, il essayait de resituer cela dans son véritable contexte.
Or, l’archéologie nous restitue maintenant le véritable contexte du Nouveau Testament.
Dans un article, vous avez écrit que les lieux saints, sans les chrétiens,
se transformeraient en squelettes. Comment voyez-vous l’avenir des chrétiens du Proche-Orient,
en particulier en Terre Sainte ? C’est le Pape Paul VI qui a dit que les lieux
saints ne peuvent pas devenir des musées. Il faut absolument qu’il y ait des communautés
vivantes autour des sanctuaires pour permettre l’actualisation du ministère chrétien.
Nous le savons, le futur est absolument dans les mains de Dieu. Et les chrétiens seront
toujours une petite minorité. Mais il faut que cette minorité soit qualifiée. Puisque
nous n’avons pas la quantité, il faut au moins que nous ayons la qualité. Et cette
qualité, nous l’obtiendrons si nous maintenons l’identité chrétienne. C’est ce qui
est urgent pour nos chrétiens d’ici. Nous savons qu’en Orient, il y a de plus en plus
de persécutions contre les minorités chrétiennes : en Égypte, au Nigéria et même dans
d’autres pays. Les chrétiens seront toujours rejetés parce que leurs valeurs contredisent
les valeurs du monde. Mais le sel peut sauver, donner du goût à la vie. Ce sont les
chrétiens qui doivent maintenir la vocation chrétienne.
En vue de la visite
du Pape François en Terre Sainte, quels sont les éléments communs qui lient chrétiens,
juifs et musulmans ? La beauté de l’arc-en-ciel vient de la variété des couleurs.
En Terre Sainte, les fils d’Abraham doivent se rappeler que leur père est d’abord
l’homme de la foi. Il a cru et c’est pour cela qu’il a été justifié. Les hébreux,
les musulmans et les chrétiens doivent apprendre à se respecter chaque jour davantage
malgré leurs différences. Bien sûr, avec les hébreux, nous avons l’étude des Saintes
Ecritures en commun. Je crois qu’il serait intéressant que le Pape, partant de la
lecture des Écritures rappellent à nos frères juifs l’histoire d’Abraham, le sacrifice
d’Isaac, l’histoire de Joseph vendu par ses frères qui pourront peut être ouvrir davantage
les yeux de nos frères.
Quel message du Pape François est attendu par les
chrétiens et les catholiques ? Les chrétiens savent que le Pape vient d’abord
pour rappeler le cinquantième anniversaire de la visite de Paul VI et du baiser entre
Paul VI et Athënagoras. L’unité des chrétiens est urgente. Nous sommes condamnés à
nous unir ou à disparaître complètement de l’Orient. Et les chrétiens doivent rappeler
au monde la science de la Croix parce que sans l’annonce de Jésus mort et ressuscité,
il n’y a pas de salut.