Le Pape François et le Patriarche Bartholomée ont signé une déclaration commune
(RV) Envoyé spécial - C'est à Jérusalem que se sont retrouvés le Pape François
et le Patriarche œcuménique de Constantinople, Bartholomée. Les deux hommes se sont
entretenus en privé, en présence du Cardinal Pietro Parolin, secrétaire d'Etat du
Saint-Siège, et du Cardinal Kurt Koch, président du Conseil pontifical pour la promotion
de l'Unité des Chrétiens. Le Pape et le Patriarche œcuménique ont ensuite signé une
déclaration commune.
C'est un texte de première importance, car il nous met
noir sur blanc l’état des relations œcuméniques entre catholiques et orthodoxes.
Ce
texte nous dit que la rencontre d’aujourd’hui est une nouvelle étape sur la route
de l’unité, celle de la communion dans une légitime diversité. On s’y félicite de
tous les progrès accomplis depuis 50 ans, au fil des rencontres et des discussions
théologiques. Des progrès substantiels, obtenus notamment par le travail de la Commission
Mixte Internationale. On y déclare, et ce n’est pas un détail, que le dialogue œcuménique,
n’est pas un pur exercice théorique. Que ce dialogue ne recherche pas le plus petit
dénominateur commun sur lequel aboutir à un compromis. Ce serait lamentable.
On
se dit conscient toutefois de ne pas avoir atteint l’objectif de la pleine communion,
et l’on confirme l’engagement à continuer ce chemin vers l’unité. Et concrètement
par un témoignage commun dans la défense de la vie à toutes ses étapes, de la famille
fondée sur le mariage, de la promotion de la paix et de la lutte contre la pauvreté
et les inégalités. Un important chapitre est consacré à la défense de l’environnement,
alors que la planète est malmenée par l’activité humaine. On y trouve un encouragement
à une vie plus sobre et à moins de gaspillage.
On assure aussi l’engagement
commun pour la défense de la liberté religieuse, et on encourage à un authentique
dialogue avec le Judaïsme, l’Islam et les autres traditions religieuses.
Dans
la Déclaration Commune on s’inquiète par ailleurs de la situation des chrétiens au
Moyen-Orient, de leur droit de rester des citoyens à part entière de leurs patries.
On prie ainsi pour la Terre Sainte, pour les Eglises d’Egypte, de Syrie, d’Irak.
La Déclaration Commune se conclut sur cette nécessité, cette urgence d’un
témoignage commun de l’Evangile pour le bien de toute l’humanité et des générations
futures.
(Bernard Decottignies, envoyé spécial en Terre Sainte)
Ci-dessous,
le texte intégral de la déclaration commune :
DÉCLARATION COMMUNE DU PAPE
FRANÇOIS ET DU PATRIARCHE BARTHOLOMÉE
1. Comme nos vénérables prédécesseurs,
le Pape Paul VI et le Patriarche Œcuménique Athénagoras, qui se sont rencontrés ici
à Jérusalem, il y a cinquante ans, nous aussi, le Pape François et le Patriarche Œcuménique
Bartholomée, nous étions déterminés à nous rencontrer en Terre Sainte «où notre commun
Rédempteur, le Christ Notre-Seigneur, a vécu, a enseigné, est mort, est ressuscité
et monté au ciel, d’où il a envoyé le Saint Esprit sur l’Église naissante» (Communiqué
commun du Pape Paul VI et du Patriarche Athénagoras, publié après leur rencontre du
6 janvier 1964). Notre nouvelle rencontre, entre les Évêques des Églises de Rome et
de Constantinople, fondées respectivement par les deux Frères, les Apôtres Pierre
et André, est pour nous source d’une profonde joie spirituelle. Elle offre une occasion
providentielle pour réfléchir sur la profondeur et sur l’authenticité des liens existant
entre nous, qui sont les fruits d’un parcours rempli de grâce au long duquel le Seigneur
nous a conduits, depuis ce jour béni d’il y a cinquante ans.
2. Notre rencontre
fraternelle, aujourd’hui, est une nouvelle et nécessaire étape sur la route de l’unité
à laquelle seul l’Esprit Saint peut nous conduire, celle de la communion dans une
légitime diversité. Nous nous rappelons, avec une profonde gratitude, les étapes que
le Seigneur nous a déjà rendus capables d’entreprendre. L’accolade échangée entre
le Pape Paul VI et le Patriarche Athénagoras, ici, à Jérusalem, après tant de siècles
de silence, a préparé le chemin pour un geste important, le retrait de la mémoire
et du sein de l’Église des actes d’excommunication mutuelle en 1054. Ce geste a été
suivi par un échange de visites entre les Sièges respectifs de Rome et de Constantinople,
par une correspondance régulière et, plus tard, par la décision, annoncée par le Pape
Jean-Paul II et le Patriarche Dimitrios, tous deux d’heureuse mémoire, d’initier un
dialogue théologique en vérité entre Catholiques et Orthodoxes. Tout au long de ces
années, Dieu, source de toute paix et de tout amour, nous a enseignés à nous regarder
les uns les autres comme membres de la même Famille chrétienne, sous un seul Seigneur
et Sauveur, Jésus Christ, et à nous aimer les uns les autres, de sorte que nous puissions
professer notre foi au même Évangile du Christ, tel qu’il fut reçu par les Apôtres,
exprimé et transmis à nous par les Conciles Œcuméniques ainsi que par les Pères de
l’Église. Tandis que nous sommes conscients de ne pas avoir atteint l’objectif de
la pleine communion, aujourd’hui, nous confirmons notre engagement à continuer de
marcher ensemble vers l’unité pour laquelle le Christ notre Seigneur a prié le Père
« afin que tous soient un » (Jn 17, 21).
3. Bien conscients que l’unité est
manifestée dans l’amour de Dieu et dans l’amour du prochain, nous attendons avec impatience
ce jour où, finalement, nous partagerons ensemble le Banquet eucharistique. Comme
chrétiens, nous sommes appelés à nous préparer à recevoir ce don de la Communion eucharistique,
selon l’enseignement de Saint Irénée de Lyon (Contre les Hérésies, IV, 18, 5, PG 7,
1028), par la confession de la même foi, une prière persévérante, une conversion intérieure,
une vie renouvelée et un dialogue fraternel. En atteignant ce but espéré, nous manifesterons
au monde l’amour de Dieu par lequel nous sommes reconnus comme de vrais disciples
de Jésus Christ (cf. Jn 13, 35).
4. À cette fin, le dialogue théologique entrepris
par la Commission Mixte Internationale offre une contribution fondamentale à la recherche
pour la pleine communion entre Catholiques et Orthodoxes. Aux temps successifs des
Papes Jean-Paul II et Benoît XVI, et du Patriarche Dimitrios, les progrès de nos rencontres
théologiques ont été substantiels. Aujourd’hui, nous exprimons notre sincère appréciation
pour les acquis, tout comme pour les efforts en cours. Ceux-ci ne sont pas un pur
exercice théorique, mais un exercice dans la vérité et dans l’amour qui exige une
connaissance toujours plus profonde des traditions de l’autre pour les comprendre
et pour apprendre à partir d’elles. Ainsi, nous affirmons une fois encore que le dialogue
théologique ne recherche pas le plus petit dénominateur commun sur lequel aboutir
à un compromis, mais qu’il est plutôt destiné à approfondir la compréhension de la
vérité tout entière que le Christ a donnée à son Église, une vérité que nous ne cessons
jamais de mieux comprendre lorsque nous suivons les impulsions de l’Esprit Saint.
Par conséquent, nous affirmons ensemble que notre fidélité au Seigneur exige une rencontre
fraternelle et un dialogue vrai. Une telle quête ne nous éloigne pas de la vérité
; tout au contraire, à travers un échange de dons, sous la conduite de l’Esprit Saint,
elle nous mènera à la vérité tout entière (cf. Jn 16, 13).
5. Cependant, même
en faisant ensemble cette route vers la pleine communion, nous avons maintenant le
devoir d’offrir le témoignage commun de l’amour de Dieu envers tous, en travaillant
ensemble au service de l’humanité, spécialement en défendant la dignité de la personne
humaine à toutes les étapes de la vie et la sainteté de la famille basée sur le mariage,
en promouvant la paix et le bien commun, et en répondant à la souffrance qui continue
d’affliger notre monde. Nous reconnaissons que la faim, la pauvreté, l’analphabétisme,
l’inéquitable distribution des ressources doivent constamment être affrontés. C’est
notre devoir de chercher à construire une société juste et humaine dans laquelle personne
ne se sente exclu ou marginalisé.
6. C’est notre profonde conviction que l’avenir
de la famille humaine dépend aussi de la façon dont nous sauvegardons – à la fois
prudemment et avec compassion, avec justice et équité – le don de la création que
notre Créateur nous a confié. Par conséquent, nous regrettons le mauvais traitement
abusif de notre planète, qui est un péché aux yeux de Dieu. Nous réaffirmons notre
responsabilité et notre obligation d’encourager un sens de l’humilité et de la modération,
de sorte que tous sentent la nécessité de respecter la création et de la sauvegarder
avec soin. Ensemble, nous réaffirmons notre engagement à sensibiliser au sujet de
la gestion de la création ; nous appelons tous les hommes de bonne volonté à considérer
les manières de vivre plus sobrement, avec moins de gaspillage, manifestant moins
d’avidité et plus de générosité pour la protection du monde de Dieu et pour le bénéfice
de son Peuple.
7. De même, il y a une nécessité urgente pour une coopération
effective et engagée des chrétiens en vue de sauvegarder partout le droit d’exprimer
publiquement sa foi, et d’être traité équitablement lorsqu’on promeut ce que le Christianisme
continue d’offrir à la société et à la culture contemporaines. À ce propos, nous invitons
tous les chrétiens à promouvoir un authentique dialogue avec le Judaïsme, l’Islam
et d’autres traditions religieuses. L’indifférence et l’ignorance mutuelles ne peuvent
que conduire à la méfiance, voire, malheureusement, au conflit.
8. De cette
sainte ville de Jérusalem, nous exprimons nos profondes préoccupations partagées pour
la situation des chrétiens au Moyen Orient et pour leur droit de rester des citoyens
à part entière de leurs patries. Avec confiance, nous nous tournons vers le Dieu tout-puissant
et miséricordieux, dans une prière pour la paix en Terre Sainte et au Moyen Orient
en général. Nous prions spécialement pour les Églises en Égypte, en Syrie et en Irak,
qui ont souffert le plus douloureusement en raison des récents événements. Nous encourageons
toutes les parties, indépendamment de leurs convictions religieuses, à continuer d’œuvrer
pour la réconciliation et pour la juste reconnaissance des droits des peuples. Nous
sommes persuadés que ce ne sont pas les armes, mais le dialogue, le pardon et la réconciliation
qui sont les seuls moyens possibles pour obtenir la paix.
9. Dans un contexte
historique marqué par la violence, l’indifférence et l’égoïsme, beaucoup d’hommes
et de femmes sentent aujourd’hui qu’ils ont perdu leurs repères. C’est précisément
à travers notre témoignage commun de la bonne nouvelle de l’Évangile que nous pouvons
être capables d’aider nos contemporains à redécouvrir la voie qui conduit à la vérité,
à la justice et à la paix. Unis dans nos intentions, et nous rappelant l’exemple,
il y a cinquante ans, du Pape Paul VI et du Patriarche Athénagoras, nous lançons un
appel à tous les chrétiens, ainsi qu’aux croyants de toutes les traditions religieuses
et à tous les hommes de bonne volonté, à reconnaître l’urgence de l’heure qui nous
oblige à chercher la réconciliation et l’unité de la famille humaine, tout en respectant
pleinement les différences légitimes, pour le bien de toute l’humanité et des générations
futures.
10. En entreprenant ce pèlerinage commun à l’endroit où notre unique
et même Seigneur Jésus Christ a été crucifié, a été enseveli et est ressuscité, nous
recommandons humblement à l’intercession de la Très Sainte et toujours Vierge Marie
nos futurs pas sur le chemin vers la plénitude de l’unité, en confiant l’entière famille
humaine à l’amour infini de Dieu. « Que le Seigneur fasse briller sur toi son visage,
qu’il se penche vers toi ! Que le Seigneur tourne vers toi son visage, qu’il t’apporte
la paix ! » (Nb 6, 25-26).
Photo : le Pape François et le patriarche
de Constantinople Bartholomée lors de leur rencontre au Saint Sépulcre à Jérusalem
le 25 mai 2014