Le Pape en Terre Sainte : un voyage pour relancer l'œcuménisme
(RV) Entretien - C’est un pèlerinage œcuménique en Terre Sainte avec le patriarche
de Constantinople Bartholomée que le Pape François s’apprête à accomplir en fin de
semaine, pour marquer le 50ème anniversaire de la rencontre historique du Pape Paul
VI et du Patriarche œcuménique Athénagoras à Jérusalem. Leur accolade en 1964 avait
mis fin à plus de mille ans d’anathèmes, et lancé le long chemin du dialogue.
Parsemé
de rencontres, de rapprochements, de discussions et d’avancées doctrinales, ce vaste
chantier du dialogue s’est quelque peu essoufflé. Certains replis identitaires n’y
sont pas étrangers. Cinquante ans se sont passés et il faut raviver la flamme, car
si pas mal de questions sociétales réunissent les Eglises catholique et orthodoxe,
d’autres questions, comme la primauté du Pape, sont toujours des pierres d’achoppement.
Reparcourons le fil de ce dialogue œcuménique avec le Père Hyacinthe Destivelle,
dominicain, en charge du dialogue avec les orthodoxes au sein du Conseil pontifical
pour la promotion de l’Unité des chrétiens. Il est interrogé par Bernard Decottignies
Alors,
quand on suit ce travail du dialogue œcuménique, on a l’impression, d’après les déclarations
des acteurs de ce dialogue, que beaucoup de chemin a bien sûr été parcouru depuis
50 ans mais que malheureusement, il faudrait un peu rallumer la flamme comme s’il
y avait eu finalement quelques blocages ces dernières années, même des replis identitaires.
C’est votre impression ? Effectivement, cette rencontre entre le Pape Paul
VI et Athënagoras il y a cinquante ans a été vraiment le point de départ de tout un
chemin qu’on a appelé « le dialogue de la charité » qui a conduit à la levée des anathèmes,
à des rencontres réciproques, à toute une correspondance d’amitié spirituelle entre
Paul VI et Athënagoras qu’on a appelé le « Tomos Agapis », le livre de la charité
puis le dialogue de la vérité, c’est-à-dire le dialogue théologique qui a commencé
en 1979. Actuellement, on est effectivement dans une phase de renouvellement du dialogue
de la charité et de la vérité parce que nous sommes dans un contexte tout à fait
différent par rapport à il y a cinquante ans. Il y a cinquante ans, il y avait encore
le rideau de fer qui séparait l’Europe. Une grande partie des chrétiens d’Europe centrale
et orientale vivaient dans des régimes autoritaires et n’avaient pas la possibilité
d’avoir des contacts avec les chrétiens d’Occident. Maintenant, nous sommes dans une
situation différente qui n’est pas encore stabilisée et il faut du temps pour que
comme le disait Saint Jean-Paul II, nous puissions apprendre à respirer à deux poumons.
C’est le but de cette rencontre de renouveler l’inspiration qui a présidé la rencontre
entre le Pape Paul VI et le patriarche Athënagoras pour que nous puissions véritablement
respirer à deux poumons et aussi, appliquer ce que dit souvent le Pape François dans
ses déclarations œcuméniques, de favoriser un échange des dons. Par rapport à il y
a cinquante ans, on a peut-être une autre conception de l’œcuménisme. L’œcuménisme
ou l’unité des chrétiens ne se fera pas par la recherche d’un plus petit commun dénominateur,
par des compromis mais en échangeant les dons réciproques de nos Églises. Le Pape
François insiste particulièrement dans cet échange de dons sur ce que nous pouvons,
nous, apprendre des chrétiens orientaux, des orthodoxes, en particulier en ce qui
concerne la conciliarité et ce que eux aussi peuvent peut-être apprendre de l’Église
catholique. Nous sommes maintenant dans une autre configuration politique puisque
l’Europe a bien changé depuis cinquante ans et se situe dans une autre configuration
ecclésiale et théologique qui suppose maintenant d’aller de l’avant dans le dialogue
de la charité et de la vérité.
Cette facilité des contacts aujourd’hui,
après la fin de la guerre froide, est-ce que ça nous amène à nous dire qu’il n’y a
plus d’excuses finalement à ne pas s’entendre ? C’est-à-dire que l’unité, comme
le Christ appelle à l’unité dans sa fameuse prière « Ut Unum Sint », qu’il soit "Un"-ça
sera d’ailleurs la devise du pèlerinage du Pape François en Terre Sainte- qu’ils soient
Un pour que le monde croit. L’unité n’est pas un but en soi, c’est pour l’évangélisation,
la crédibilité même du message chrétien de l’Évangile que les chrétiens doivent se
rapprocher pour que leur témoignage d’unité soit un signe au monde d’aujourd’hui.
Et donc, effectivement, il n’y a jamais eu d’excuses, en fait, à nos divisions. Il
y a malheureusement le péché, l’incompréhension et ce que le grand théologien, Yves
Congar a appelé l’étrangement, le fait que nous soyons devenu les uns et les autres,
étrangers. Il s’agit aujourd’hui de nous rapprocher pour nous redécouvrir comme frères.
C’est le but de ce pèlerinage.
On a évoqué tout à l’heure, le passage à
un certain moment au dialogue théologique. Aujourd’hui, quelles sont les pierres d’achoppement
majeures, tout d’abord peut-être avec les orthodoxes ? Oui, aujourd’hui, le
dialogue théologique avec les orthodoxes porte sur la question de la primauté dans
l’Église des relations entre primauté et conciliarité ou synodalité. La prochaine
assemblée de la Commission mixte du dialogue théologique entre catholiques et orthodoxes
portera sur cette grande question des relations entre primauté et conciliarité parce
que c’est la principale pierre d’achoppement entre catholiques et orthodoxes. Le Pape
François, à plusieurs reprises, a appelé les théologiens catholiques à s’inspirer
de la collégialité, de la synodalité telle qu’elle est vécue dans le monde orthodoxe
pour que nous puissions aussi mieux vivre cette synodalité au sein même de l’Église
catholique et peut-être que le monde orthodoxe peut aussi s’inspirer ou retrouver
la nécessité, le besoin d’actualiser une primauté qui soit au service de l’unité.
Cette
question de l’œcuménisme fait votre quotidien. Autant coté catholique que coté orthodoxe,
est-ce que vous rencontrez des personnes hostiles à ces avancées et à ce travail ?
Évidemment, il y a toujours des gens qui insistent plutôt sur l’identité du
chrétien, qu’il soit occidental ou oriental mais justement, l’œcuménisme, ce n’est
pas un refus de son identité, c’est s’enrichir et enrichir les autres de sa propre
identité et éventuellement, s’enrichir de toutes les richesses qu’ils peuvent nous
apporter. Encore une fois, l’œcuménisme, ce n’est pas la recherche d’un compromis
mais c’est s’enrichir et enrichir les autres de sa propre identité. Et donc, il n’y
a pas de contradiction, en réalité, entre la recherche d’unité et la recherche d’une
identité comme certains le craignent. Aujourd’hui, je pense que la plupart des chrétiens
sont convaincus, grâce à toutes les avancées théologiques et spirituelles du vingtième
siècle, de la nécessité de l’unité. Comment pourrait-il en être autrement quand le
Christ lui-même nous demande d’être "Un" pour témoigner. Il y a maintenant une forte
aspiration pour la plupart des chrétiens à l’unité mais nous avons besoin de signes
pour être encouragés dans cette voie et je pense que la rencontre entre Paul VI et
Athënagoras a été un de ces signes majeurs de cette unité qui est maintenant en marche
et la rencontre du Pape François avec le patriarche œcuménique Bartholomée pourrait
être un nouveau signe ou en tout cas, pourrait nous encourager à aller de l’avant
dans cette recherche de l’unité.
Un nouveau signe bien compréhensible puisqu’il
sera fort en symboles pour les croyants lambda, pour le catholique lambda. Pensez-vous
que c’est parfois compliqué pour une personne toute simple de comprendre la complexité
du dialogue théologique à très haut niveau ? Oui, l’œcuménisme a plusieurs
dimensions. L’œcuménisme, ce n’est pas forcément ou ce n’est pas uniquement la réunion
d’experts, de théologiens qui vont se réunir pour des conversations théologiques de
très haut niveau. L’œcuménisme commence d’abord dans le cœur de chacun pour purifier
son regard sur les autres chrétiens, pour mieux les connaître, ne pas avoir d’a priori,
de préjugés sur les autres chrétiens. Ça commence comme cela l’œcuménisme. C’est ce
qu’on appelle l’œcuménisme spirituel, la purification du cœur, la purification de
la mémoire dont ont parlé Paul VI et Jean-Paul II en particulier, notamment lors des
démarches jubilaires à l’approche de l’an 2000. Il y a donc cet œcuménisme spirituel.
Il y a aussi l’œcuménisme pratique, tout ce que nous pouvons faire ensemble pour la
paix, pour la justice, pour la solidarité. Ce ne sont pas seulement des grandes déclarations
mais c’est aussi agir ensemble pour la paix et la justice. C’est aussi une dimension
importante de l’œcuménisme. Et bien sûr, il y a aussi le dialogue théologique pour
essayer de résoudre les questions dogmatiques qui nous divisent encore. Donc, l’œcuménisme
est à divers niveaux. Et chacun peut y prendre sa part.
Une toute dernière
question : vous évoquez donc la nécessité de la paix, d’un dialogue justement œcuménique
qui porte à la paix et à la solidarité. Certaines personnes estiment parfois que cette
division des chrétiens fait le lit de certains conflits, vu qu’il y a des haines encore
vives. Je pense notamment à l’Ukraine, le cas le plus actuel. Qu’est-ce que vous pensez
? Est-ce réducteur de penser comme cela ? Oui, je pense que souvent, la racine
des conflits n’est pas religieuse. Ce sont souvent des questions nationales ou politiques
qui revêtent des habits religieux mais qui ne sont pas du tout des conflits religieux.
Et au contraire, en Ukraine, on a vu que la crise actuelle qui est d’abord une crise
nationale, d’identité nationale et une crise politique a, au contraire, rapproché
les Églises. Malheureusement, les questions nationales peuvent parfois servir de prétexte
à des conflits religieux ou être revêtus d’habits religieux et c’est alors dramatique.
Photo : le patriarche Bartholomée Ier et le Pape François