Le cardinal Onaiyekan : «Les chefs religieux du Nigeria doivent avoir plus de place
face à Boko Haram»
(RV) Entretien -Le gouvernement nigérian s'est dit prêt ce mardi à dialoguer
avec Boko Haram qui retient depuis un mois en otage quelques 200 lycéennes de Chibok.
Dans le même temps il a prorogé l'état d'urgence dans plusieurs villes du nord-est
du pays. De son côté le groupe islamiste propose une libération en échange de prisonniers.
Tout cela intervient alors que la mobilisation internationale grandit pour faire libérer
les jeunes filles.
Outre les appels à relâcher les jeunes otages, qui ne cessent
de se multiplier, plusieurs pays, comme les Etats Unis ou la France ont proposé leur
collaboration au gouvernement nigérian. Des avions américains survolent déjà le nord
du pays. Cette ouverture au dialogue du gouvernement constitue-t-elle un véritable
signe d’espoir? Hélène Destombes a posé la question au cardinal John Onaiyekan,
l’archevêque d’Abuja, actuellement à Rome
C’est un
signe d’espoir, pas seulement du côté du gouvernement nigérien mais aussi du coté
de Boko Haram parce que jusqu’ici, Boko Haram a toujours dit ne pas être prêt à dialoguer. Alors,
lorsqu’ils disaient cela, il n’y avait pas moyen d’avancer. Si maintenant, ils sont
disponibles pour dialoguer et le gouvernement nigérien est également disposé, ce qui
reste maintenant, c’est de trouver les moyens, les canaux, les personnes et les intermédiaires
qui pourraient intervenir dans cette affaire.
Quels pourraient être ces
intermédiaires ? Je ne sais pas exactement qui mais je sais qu’il y a beaucoup
de personnes qui ont des idées assez proches de celles de Boko Haram qui pourraient
aussi devenir des intermédiaires. Si on décide de parler, de dialoguer, le gouvernement
doit être disponible pour traiter avec tout le monde. Mais l’autre coté doit aussi
être disponible à parler avec le gouvernement. Tout cela est pour le bien du pays.
Les leaders religieux pourraient-ils jouer le rôle de médiateurs entre
les deux parties ? Oui, le dommage, c’est que jusqu’ici, le gouvernement a
pensé que les choses n’avaient pas de grande incidence religieuse. Très souvent, il
dit que « Boko Haram n’a rien avoir avec la religion ». Également du coté des chefs
musulmans, ils ont toujours dit « ces gens-là ne sont pas des musulmans, ce sont
des criminels ». Mais en parlant ainsi, on n’arrive jamais à la réalité des choses
parce que c’est clair que Boko Haram a une matrice religieuse et c’est clair qu’ils
parlent toujours de l’Islam. Nous l’avons vu très clairement dans la vidéo. Il faut
que les chefs religieux, musulmans et chrétiens acceptent que nous ayons un problème
avec ces groupes-là et qu’ensemble, on cherche un moyen pour trouver un accès à ces
gens-là. Je ne sais pas si le gouvernement va donner plus d’espace aux chefs religieux,
particulièrement les chefs musulmans.
C’était important qu’ils condamnent
les actes de Boko Haram ? Ils l’ont déjà fait mais moi, je dis que ce n’est
pas assez. Il faut aller plus loin que condamner. C’est ce que je dis aussi aux organisations
islamiques internationales qui condamnent ce qui s’est passé. Je dis « ce n’est pas
assez, il faut aller plus loin que condamner. Il faut trouver le moyen de progresser
dans notre effort, de changer la mentalité des ces gens-là. Si les autorités religieuses
nigériennes musulmanes acceptent cette chose-là, on pourrait aller très vite, on pourrait
avoir beaucoup de succès.
Boko Haram a déjà commis de nombreuses exactions.
Mais cet enlèvement qui a mobilisé la Communauté Internationale permet enfin de s’atteler
au problème ? Oui, Boko Haram a toujours fait ces choses-là. Ils ont tué beaucoup
de gens, au moins deux mille personnes. Mais il semble que dans la Communauté Internationale,
on le prenne comme quelque chose de presque normal. Et les gens qui vivent là, dans
la région du nord-est, ils ont commencé à penser que le gouvernement n’a pas beaucoup
d’intérêt dans leurs problèmes. Maintenant, grâce à la forte attention de la Communauté
Internationale, le gouvernement nigérien a dû prendre des mesures très précises et
très claires. Mais à propos du dialogue, le cas des filles enlevées nous démontre
très clairement que lorsqu’on a affaire aux terroristes, il y a toujours une limite
pour les forces militaires. Parce que même si on trouve où se trouvent ces filles,
pour les libérer saines et sauves, ca ne sera pas avec les mitraillettes. Il faudrait
trouver un moyen de convaincre ces gens-là. On nous a dit qu’ils ont demandé comme
contrepartie, la libération de leurs prisonniers. Selon moi, on pourrait aussi considérer
cela parce qu’on doit tout faire pour libérer ces fillettes.
Il y a
dix jours, vous aviez dénoncé l’incapacité du gouvernement nigérien à réagir, à tenter
de retrouver ces jeunes filles. Vous pensez qu’aujourd’hui, le gouvernement a véritablement
pris à bras-le-corps cette question, notamment en acceptant une coopération avec les
États-Unis ? Ce que moi j’ai réclamé, c’était que le gouvernement nigérien,
avec nos force de sécurité devaient faire plus. Jusqu’ici, je pense encore que le
gouvernement nigérien doit avoir la possibilité d’affronter ces problèmes-là. S’il
s’agit d’acquérir du matériel spécial, qu’il l’achète, on a beaucoup d’argent. Nous
avons beaucoup d’argent issu du pétrole. Il faut acheter toutes ces choses-là.
Vous
parlez d’armes ? Il faut acheter tout ce qu’on a besoin. C’est le rôle du
gouvernement d’assurer la sécurité des gens. C’est aussi le rôle de l’armée d’assurer
la sécurité des gens, de défendre les gens contre les terroristes, les bandes armées,
etc. Or, il semble que depuis longtemps, les forces de sécurité nigériennes n’ont
pas beaucoup fait pour freiner l’activité de Boko Haram ni particulièrement, pour
défendre les gens dans cette région. Si c’est parce qu’ils ne voulaient pas le faire,
maintenant, il faut avoir la volonté politique de le faire. Mais si c’est parce qu’ils
n’ont pas les moyens de le faire et si c’est pour cela qu’ils ont invité les autres
gouvernements américains, chinois etc, à venir nous aider, alors, je dis que c’est
dommage parce que le gouvernement nigérien doit avoir la possibilité de s’armer suffisamment
pour faire ce travail-là et défendre les citoyens. Le problème, c’est comment réussir
à avoir une position du gouvernement qui soit fortement unie, qui cherche un moyen
d’écarter toutes ces querelles au sein de ce même gouvernement nigérien. Les positions
politiques pensent que le gouvernement-même n’a peut-être pas mis assez l’accent sur
la sécurité des nigériens, qu’il pense peut-être trop à comment continuer à gouverner,
à comment gagner les élections. Et tout cela n’a pas permis de regarder les choses
clairement, avec tout le sérieux qu’il faudrait.