(RV) Entretien- L'Angola est à la une de l'actualité. Le président Jose Eduardo
Dos Santos, au pouvoir depuis 35 ans, est en tournée en Europe ces jours-ci. Après
avoir fait escale en France où il ne s'était pas rendu depuis vingt ans, le chef de
l'Etat angolais a poursuivi sa visite en Italie et au Vatican où il a été reçu vendredi
dernier par le Pape François. C'est aussi en Angola que s'achève ce lundi la première
tournée africaine du secrétaire d'état américain John Kerry.
Le voyage diplomatique
du président angolais est l'occasion pour nous de parler de son pays. Un pays qui
est en pleine croissance après la terrible guerre civile qui s'est achevée en 2002,
mais qui souffre aussi de très grandes inégalités.
A quoi ressemble l'Angola
aujourd'hui, un pays que Benoît XVI avait visité en 2009 ? Olivier Bonnel nous propose
un tour d'horizon avec Didier Péclard, spécialiste de l'Angola à la fondation suisse
pour la paix à Berne
Dix ans
après la fin de la guerre, l’Angola est devenu un acteur incontournable sur la scène
africaine. C’est une des puissances économiques montantes avec une production pétrolière
très importante qui avoisine les deux millions de barils (il y en a en moyenne 1,7-1,8
million). C’est aussi une puissance financière importante avec beaucoup d’investissements
de la part d’entrepreneurs politico-économiques angolais dans différents pays européens
et notamment, le Portugal. Donc, c’est devenu depuis quelques années un acteur très
important sur la scène africaine, en tous cas, en termes économiques.
La
principale ressource du pays, c’est la manne pétrolière. Néanmoins, le pays est l’un
des plus chers au monde avec un taux d’inflation qui explose. Comment expliquer que
le pays n’arrive pas à enrayer cette situation qui provoque une économie à deux vitesses
? Du point de vue macro-économique, la situation en Angola s’est beaucoup stabilisée
par rapport à ce qu’elle était à la fin des années’90 et à la fin de l’époque de la
guerre. Mais depuis 2002 qui est l’année où la paix s’est installée et a été signée,
vous avez vraiment une économie à deux vitesses avec d’un coté, une petite élite autour
de la famille présidentielle et de la famille élargie au sens politique du MPLA et
du régime qui elle, dispose donc du contrôle de la manne pétrolière mais aussi des
diamants, qui dispose aussi de retours sur tous les investissements qui ont été faits
et qui ont été absolument énormes dans le secteur des infrastructures depuis la fin
de la guerre. C’est une élite politico-économique qui a pu bénéficier du boom incroyable
qu’a connu l’Angola entre 2002 et 2008 et un petit moins depuis. D’un autre coté,
la majorité de la population qui elle, effectivement vit encore dans une situation
très difficile, notamment dans les villes de province, dans les bidonvilles de la
capitale de Luanda qui s’est agrandi d’une façon exponentielle pendant et depuis
la fin de la guerre. Une énorme différence entre une grande partie de la population
encore très pauvre et une petite élite très riche.
Justement, est-ce que
les autorités ont réussi à investir et à préparer l’après-pétrole puisqu’on sait évidemment
la vulnérabilité de ce pays qui dépend énormément de l’or noir ? C’est un des
thèmes qui revient régulièrement dans la discussion politique en Angola mais pour
l’instant, disons qu’il y a encore très peu de pas qui ont été franchis dans cette
direction. Mais il faut aussi voir d’où vient l’Angola après plus de 25 années de
guerre. Le premier effort a été fait à partir de 2002 dans la reconstruction des infrastructures.
Et là c’est vrai qu’il y a un effort énorme qui a été fait dans la reconstruction
des routes, des chemins de fer, des infrastructures portuaires pour certains endroits.
Mais on est encore très loin d’une économie diversifiée, d’une industrialisation où
par exemple même dans le secteur pétrolier, l’Angola importe pratiquement tout son
pétrole raffiné parce qu’il n’y a pas de capacité de raffinerie suffisante à l’intérieur
du pays alors qu’il est l’un des plus grands exportateurs de pétrole. Donc, on est
encore très loin de cela.
Est-ce que la société civile angolaise existe
sur la scène angolaise ? Est-ce que la société civile arrive à parler ? Elle
arrive à parler mais elle est extrêmement faible et faible historiquement parce qu’elle
a été aussi divisée, notamment par les mêmes divisions qui ont créé la guerre civile.
Ça a été le cas des Églises pendant les années 70-80-90 qui a été aussi très largement
divisée selon des clivages régionaux et parfois ethniques et qui ont eu beaucoup de
peine à parler d’une seule voie. Le seul moment où elles ont vraiment pu commencer
à parler d’une seule voix, c’était à la fin des années 90, au moment où une solution
négociée au conflit aurait encore été possible mais là, les Églises étaient vraiment
le fer de lance au niveau de la société civile pour demander une solution négociée,
une table-ronde, une commission de vérité-réconciliation éventuellement.
Tout
cela n’a pas été possible parce que finalement, la guerre s’est terminée par les armes,
c’est-à-dire que le MPLA, le régime au pouvoir a donc battu militairement l’Unita
de Jonas Savimbi et a tué aussi Savimbi. Ce qui a été aussi une des tactiques du
gouvernement pour arriver à garder le contrôle sur la transition post-guerre. Une
solution militaire était aussi une manière d’affaiblir encore plus la société civile
et d’éviter que des acteurs dans la société civile prennent un rôle trop important
dans la post-guerre. Ce qui fait que maintenant, dix ans après la fin de la guerre,
la société civile a beaucoup de peine à faire entendre sa voix, elle est encore assez
divisée, assez peu organisée politiquement. Ce qui fait aussi que c’est très difficile
de soutenir par exemple la défense des droits de l’homme ou des droits du citoyen
face à un pouvoir qui est tout puissant.
Malgré cela, une chose qui est vraiment
importante de souligner, c’est que depuis 2011, il y a eu régulièrement, un peu dans
la suite des printemps arabes, des manifestations, notamment à Luanda, organisées
par des jeunes sans affiliation politique directe qui ont pris un petit peu tout le
monde par surprise à l’époque et des jeunes qui demandaient avant tout un changement
de régime ( on est maintenant à 35 années de règne pour Dos Santos) mais qui en fait
dans le message, a beaucoup de peine à avoir un impact au-delà de cercles très restreints,
d’une part à cause de la politique de répression très forte de la part du gouvernement
et d’autre part aussi, du fait de la faiblesse structurelle de la société civile qui
fait qu’il y a très peu de relais entre ces jeunes, des partis politiques d’opposition
et d’autres structures éventuelles de la société civile.
Vous avez évoqué
l’Église tout à l’heure dans les années post-guerre. Quelle place représente l’Église
aujourd’hui en Angola ? On sait que le Pape Benoît XVI s’est rendu en Angola il y
a quelques années.
Alors, l’Église a un rôle citoyen très important. La
plupart des angolais sont membres d’une Église ou d’une autre. L’Église catholique
est la plus importante. Il y a également de très importantes Églises protestantes.
Mais je dirais que son poids politique est vraiment inversement proportionnel à son
importance sociale, culturelle et religieuse. Une des stratégies de la part du gouvernement,
ça a été de confiner les Églises dans un rôle religieux mais aussi social et éventuellement
humanitaire et de faire en sorte que les Églises ne puissent pas prendre un rôle important,
par exemple en tant que porte-voix des pauvres, de la société civile, etc. Et là,
le gouvernement a eu pas mal de succès dans cette stratégie dans la mesure où les
Églises n’ont pas de rôle qu’on pourrait dire prophétique ou en tout cas prolifique
de défense des minorités, des pauvres, etc. Au contraire, on peut même dire qu’il
y a eu un certain alignement de la part de l’Église catholique et des principales
Églises protestantes sur la ligne du gouvernement.