Centrafrique : une réconciliation nationale compromise
(RV) Entretien- La dimension religieuse du conflit centrafricain est plus que
jamais prégnante. Les musulmans sont clairement la cible des attaques des milices
anti-balakas, composées de chrétiens. Malgré les appels au calme lancés à plusieurs
reprises par les chefs des différentes communautés religieuses de République centrafricaine,
rien n’y fait. Les exactions en tout genre affectent principalement les musulmans
qui, dans l’ouest et à Bangui, sont contraints de vivre retranchés dans des quartiers
bien spécifiques où ils sont sous la protection des forces africaines ou européennes.
En début de semaine, deux personnes ont été tuées et six autres blessées lundi
en fin d’après-midi dans l’attaque d’un convoi de civils. L’assaut a été donné dans
la région de Dékoa, à 300 kilomètres au nord de la capitale. Ce convoi de 1300 musulmans
était parti dimanche dernier de Bangui, escorté par la MISCA, la force africaine en
Centrafrique.
L’espoir d’une réconciliation nationale semble bien s’évanouir,
ce que confirme Thierry Vircoulon, directeur pour l’Afrique centrale de l’International
Crisis Group, même si on ne peut pas parler de partition :
Cette évacuation,
ce n’est que la fin de la position assez intenable dans laquelle sont les communautés
musulmanes dans l’ouest du pays et à Bangui. De toute façon, le mouvement de départ
des musulmans avait commencé au début de cette année avec des communautés qui se sont
enfouies dès que les anti-Balaka ont commencé à prendre de l’espace. Ils se sont enfouis
au Cameroun, au Tchad et puis, il y a une situation où dans les villes de l’ouest
et à Bangui, des communautés musulmanes qui n’ont pas eu le temps de s’enfuir se sont
retrouvés piégées. La division un peu religieuse du pays a commencé, en fait, depuis
le début de cette année.
Finalement, selon vous, cette dernière évacuation
des musulmans de Bangui n’est qu’un énième épisode de cette partition qui a tout de
même lieu ou pas ? Je ne parlerais pas de partition parce qu’il faudrait pour
cela que certaines personnes décident de déclarer l’autonomie ou la sécession, etc.
Ce que vous avez, c’est une redéfinition de la carte religieuse du pays avec, en effet,
un ouest qui s’est maintenant quasiment vidé de ses populations musulmanes et un est,
notamment un nord-est, où celles-ci sont majoritaires bien qu’il y ait encore et toujours
des communautés chrétiennes dans cette zone. Donc, l’évacuation qui a eu lieu était
en fait la fin du dilemme face auquel la Communauté Internationale se trouvait depuis
au moins deux mois en RCA : c’est-à-dire soit maintenir ces musulmans piégés dans
les villes de l’ouest -ce qui signifiait évidemment les protéger et les nourrir parce
qu’ils ne pouvaient même pas sortir de leurs quartiers- soit, en effet, les évacuer
comme ils le demandaient vers des environnements plus sécures. Donc, c’est ce qui
a été effectivement décidé. Il y a eu un certain nombre de tergiversations et on se
rappelle qu’au début, la position française était contre ces évacuations mais vouloir
maintenir ces communautés dans des environnements hostiles, ça voulait dire aussi
devoir les protéger.
Pourquoi le gouvernement centrafricain a dénoncé cette
opération qu’il a qualifiée d’unilatérale ? Le gouvernement de transition a
besoin de pouvoir dire que la réconciliation entre les musulmans et les chrétiens
est possible, que la coexistence est encore possible, etc. Or, ce qu’on a observé
ces dernières semaines à Bangui, c’est une attaque en règle contre le quartier des
musulmans qui s’appelle le PK-5. C’est toujours une hostilité extrêmement forte de
la population banguisoise à l’égard des musulmans. Donc, j’aurais tendance à dire
qu’on était pris entre le marteau et l’enclume. Le marteau, c’est le populisme vindicatif
contre les musulmans et l’enclume, c’est d’avoir des musulmans armés au centre-ville
de Bangui. Ceci crée une situation sécuritaire difficilement tenable.
Est-ce
que c’est la fin des espoirs de réconciliation nationale ? Je ne sais pas si
c’est la fin des espoirs de réconciliation nationale mais quand vous discutez avec
les musulmans, leur discours est extrêmement clair. Premièrement, ils ne se sentaient
pas en sécurité là où ils étaient. Et deuxièmement, ils ne reviendront que lorsqu’ils
se sentiront en sécurité. Donc, la sécurité reste le paramètre essentiel de toute
réconciliation en Centrafrique.
Est-ce que cette évacuation est aussi le
signe ou la preuve qu’il faut une plus grande implication des forces internationales
et notamment, françaises et européennes pour réussir véritablement à stabiliser et
surtout ramener la paix dans la République Centrafricaine ? Il est clair que
depuis le déploiement, à la fois de la mission française et plus récemment, de la
mission européenne, Bangui reste très insécure. L’élément fondamental à régler maintenant,
c’est restaurer la sécurité, l’ordre public à Bangui. Et après, pouvoir le faire dans
le reste du pays. Mais tant que la question de la sécurité à Bangui ne sera pas réglée,
rien ne pourra être réglé. Donc, il faut en effet une concentration des efforts sur
la capitale.
Le fait que les musulmans se regroupent dans une partie du
territoire et que les chrétiens soit plus regroupés dans une autre, est-ce que cela
participe d’une politique consciente, délibérée de séparer correctement les deux communautés
ou bien ce sont simplement les circonstances et les problèmes de sécurité qui amènent
à cette séparation ? Non, c’est clairement la campagne antimusulmane qui est
menée par les anti-Balaka dans l’ouest du pays. C’est ça, la cause des déplacements
de populations musulmanes et de leur insécurisation. Mais ce qu’il est assez important
de remarquer, c’est que dans l’autre coté du pays, dans le nord-est notamment, on
n’a pas de réactions similaires, c’est-à-dire qu’on n’a pas de représailles avérées
pour le moment contre les communautés chrétiennes qui vivent dans ces territoires.
Donc, c’est vraiment le résultat de la campagne antimusulmane qui a été menée par
les anti-Balaka depuis le début de cette année.
Apparemment, le fond du
problème, c’est bien les anti-Balaka. Comment faire pour les mettre hors d’état de
nuire ? Il y a plusieurs revendications qui restent actuellement sans réponse
du coté des anti-Balaka. Il serait très important de travailler sur ces réponses.
La première revendication, c’est celle d’avoir un programme de désarmement, démobilisation
et réinsertion. Cette revendication a été émise il y a déjà plusieurs mois et pour
le moment, elle est sans réponse. Et l’autre revendication, c’était d’obtenir des
postes à la fois dans l’appareil sécuritaire et dans l’administration du gouvernement
de transition. Là, je comprends qu’il y a des discussions qui sont en cours entre
le gouvernement de transition et les responsables anti-Balaka. On va voir quels sont
les résultats de ces discussions mais pour le moment, cette revendication n’a pas
obtenue de réponse claire et nette. Je crois qu’il y a plusieurs milliers d’anti-Balaka
qui se sont installés à Bangui, qui ont mis une pression considérable sur les autorités
de transition et sur les forces internationales. Tant que la question de leurs revendications
n’est pas traitée et qu’il n’y a pas une position claire du gouvernement de transition
et éventuellement, de la Communauté Internationale là-dessus, on va rester dans cette
situation extrêmement trouble. Une des grosses taches de la mission de l’Union Européenne,
ça va être précisément d’améliorer la situation à Bangui mais tant qu’il n’y a pas
de réponse aux revendications des anti-Balaka, faire la police ne suffira pas.
Quid
de la Séléka ? Je ne pense pas qu’ils aient été réduits au silence. Il se passe
un certain nombre de choses dans la région du nord-est. On observe une certaine division
au sein des commandants de l’ex-Séléka. Certains étant plus accommodants avec le gouvernement
de transition que d’autres. Il y a incontestablement un risque de radicalisation aussi
de leur coté parce qu’avec la campagne antimusulmane qui est menée dans l’ouest, ils
pourraient se radicaliser. On ne peut pas exclure des représailles contre les chrétiens.
Et puis surtout, ce qui est à craindre actuellement, c’est qu’une attaque ou un mouvement
vers l’est des anti-Balaka ne produise une réunification de la Séléka puisqu’elle
s’est maintenant désintégrée et elle est composée de nombreux commandants qui sont
complètement autonomes. Mais si les anti-Balaka faisaient mouvement vers l’est, cela
risquerait de provoquer un sursaut et, en quelques sortes, une résurrection de la
Séléka.
Photo : Des déplacés musulmans quittant Bangui, escortés
par les forces de la Misca.