2014-04-30 08:11:44

Irak : premier vote après le retrait américain


(RV) Entretien - En Irak, les problématiques ne manquent pas : un chômage endémique, de la corruption, un service public défaillant et surtout un contexte de violence jamais atteint depuis le départ des troupes américaines en 2011.

Mercredi, 20 millions d’Irakiens sont appelés à élire leurs députés. Il s’agit des premières élections législatives depuis le retrait américain. Afin de limiter les attaques et attentats, qui ont déjà fait 79 morts ces dernières 48h, les autorités ont décrété cinq jours fériés, de dimanche à jeudi. Ce mercredi, aucune voiture n’est par exemple autorisée à circuler dans Bagdad.

Comment contenir la violence, quand des djihadistes s’en prennent à des policiers également sunnites ? L’analyse de Myriam Benraad, chercheuse associée au CERI (Centre d'études et de recherches internationales), interrogée par Marie Duhamel RealAudioMP3


Il y a effectivement des sunnites qui s’en prennent aux sunnites puisque de la même manière que les salafistes considèrent les chiites et les kurdes comme les collaborateurs de l’ancien occupant et donc, des leaders illégitimes, ces mêmes salafistes s’attaquent aux sunnites qui ont osé prendre part à la transition et plus particulièrement aux sunnites, membres de l’armée des forces de sécurité mais aussi aux dirigeants politiques qui ont rejoint le gouvernement de Maliki et cette mouvance djihadiste s’en prend aussi à certaines tribus dont les membres s’étaient alliés aux forces américaines et qui aujourd’hui, combattent aux cotés de Maliki. Ces tribus sont réputées traites à la cause des djihadistes et aussi, les victimes d’une campagne d’attaque qui, en réalité, est en cours depuis plusieurs années.

Concrètement, comment est-ce que le gouvernement qui est donc chiite essaye de contrer cette violence ?
Il y a quand même eu un certain nombre d’attentats dont des attentats-suicides qui laissent à penser que le gouvernement aura finalement une marche de manœuvre assez réduite pour contrer cette violence. On a déjà vu très clairement en début d’année que le gouvernement a été assez largement pris de court par l’assaut des djihadistes et débordé au niveau sécuritaire. Il y a aujourd’hui une surenchère militaire de la part du gouvernement de Maliki qui a été littéralement bombardé. Les régions insurgées sunnites ont effectivement déployés un complexe sécuritaire très sophistiqué dans le cadre de ces élections puisqu’il ambitionne sa réélection et se présente précisément comme étant l’homme de la situation, le seul qui peut défaire Al-Qaïda et la menace terroriste. Alors, tout cela participe bien sûr de ses calculs politiques propres puisqu’on peut considérer dans une large mesure que cette militarisation a contribué à radicaliser les sunnites qui continuent par ailleurs de dénoncer leur exclusion des sphères du pouvoir et à réclamer leur réintégration politique institutionnelle. Ce a quoi Maliki s’est perpétuellement refusé à travers un certain nombre de manœuvres contre ses adversaires.

Par rapport à cette militarisation, comment réagissent les irakiens ?
Les irakiens sont désillusionnés, désabusés depuis un certain nombre d’années mais la différence entre ces élections et celles de 2010, c’est qu’en 2010, les irakiens s’étaient quand même mobilisés autour d’un certain nombre de coalitions au message national qui ont entretemps déclinés, qui n’ont pas su répondre aux demandes des irakiens. Donc, aujourd’hui, il y a un grand désenchantement qui règne parmi cette population et les élections sont assez largement impopulaires à la fois chez les sunnites qui encore une fois, contestent leur mise en marge mais également chez les chiites qui vivent eux aussi dans des conditions particulièrement précaires. Cela vaut notamment pour les couches de population les plus défavorisées et qui donc, ne se reconnaissent pas non plus dans leur leadership. Au-delà des réflexes communautaires, il y a assez clairement un divorce aujourd’hui entre la population et ses élites.

Et justement, par rapport à ce désintérêt pour la politique, est-ce qu’on s’attend à beaucoup d’abstentions et qui peut en profiter ?
Il est difficile de prédire quels seront les taux de participation mais a priori, la désillusion des irakiens va dans le sens d’une grande mobilisation puisqu’un certain nombre d’irakiens considèrent que finalement, les jeux sont faits et dans tous les cas, Maliki restera au pouvoir. Comme je le disais, il y a une désillusion quant à la perspective que l’Irak devienne une démocratie puisque par ailleurs, l’opposition politique est complètement divisée et incapable d’imposer un front commun à la reconduction de Maliki. Donc, pour beaucoup d’irakiens, les jeux sont déjà faits.


Photo : les soldats américains en Irak, avant leur retrait







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