(RV) Entretien - En Irak, les problématiques ne manquent pas : un chômage endémique,
de la corruption, un service public défaillant et surtout un contexte de violence
jamais atteint depuis le départ des troupes américaines en 2011.
Mercredi,
20 millions d’Irakiens sont appelés à élire leurs députés. Il s’agit des premières
élections législatives depuis le retrait américain. Afin de limiter les attaques et
attentats, qui ont déjà fait 79 morts ces dernières 48h, les autorités ont décrété
cinq jours fériés, de dimanche à jeudi. Ce mercredi, aucune voiture n’est par exemple
autorisée à circuler dans Bagdad.
Comment contenir la violence, quand des
djihadistes s’en prennent à des policiers également sunnites ? L’analyse de Myriam
Benraad, chercheuse associée au CERI (Centre d'études et de recherches internationales),
interrogée par Marie Duhamel
Il y a effectivement
des sunnites qui s’en prennent aux sunnites puisque de la même manière que les salafistes
considèrent les chiites et les kurdes comme les collaborateurs de l’ancien occupant
et donc, des leaders illégitimes, ces mêmes salafistes s’attaquent aux sunnites qui
ont osé prendre part à la transition et plus particulièrement aux sunnites, membres
de l’armée des forces de sécurité mais aussi aux dirigeants politiques qui ont rejoint
le gouvernement de Maliki et cette mouvance djihadiste s’en prend aussi à certaines
tribus dont les membres s’étaient alliés aux forces américaines et qui aujourd’hui,
combattent aux cotés de Maliki. Ces tribus sont réputées traites à la cause des djihadistes
et aussi, les victimes d’une campagne d’attaque qui, en réalité, est en cours depuis
plusieurs années.
Concrètement, comment est-ce que le gouvernement qui est
donc chiite essaye de contrer cette violence ? Il y a quand même eu un certain
nombre d’attentats dont des attentats-suicides qui laissent à penser que le gouvernement
aura finalement une marche de manœuvre assez réduite pour contrer cette violence.
On a déjà vu très clairement en début d’année que le gouvernement a été assez largement
pris de court par l’assaut des djihadistes et débordé au niveau sécuritaire. Il y
a aujourd’hui une surenchère militaire de la part du gouvernement de Maliki qui a
été littéralement bombardé. Les régions insurgées sunnites ont effectivement déployés
un complexe sécuritaire très sophistiqué dans le cadre de ces élections puisqu’il
ambitionne sa réélection et se présente précisément comme étant l’homme de la situation,
le seul qui peut défaire Al-Qaïda et la menace terroriste. Alors, tout cela participe
bien sûr de ses calculs politiques propres puisqu’on peut considérer dans une large
mesure que cette militarisation a contribué à radicaliser les sunnites qui continuent
par ailleurs de dénoncer leur exclusion des sphères du pouvoir et à réclamer leur
réintégration politique institutionnelle. Ce a quoi Maliki s’est perpétuellement refusé
à travers un certain nombre de manœuvres contre ses adversaires.
Par rapport
à cette militarisation, comment réagissent les irakiens ? Les irakiens sont
désillusionnés, désabusés depuis un certain nombre d’années mais la différence entre
ces élections et celles de 2010, c’est qu’en 2010, les irakiens s’étaient quand même
mobilisés autour d’un certain nombre de coalitions au message national qui ont entretemps
déclinés, qui n’ont pas su répondre aux demandes des irakiens. Donc, aujourd’hui,
il y a un grand désenchantement qui règne parmi cette population et les élections
sont assez largement impopulaires à la fois chez les sunnites qui encore une fois,
contestent leur mise en marge mais également chez les chiites qui vivent eux aussi
dans des conditions particulièrement précaires. Cela vaut notamment pour les couches
de population les plus défavorisées et qui donc, ne se reconnaissent pas non plus
dans leur leadership. Au-delà des réflexes communautaires, il y a assez clairement
un divorce aujourd’hui entre la population et ses élites.
Et justement,
par rapport à ce désintérêt pour la politique, est-ce qu’on s’attend à beaucoup d’abstentions
et qui peut en profiter ? Il est difficile de prédire quels seront les taux
de participation mais a priori, la désillusion des irakiens va dans le sens d’une
grande mobilisation puisqu’un certain nombre d’irakiens considèrent que finalement,
les jeux sont faits et dans tous les cas, Maliki restera au pouvoir. Comme je le disais,
il y a une désillusion quant à la perspective que l’Irak devienne une démocratie puisque
par ailleurs, l’opposition politique est complètement divisée et incapable d’imposer
un front commun à la reconduction de Maliki. Donc, pour beaucoup d’irakiens, les jeux
sont déjà faits.
Photo : les soldats américains en Irak, avant leur
retrait