Elections législatives en Indonésie : vers un renouvellement des élites ?
(RV) Entretien- De Papouasie à Java, soit sur un territoire de plus d’1 900
000 km2, couvrant 3 fuseaux horaires, quelque 186 millions d’Indonésiens étaient appelés
aux urnes ce mercredi pour choisir parmi 230 000 candidats à des mandats parlementaires,
provinciaux et locaux.
Ces élections sont capitales : seuls les partis qui
remporteront plus de 20 % des sièges ou 25 % des voix pourront présenter un candidat
à la présidentielle, prévue dans trois mois, le 9 juillet. Selon un premier décompte,
le principal parti d’opposition, le PDI-P (parti démocratique indonésien de la lutte)
serait en tête, tandis que le parti démocratique du Président Yudhoyono serait promis
à une déroute historique.
Coup de projecteur sur ce scrutin, ses enjeux et
ses acteurs avec Eric Frécon, coordinateur de l’observatoire sur l’Asie du Sud-Est
à l’Asia Centre :
« La spécificité
du parti démocratique indonésien de la lutte, le PDI-P, c’est qu’il est le parti qui
avait justement mené la chute de l’autocrate sortant en 1998. Et aujourd’hui, c’est
un parti qui a plutôt la fibre nationaliste et laïque, c’est-à-dire qui aurait moins
tendance à se compromettre avec des partis religieux.
Une autre caractéristique
qu’ils essayent de mettre en avant – mais est-ce avéré, on ne sait pas –c’est aussi
tout ce qui tourne autour de la corruption. Le parti au pouvoir, le parti démocrate,
tournait essentiellement autour de son fondateur, le président Yudhoyono. Le parti
démocrate est en train de s’embourber dans des affaires de corruption. Et donc, le
PDI-P joue là-dessus et surtout, il a un joker qu’il a réussi à trouver suite aux
dernières élections municipales à Djakarta : Jokowi, sur lequel le parti porte tous
ses espoirs.
Jokowi, une figure intéressante. C’est un ancien vendeur de
meubles, c’est le jeune gouverneur de Djakarta. Et il fait un peu figure de défenseur
des déshérités et des laisser pour compte ? Oui, beaucoup de choses ont été
écrites parce qu’on ne savait pas comment le considérer. Certains émettaient quelques
doutes. Alors, certes, notre Jokowi est sympathique. Il a fait beaucoup de choses.
Avant, il était en poste à Surabaya. Mais le problème est double. Déjà, il n’a pas
de soutien au niveau des grands conglomérats d’affaires, des grands hommes d’affaire,
de ceux qui tirent un peu les ficelles de l’économie indonésienne parce que tout tourne
quand même autour de certains réseaux d’affaire. Jokowi est un peu novice, il est
un peu frais, pas très mur en termes d’expérience politique politicienne, même dans
les réseaux de Djakarta.
Et puis le second point, c’est qu’il est très centré
sur Djakarta. Certes, l’île de Java sur laquelle est située Djakarta, c’est 60% à
la louche de la population indonésienne. C’est là que se concentre l’essentiel de
l’économie. Mais quand même, l’Indonésie, c’est 13’000 îles. D’Est en Ouest, l’Indonésie,
c’est l’équivalent de Dublin à Téhéran, ce qui n’est quand même pas négligeable. Et
la question est de savoir si Jokowi va pouvoir se montrer aussi convaincant auprès
des populations reculées du fin fond de Sumatra ou de la Papouasie occidentale. C’est
une vraie question.
Jokowi manquerait donc d’envergure nationale et internationale,
c’est ce que vous êtes en train de nous dire. N’est-ce pas un problème au vu des immenses
chantiers qui attendent le futur président de l’Indonésie ? Si et c’est très
intéressant. Pour avoir été là-bas et en France, le discours est très différent. En
France, on voit l’Indonésie comme le futur Bric (donc Brésil, Russie, Inde, Chine
et Afrique du Sud), ces pays émergeants. Et quand vous êtes là-bas, le discours est
radicalement différent. Certes, il y a une croissance assez constante et assez solide,
autour de 6%. Mais en ce qui concerne l’économie réelle et non plus les indicateurs
macro-économiques mais micro-économiques, il en va tout autrement. Et donc, la population
demande justement à bénéficier de ces fruits de la croissance. Donc, il y a des chantiers
au niveau de l’inflation, de la valeur de la roupie, de la gestion d’une mine qui
pose problème, de la gestion des ressources naturelles et évidemment, de la corruption.
La question est de savoir si toute cette population disséminée sur l’archipel
aura confiance en Jokowi. Ce n’est pas impossible parce que d’un autre coté, ce qui
est sa faiblesse, à savoir sa nouveauté, peut être un atout. Il n’est pas compromis
avec le système. On aura cherché un qui sorte de nulle part, c’est peut-être lui et
peut-être est-il différent des autres. »
Photo : Quelque 186 millions
d'Indonésiens appelés aux urnes ce mercredi 9 avril.