2014-04-07 15:10:40

Contre l'effacement de l'histoire du Rwanda


(RV) Entretien - C’est l’une des pages les plus sombres de l’histoire de l’humanité, elle a secoué la conscience mondiale : entre avril et juillet 1994, quelque 800.000 personnes, essentiellement issues de la minorité tutsie, ont été massacrées au Rwanda, souvent à la machette et au gourdin. Des Hutus refusant de se joindre aux tueries ou soupçonnés de liens avec des Tutsis périrent. La communauté internationale était restée inerte, les Nations unies s’étaient montrées impuissantes.


Pendant 100 jours, le sang a été versé. Vingt ans après, les larmes coulent encore, a relevé le secrétaire général de l’ONU Ban Ki-moon. En présence de huit chefs d’Etat africains, de nombreuses délégations étrangères et quelque 30 000 spectateurs bouleversés, Kigali a lancé ce lundi des commémorations ternies par de nouvelles tensions avec la France, exclue des cérémonies. Au mémorial du génocide, la flamme du deuil brulera pendant 100 jours.

Les traumatismes du génocide, bien qu'enfouis, restent présents. Il faudra encore des années avant que la réconciliation entre bourreaux et victimes, qui se côtoient parfois quotidiennement dans les villages, soit effective. Ecoutez le témoignage du journaliste Grégoire Duruz, auteur de Par-delà le génocide, 17 récits contre l’effacement de l’histoire au Rwanda. (Yvelinedition) RealAudioMP3


Comment interpréter le refus de Kigali à la participation de l'ambassadeur de France aux commémorations ?

C’est comme s’il y avait une volonté du Rwanda de rallumer la polémique et de détourner l’attention de la Communauté Internationale sur une question très sérieuse mais qui n’est pas nouvelle, à savoir la responsabilité de la France dans les évènements de l’époque. Est-ce que ça cache quelque chose ? Est-ce parce qu’il n’est pas tellement dans les bons papiers de plusieurs gouvernements occidentaux ? Je dirais que ça dénote un certain malaise des autorités rwandaises. Mais disons que ce n’est pas très étonnant quand on connait la façon de s’exprimer du président Kagamé. Il a toujours été extrêmement virulent à l’encontre de la Communauté Internationale. Ce qui est un petit peu un paradoxe parce que d’un côté, on applaudit sa façon de voir les choses, sa vision du futur pour le Rwanda, son discours pour la reconstruction et la réconciliation. Mais en même temps, on accepte et on tolère, en tout cas jusqu’à un certain point, que Paul Kagamé s’érige un peu en donneur de leçon et fasse comme si de son coté, lui non plus n’avait pas l’intention de tourner une page.

Est-ce que le Rwanda arrive à panser ses plaies, aujourd’hui, notamment à travers une justice qui serait réparative ?

C’est une question très difficile. Vous avez d’une part ce projet de réconciliation. C’est important qu’il existe, c’est important qu’il soit là comme un modèle pour la population. Mais sur le terrain, comment se vit cette réconciliation, c’est quelque chose de très abstrait. Au Rwanda, on ne dit pas n’importe quoi en public, il y a quand même un régime autoritaire qui contrôle toute l’information publique. Mais quand vous parlez aux rwandais et qu’ils se sentent en confiance pour vous parler, ils vous disent : c’est une réconciliation administrative, de l’État, une réconciliation qui nous est imposée d’en haut. Il y a une cohabitation. Le pays vit en paix, il y a un système de la vie quotidienne qui a repris. Les rwandais sont forcés d’habiter ensemble. Mais par contre, au niveau de la réconciliation, si on entend par cette notion, l’idée de se faire confiance, de s’accorder un pardon, l’idée de croire en un projet commun, je crois qu’on est très loin d’une réconciliation aujourd’hui, au Rwanda.

Et justement, est-ce que la justice suit ou pas du tout ?

Il y a plusieurs tentatives de rendre justice. Il y a eu d’abord le Tribunal Pénal International pour le Rwanda à Arusha qui a traité un certain nombre de cas de responsables présumés et condamnés par la suite, de crimes de génocide. Il y a eu ces initiaves gacaca, ces tribunaux populaires qui étaient censés faire la justice à travers les collines, sur place, au milieu de la population. Dans les deux cas, la justice n’est pas complètement aboutie parce que dans le premier cas, vous avez des gros poissons qui courent toujours, des coupables présumés qui sont toujours en fuite. Et puis, ca a couté très cher. Et en plus, on dit que cette justice à Arusha s’est déroulée très loin de ceux des rwandais et des rwandaises qui ont vécu le pire. Et puis, au niveau des gacaca, il y avait cette tentative de faire parler la population de ce qui s’est passé, cette tentative de justice restaurative, c’est-à-dire pour renouer des liens, en même temps que des peines attribuées aux coupables du génocide. Mais ce qui se dit, c’est que c’est une justice locale qui a toujours dépendue d’un contexte politique qui en fait, voyait l’histoire dans un seul sens, à savoir qu’on ne pouvait traiter que les cas d’actes de génocide. Or, il faut quand même savoir que du coté de l’armée patriotique rwandaise, donc, la rébellion tutsie qui a, dit-on, libéré le pays sous les ordres de Paul Kagamé, il y a eu des crimes de masse, des crimes contre l’humanité très importants. Et ça, la population hutue qui était elle-même victime des crimes contre la rébellion tutsie, n’a jamais pu les aborder dans le cadre de ces gacaca. Beaucoup de rwandais s’en plaignent sur place.

Dans le génocide, la majorité des victimes est tutsie mais il y a également des hutus. Est-ce que l’idée de votre livre, c’était de donner la parole à ces victimes un peu oubliées ?

Oui, tout à fait. L’histoire récitée, l’histoire commémorée au Rwanda est celle du génocide, à savoir de bourreaux hutus qui ont pourchassé, avec une violence inouïe et une méchanceté monstrueuse, une haine viscérale, ces populations tutsies. C’est le génocide dont on parle et c’est très important de le commémorer aujourd’hui. Mais voilà, on oublie que le gouvernement au Rwanda n’a aucun intérêt à rappeler que de son propre coté, à savoir quand il était encore cette rébellion tutsie qui attaquait depuis l’Ouganda, entre 1990 et 2000, il y a des rapports et de nombreux témoignages qui attestent, y compris de l’intérieur de cette rébellion, que des crimes de masse qui pourraient être qualifiés, selon une juridiction qui doit encore être mise en place, de crimes de guerre, si pas de crimes contre l’humanité ont été commis. Et ces hutus, de l’intérieur du pays qui sont au Rwanda, n’ont aucune chance d’exprimer en fait leurs souffrances, d’exprimer la perte de leurs proches et non pas de mémoriaux, de tombes. C’est une histoire qui est complètement divisée en deux et la mémoire ne joue que dans un seul sens. La mémoire n’est autorisée que dans un seul sens, celle des victimes du génocide des tutsis. Il est très important de rappeler à tout le monde, à l’opinion publique qu’il y a aussi des hutus en masse qui ont souffert de ces violences à l’époque.



Photo: commémoration du génocide ce lundi à Kigali







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