Les Maras en Europe : analyse d'un phénomène inquiétant
(RV) Entretien- A la fin du mois de mars, la police espagnole a lancé pour
la première fois un vaste coup de filet contre les Maras, des gangs implantés principalement
en Amérique Centrale. 35 personnes ont été arrêtées à Madrid et Barcelone notamment,
des jeunes de 17 à 25 ans. La Mara Salvatrucha est une organisation criminelle qui
se définit par l’extrême violence de ses membres, recrutés très jeunes.
Isabelle
Fougère est journaliste et auteur d’un webdocumentaire réalisé avec une ex-membre
de la Mara 18 au Guatemala. Elle estime que l’implantation des Maras en Europe n’est
pas nouvelle, mais que le développement de ces organisations en Espagne n’est pas
un bon signe.
Ecoutez-la, au micro de Jean-Baptiste Cocagne :
Comment
interpréter l'implantation des Maras en Europe ? On voit très souvent cette
question des gangs en Europe et surtout en Amérique centrale comme une cause d’ultra-violence
dans certains pays. Je crois que plutôt qu’au lieu d'être une cause, c’est un symptôme
d’une maladie plus grave et le fait que ces gangs commencent à faire parler d’eux
en Europe est un signe d’une aggravation des conditions de vie des gens en Europe.
Si on regarde ce qui se passe en Amérique centrale, les gangs ont progressé sur les
terreaux de la corruption, de l’impunité et d’une grande pauvreté sociale : manque
d’éducation, manque de justice, manque de droits. Là où il n’y a plus de droits, les
gangs prospèrent. Quand je parle de symptôme, ça veut dire qu’il y a une génération
d’enfants issus de l’immigration en Espagne qui se sentent complètement abandonnés
et qui finalement, rejoignent ces groupes qui les rassurent et leur donnent quelques
perspectives. Quand on voit le taux de chômage des jeunes en Espagne, on imagine bien
que les populations issues de l’immigration sont encore plus touchées. Quand on n’a
pas de perspectives, dealer un peu de drogues, ça représente un peu d’argent qui va
arriver.
Une Espagne en crise, où le chômage est élevé, c’est un contexte
favorable pour l’implantation de gangs comme les Maras ? C’est un contexte
extrêmement favorable. Le terreau du gang, c’est vraiment ça.Quand on regarde l’âge
moyen des gamins - on ne peut les appeler que comme cela - qui font partie de ces
gangs, ils sont très jeunes : ils ont 12 ou 13 ans. Ça commence à 9 ans. On les intègre
très tôt et ils commencent à surveiller les quartiers, ils aident un petit peu dans
le trafic de drogues. Ce qui veut dire que ces gamins sont livrés à eux-mêmes. Or,
s'ils sont livrés à eux-mêmes, ça veut dire qu’ils passent à travers tous les systèmes
organisationnels de nos vieilles sociétés occidentales que sont l’école, la police,
l’hôpital. Tous les services qui font que, finalement, les enfants ne sont pas livrés
à eux-mêmes. Et ces enfants choisissent d'entrer dans les gangs comme on choisit d'entrer
dans l'armée. Pourquoi ? Parce qu’il y a des règles qui sont très dures, qui sont
draconiennes. Pour entrer dans le gang, on a notamment un rituel de passage à tabac,
auquel s’ajoute, lorsque certaines filles entrent dans le gang, des viols collectifs.
C’est extrêmement dur mais en fait ces enfants cherchent souvent une famille. Ce sont
des enfants dont les parents sont souvent au chômage, dont les pères ont souvent aussi
de grands problèmes d’alcool. Ces enfants abandonnés à eux-mêmes vont aller chercher
un endroit et vont trouver des réponses, une loi qui va finalement les rassurer et
croient-ils, les protéger.
Ce qu’il y a aussi de très symptômatique, c’est
que ces enfants ne se battent pas pour une vie meilleure, pour aller jouer les Robins
des bois, prendre de la poche des riches pour aller donner aux pauvres. C’est une
sorte de suicide collectif. Ce sont des gamins qui se battent entre eux, qui luttent
pour gagner une ou deux rues. C’est assez désespérant. Finalement, ce que ça nous
dit vraiment de l’Espagne, c’est que ces gangs prospèrent sur la corruption. Pas seulement
la corruption à des petits niveaux mais la corruption au plus haut niveau politique.
Ce qui veut dire que ce sont des groupes qui ont des protections très fortes, à un
niveau très élevé. Ça correspond aussi à un manque de confiance de la population dans
les politiques.
Selon vous, quelles sont les caractéristiques des gangs
des Maras ? Ce sont des groupes de jeunes. En général, on recrute très jeune,
à partir de 9 ou 10 ans, on commence à faire faire de menus travaux aux jeunes recrues.
C’est une structure extrêmement organisée, pyramidale, hiérarchique avec des règles
draconiennes. Pour entrer dans le gang, il faut avoir commis un premier crime, par
exemple. Suite à ce premier crime, on est baptisé, en quelque sorte intronisé par
un rituel de passage à tabac ou de viols collectifs pour les filles quand ce sont
de très jeunes femmes qui veulent entrer dans le gang. Ce sont des groupes extrêmement
organisés avec une séparation des rôles très précise.
C’est un mouvement
qui recrute très jeune, pour autant, est-ce qu’on peut sortir des Maras ? Sortir
un jour d’un de ces gangs est très difficile, c’est quasiment impossible. D’ailleurs,
une des règles de fer du gang, c’est qu’on ne peut pas en sortir vivant. Donc en toute
logique, on en sort seulement au jour de sa mort, son dernier jour. C’est possible
mais au prix de sacrifices effroyables et surtout, avec une grande difficulté de réinsertion
puisque quand on a commencé très jeune à vendre de la drogue dans son quartier ou
à se battre pour faire de l’extorsion à des petits vendeurs dans la rue, que fait-on
après comme métier ? Surtout dans des sociétés en crise où le chômage frappe très
fort. C’est donc très difficile de s'en sortir.
Photo : Des jeunes membres
d'une Mara arrêtés par la police au Salvador.