John Kerry en Terre Sainte : le père Khader ne croit pas aux négociations
(RV) Entretien - Visite éclair au Proche-Orient pour John Kerry. Le secrétaire
d’État américain a rencontré mardi, pour la deuxième fois en 24 heures, le Premier
ministre israélien Benjamin Netanyahu. Il sera mercredi à Ramallah, la capitale de
l'Autorité palestinienne. John Kerry tente de sauver les négociations de paix israélo-palestiniennes.
Elles ont été mises à mal après le refus d’Israël de libérer, comme c'était prévu,
un quatrième contingent de prisonniers palestiniens. La direction palestinienne
quant à elle réclame toujours « un arrêt complet de la colonisation en Cisjordanie
et à Jérusalem-Est ». Et si elle ne l’obtient pas, elle ne prolongera pas les
pourparlers au-delà du 29 avril, date de l’échéance.
Sur le terrain, les populations
assistent impuissantes à ces aller-retours diplomatiques. Et comme l’explique le
père Jamel Khader, le recteur du séminaire du Patriarcat latin de Jérusalem, ils
ne comprennent pas l’utilité de cette énième visite du secrétaire d’État américain.
Il répond aux questions d'Audrey Radondy :
Que pensez-vous
de cette nouvelle visite de John Kerry? John Kerry est déjà venu plusieurs
fois. Depuis huit ou neuf mois, il est en train de guider les négociations entre Palestiniens
et Israéliens mais nous ne voyons pas de résultats. Ce que John Kerry voudrait maintenant,
c’est de poursuivre les négociations pour une autre période. Ce que nous voyons, c’est
que cela revient à faire des négociations pour faire des négociations sans but. Nous
ne voyons pas de changements, nous ne voyons pas de perspectives pour la paix. Et
nous ne voyons pas pourquoi John Kerry continue sur cette voie où l’on ne voit pas
le but de ces négociations. C'est-à-dire une seule solution juste et pacifique entre
Palestiniens et Israéliens.
Pourquoi s’obstine t-il à vouloir sauver ces
négociations ? J’ai peur qu’il s’obstine pour sauver sa réputation, mais le
vrai problème ce n’est pas la personne de John Kerry, ce n’est pas la volonté américaine
d’arriver à une solution, c’est le manque de volonté politique de la part d’Israël
de reconnaitre un État palestinien, de reconnaître les Palestiniens comme un peuple
avec des droits nationaux. Ce que nous voyons sur le terrain, c’est la colonisation
des territoires palestiniens, c'est l’occupation militaire et la volonté de continuer
l’occupation. Alors le plan que John Kerry a apporté il y a quelques semaines, c’est
de reformuler l’occupation et non pas de mettre fin à l’occupation. L’administration
américaine a voulu continuer les négociations mais nous les Palestiniens, nous avons
négocié pendant plus de 17 ans sans résultats. L’unique résultat est un résultat négatif
: c’est la colonisation des territoires palestiniens.
Et donc, on voit
bien qu’il y a un fossé qui se creuse entre ce qui se passe d’un côté entre les politiciens
et sur ce que vous vivez sur le terrain ? Pour Israël faire des négociations,
c’est donner l’impression de parler avec les Palestiniens mais en fait, c’est l’occupation
qui continue avec force, surtout avec la démolition des maisons des Palestiniens.
C’est une affaire de tous les jours avec la colonisation, avec le mur qui continue
et avec des mesures de restriction pour le peuple palestinien. Et voilà pourquoi les
Palestiniens ne croient pas à la paix quand ils voient sur le terrain des faits tout
à fait opposés à une volonté de paix.
Et justement, vous sur le terrain,
comment vivez-vous cette situation ? Sur le terrain, nous voyons que le gouvernement
israélien de Benjamin Netanyahu n’a pas une volonté politique. Alors, nous n’attendons
pas une solution prochaine du conflit et nous ne voyons pas que les négociations vont
permettre une solution juste. C’est pourquoi les Palestiniens ont commencé à perdre
l’espoir dans les négociations et en même temps, ils cherchent une autre voie pour
faire pression économiquement sur Israël par le boycottage, par exemple, des produits
des colonies, en allant vers les organisations des Nations Unies pour être reconnus
par le monde entier comme un État. C’est la voie de la pression diplomatique, c’est
la voie de la résistance non-violente. Il y a de plus en plus de Palestiniens qui
croient en cette voie. Ce n’est plus la violence, ce ne sont plus les négociations
mais il faut trouver un autre moyen pour mettre fin à l’occupation. Mais les négociations
tenues en ce moment avec l’administration américaine n'ont pas de but, elles mènent
nulle part.
Quel futur envisagez-vous réellement ? Ou bien on arrive
à une solution où les Palestiniens auront un État viable et indépendant ou prochainement,
les Palestiniens verront que ce n’est plus possible, alors, ils choisiront la solution
d’un seul État, mêmê si je sais que plusieurs ne sont pas d’accord avec cette solution.
Mais même si nous voulons un État palestinien, ce n’est plus possible d’avoir un État
viable et indépendant avec la présence de plus de 600 000 colons palestiniens avec
le mur. Peut-être que prochainement, les Palestiniens vont demander non pas un État
indépendant mais leurs droits civils. Dans ce cas, cela ne sera plus un problème d’occupation
mais un problème de droits civils et peut-être une situation d’apartheid entre Palestiniens
et Israéliens.
Et pour terminer, voulez-vous ajouter quelque chose ou avez-vous
un appel à lancer ? Ce n’est pas un appel, c’est plutôt l’espoir que nous portons,
nous les Palestiniens et surtout nous les chrétiens. Nous avons cette mission de raviver
un peu l’espoir, surtout chez les jeunes, parce que sans espoir, nous ne pouvons pas
continuer. C’est pourquoi nous continuons toujours à travailler pour une paix juste
pour tous. Nous continuerons à travailler pour mettre fin à l’occupation et ainsi,
tous les Israéliens et les Palestiniens vont vivre en paix. Nous continuerons dans
cette voie non-violente pour une solution juste. C’est notre vocation en tant que
chrétiens ici en Terre Sainte. C’est pourquoi l’appui de la communauté internationale,
des Églises, de tous pour une solution juste afin que la Terre Sainte vive en paix
et que cela soit une paix juste pour tous les habitants de la Terre Sainte, chrétiens,
musulmans et juifs.
Photo : le secrétaire d'État américain John Kerry
et le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou