(RV) Entretien - Nommé lundi soir par le président François Hollande, le nouveau
Premier ministre français Manuel Valls entame des consultations ce mardi en vue de
former un nouveau gouvernement, deux jours après la cinglante défaite des socialistes
aux municipales.
François Hollande a entendu le « mécontentement »
et la « déception » des Français. Après le revers cinglant de son parti aux
dernières élections locales, le président français, pressé de toute part, a décidé
de réagir. Lors d'une allocution télévisée solennelle de huit minutes, il a ainsi
affirmé qu’il était « temps aujourd'hui d'ouvrir une nouvelle étape », ajoutant
qu'il avait confié à l'ancien ministre de l'Intérieur « la mission de conduire
» un « gouvernement de combat ».
Pourquoi François Hollande a-t-il
choisi Manuel Valls pour succéder à Jean-Marc Ayrault ? La réponse de Bruno
Cautrès, chercheur au CNRS et au Cevipof à Paris (à lire en intégralité
à la fin de l'article)
Ce changement de Premier ministre a suscité des
réactions hostiles au Front de gauche, tandis qu'Europe Ecologie-les Verts, membre
de l'actuelle majorité au pouvoir, a posé des conditions à son soutien au futur gouvernement.
Les deux écologistes du gouvernement sortant, Pascal Canfin (Développement) et Cécile
Duflot (Logement) ont prévenu avant les consultations menées ce mardi qu'ils n'entendaient
pas « participer à ce nouveau gouvernement » estimant que la nomination de
Manuel Valls n'était « pas la réponse adéquate aux problèmes des Français ».
Avant
même d'être formé, quelle crédibilité pour le prochain gouvernement de Manuel Valls
?
Pour François
Hollande, Manuel Valls « a les qualités » requises pour agir et conduire «
une équipe resserrée, cohérente et soudée » afin de mettre en œuvre le pacte de
responsabilité, pierre angulaire de sa politique économique, qui prévoit une baisse
des charges des entreprises en échange d'embauches.
Des noms circulent dans
la presse. Parmi les nouveaux entrants, sont cités régulièrement Ségolène Royal, candidate
à la présidentielle de 2007 et ancienne compagne du président, peut-être pour prendre
un ministère élargi de l'Éducation, ou encore François Rebsamen, réélu à la mairie
de Dijon, et qui pourrait s'occuper de l'Intérieur, un poste qu'il souhaitait en 2012.
Sans connaître la composition de la nouvelle équipe, de quelle marge de
manœuvre dispose le futur gouvernement ?
Pour
tenter de rassurer l'aile gauche de sa majorité, inquiète de la nomination de Manuel
Valls et qui réclamait des mesures de justice sociale, François Hollande a annoncé
aussi un « pacte de solidarité » ainsi qu'une « diminution des impôts des
Français » d'ici à 2017 et « une baisse rapide des cotisations » des salariés.
La formation du gouvernement sera annoncée mercredi matin, avec un premier
Conseil des ministres jeudi après-midi. (avec AFP)
Pourquoi le
choix de Manuel Valls ? Manuel Valls, depuis le début du mandat de François
Hollande, est à peu près le seul ministre qui est arrivé à la fois à crever l’écran,
à imposer son image dans l’opinion (puisque les spécialistes de politique le connaissaient
bien mais l’opinion nettement moins) et en même temps, à avoir une popularité qui
ne s’est pas démentie. François Hollande ne pouvait donc pas, d’une certaine manière,
échapper à la nomination de Manuel Valls. Il y a un certain nombre d’informations
dans la presse, depuis lundi, qui indiquent que François Hollande aurait peut-être
essayé de trouver une autre hypothèse. Moi, j’étais à peu près convaincu que François
Hollande ne pourrait pas fondamentalement échapper à la nomination de Manuel Valls,
à la fois par rapport à sa popularité dans l’opinion mais aussi parce que François
Hollande a besoin d’un second souffle.
On a le sentiment aujourd’hui que le
pouvoir exécutif est à bout de souffle, on a même du mal à croire que François Hollande
n’a toujours pas effectué la moitié de son mandat : il ne le fera que cet automne.
Il avait donc besoin d’une personnalité, incarnant à la fois quelque chose qui existe
dans l’opinion et susceptible d’être un porteur crédible du pacte de responsabilité.
Hier soir, François Hollande a maintenu le cap sur le pacte de responsabilité et il
avait évidemment besoin de quelqu’un incarnant, pas nécessairement l’aile droite du
Parti socialiste, mais au moins l’aile réaliste du parti socialiste.
Nommer
une personne qui divise la gauche, est-ce un choix intelligent ? Évidemment
le choix de Manuel Valls pose des problèmes à la gauche du Parti socialiste ou aux
écologistes ou encore au Front de gauche. On a évidemment entendu des déclarations
extrêmement tonitruantes de Jean-Luc Mélenchon. Je pense qu’il va falloir regarder
à travers la composition du gouvernement, voire l’intitulé d’un certain nombre de
ministères, pour voir les signes que Manuel Valls a souhaité envoyer au peuple de
gauche pour dire « je suis un socialiste réaliste mais je suis à gauche ».
Il y a fort à parier qu’à travers certaines nominations au gouvernement ou peut-être
même l’affichage de certaines thématiques à travers l’intitulé de ministère, il va
y avoir des messages qui vont être envoyés à gauche.
Je crois que l’une des
grandes inconnues, notamment pour savoir quelle sera l’équation personnelle de Manuel
Valls, c’est de savoir ce que font les écologistes. Aujourd’hui, les écologistes vont
rencontrer Manuel Valls. On comprend qu’ils vont lui faire un certain nombre de propositions
en lui disant quels sont les thèmes qui sont des conditions fondamentales pour se
maintenir au gouvernement. Et à partir de là, je crois qu’on aura une meilleure idée
pour savoir si le centre de gravité du gouvernement Valls est vraiment centre-droit
ou s’il arrive à faire le grand écart : être à la fois Manuel Valls, économique et
réaliste du point de vue de son positionnement dans l’opinion et en même temps, chef
de la majorité de gauche.
Quelle est la crédibilité du gouvernement Valls
? Il y a deux aspects de la crédibilité : il y a à la fois la crédibilité externe
et la crédibilité interne. La crédibilité externe, c’est cette crédibilité du gouvernement
français vis-à-vis à la fois des institutions financières internationales, des marchés
financiers et de l’Union européenne. Je pense que pour le moment, on est dans l’expectative,
on ne connaît pas bien Manuel Valls. C’est quelqu’un qui a pour réputation d’être
quelqu’un de caractère, qui a des convictions. Je pense que les marchés financiers,
les institutions financières et l’Union européenne attendent donc à la fois la composition
du gouvernement et sa déclaration de politique générale pour lui faire totalement
confiance. Je crois que pour le moment, on doit plutôt être avec un très gros point
d’interrogation. Après, il y a la crédibilité interne. Celle de Manuel Valls est
fondamentalement ambiguë. Aujourd’hui, Manuel Valls est très populaire mais il est
quand même plus populaire à l’intérieur des électeurs centristes ou de droite qu’à
l’intérieur de l’électorat de la gauche. Il lui reste donc à convaincre la gauche
qu’il est bien un homme de gauche et ça sera bien sûr à travers la composition du
gouvernement et peut-être certaines nominations un peu symboliques qu’il va essayer
de gagner cette bataille d’opinion.
On s’attend à de nouvelles têtes qui
entreraient dans ce gouvernement de Manuel Valls. Nouvelles têtes mais pourtant, même
priorité. Le président l’a dit lundi soir : le pacte de responsabilité est maintenu.
Quelle marge de manœuvre peut avoir ce nouveau gouvernement ? Je pense que
les marges de manœuvre sont absolument inexistantes. L’Assemblée Nationale française
va recommencer ces travaux au début du mois d’avril et en particulier, elle a sur
son agenda le vote du pacte de responsabilité, avec les coupes budgétaires correspondant
aux 50 milliards d’euros d’économie que le chef de l’État demande à sa majorité de
valider sur la période allant jusqu’en 2017. Les marges de manœuvre sont également
inexistantes parce que l’Europe nous attend au coin du bois. Au cours des dernières
semaines, la Commission européenne a rappelé qu’elle considérait que la France ne
faisait pas d’efforts assez importants. On a vu que la France n’a pas tenu ses engagements
vis-à-vis de la Commission européenne pour nos taux d’endettement en 2013 : 4,3 alors
qu’on avait annoncé 4,1. Les marges de manœuvre sont donc quasiment inexistantes.
On se demande même où François Hollande va trouver les moyens de faire son
pacte de solidarité annoncé lundi et dont il a bien pris garde de ne pas dire des
choses extrêmement précises. On sait qu’il devrait y avoir une baisse des impôts sur
les ménages à l’horizon de 2017, une baisse des cotisations sociales mais c’est compliqué
parce que ce sont justement les cotisations sociales qui financent la politique sociale
française. Là, on peut même se demander s’il n’y a pas une sorte de contradiction
dans le fait de vouloir baisser les charges salariales sur la partie qui finance l’assurance
sociale française. Les marges de manœuvre sont extrêmement ténues et je pense que
quel que soit le locataire de Matignon, il n’y aurait pas eu fondamentalement de différences
de ce point de vue-là.
Photo : le nouveau Premier ministre français
Manuel Valls