Arabie Saoudite : réorganisation du pouvoir à la veille de la visite de Barack Obama
(RV) Entretien- Réorganisation au sein de la monarchie saoudienne : le Roi
Abdallah, 90 ans, a désigné son demi-frère, Moqren, 69 ans, comme prochain prince
héritier, ouvrant ainsi la voie à son accession au trône. Par cette décision inédite,
Abdallah voudrait assurer une succession sans encombre au sein de la famille, dans
un contexte régional très instable.
Cette annonce est survenue la veille de
la visite de Barack Obama ce 28 mars à Ryad. Cette seconde visite du dirigeant américain,
-la première avait eu lieu en 2009-, intervient sur fond de divergences entre les
deux pays. L’alliance historique entre Washington et Ryad est en effet mise à mal
depuis 2011, les autorités saoudiennes reprochant à Obama son non-interventionnisme
en Syrie, et son ouverture vers l’Iran.
Certains spécialistes estiment que
cette visite devrait donc contribuer à assainir le climat, même si aucune risque de
rupture n’est à envisager.
Analyse de la réorganisation interne du pouvoir
saoudien et enjeux de la visite de Barack Obama avec Olivier Dalage, journaliste,
et auteur de la Géopolitique de l’Arabie saoudite, aux Editions Complexes :
Il l’a prise
pour assurer la position de Mouqrin puisque normalement, c’est le roi qui désigne
son prince héritier. Là, on est dans un phénomène tout à fait inédit. En effet, le
roi désigne non seulement son prince héritier mais aussi le prince héritier du prince
héritier, tout simplement parce que le numéro 2 dans l’ordre de succession qui est
le prince Salman, pourrait choisir quelqu’un d’autre. Visiblement, Abdallah souhaite
garantir l’accession au pouvoir de Mouqrin. Ça tient plutôt aux équilibres internes
à la famille régnante et aussi pour priver le prince Salman, l’actuel prince héritier,
d’une marge de manœuvre pour désigner celui qui pourrait lui succéder. On dit beaucoup
également que Salman pourrait ne jamais régner. Après tout, l’actuel roi qui a plus
de 90 ans, a déjà enterré deux de ses princes héritiers.
Le prince Moqren
est le plus jeune des 35 fils d’Abdelaziz, le fondateur du royaume. Que sait-on de
lui exactement ? Il est le plus jeune et il est plus jeune que certains de
ses neveux parce que les fils les plus âgés des frères encore en vie du roi, donc
les oncles et les neveux de Moqren sont plus vieux que lui. Moqren est le fils d’une
concubine ou d’une esclave yéménite, ce qui fait que certains de ses demi-frères ne
le considèrent pas avec beaucoup d’estime. Cependant, c’est quelqu’un qui a exercé
de très importantes responsabilités : il a été pilote de F15 et il a été directeur
des services de renseignement du royaume. C’est donc quelqu’un qui a été associé de
très près à l’exercice du pouvoir.
Est-ce que par cette décision inédite,
le roi ne cherche pas également à adresser un message aux États-Unis puisque Washington
avait notamment émis le souhait que l’Arabie Saoudite face un peu rajeunir sa classe
dirigeante vieillissante ? Franchement, je ne crois pas parce que les questions
de succession du royaume sont des décisions purement internes et aucun étranger ne
peut s’immiscer dans ce processus et les préoccupations sont vraiment internes. En
revanche, on traite au roi actuel l’intention de faire déclarer le prince Salman qui
est l’actuel prince héritier qui a 77 ou 78 ans mais qui a de sérieux problèmes de
santé comme inapte à régner par une commission médicale prévue par les statuts. Et
donc, Mouqrin deviendrait ipso facto le prochain prince héritier. Et on peut toujours
imaginer (il y a beaucoup de rumeurs) que le roi actuel pourrait abdiquer en sa faveur
ou pas. En tout cas, il serait assuré d’être le prochain roi.
Alors, cette
décision intervient la veille de la visite de Barack Obama à Riyad. Aujourd’hui, quel
est l’enjeu de cette visite, sachant que la relation, l’alliance historique entre
Ryiad et Washington n’est pas au beau fixe ? Précisément, l’enjeu est de se
réconcilier autant qu’il est possible compte tenu des très nombreux malentendus et
des accords qui ont opposé les deux pays. Cela dit, qu’il y ait des accords entre
l’Arabie Saoudite et les États-Unis, ce n’est pas une nouveauté. Depuis que les deux
pays ont noué un partenariat stratégique en 1945, il y a eu de très nombreuses crises.
C’est vrai que celle que l’on connait depuis 2011 est profonde mais il ne faut pas
oublier que dans la foulée des attentats du 11 septembre, il y avait également eu
une crise très grave entre l’Arabie Saoudite et les États-Unis. Donc, ils vont essayer
de renouer le dialogue, de limiter l’ampleur de leur désaccord et de gérer ce partenariat
difficile, sachant que ni l’un ni l’autre n’a véritablement le choix de son partenaire
et qu’il est hors de question qu’ils rompent cette relation.
Le risque d’une
rupture est donc à exclure pour le moment ?
Il ne peut pas y avoir de
rupture. Ce n’est pas que les États-Unis adorent l’Arabie Saoudite ou que les saoudiens
adorent les États-Unis mais il n’y a pas d’alternatives. Les saoudiens ont besoin
des États-Unis pour leur sécurité et les États-Unis ne peuvent pas imaginer de laisser
la place à d’autres et d’abandonner par exemple la fourniture des hydrocarbures de
la péninsule arabique dont dépendent non pas les États-Unis qui n’en n’ont plus besoin
mais leurs alliés européens, des acteurs qui seraient éventuellement malveillants.
Donc, de toute façon, les États-Unis resteront les garants de la sécurité des
régimes du golfe, même si ceux-ci ont pu en douter. Donc, il s’agit de les rassurer.
Inversement, l’Arabie Saoudite ne va pas changer d’alliance. De toute façon, il n’y
a pas de solution de remplacement. Ce ne serait évidemment pas les russes, ni davantage
les chinois.
Photo : Barack Obama accueilli ce matin à Ryad par
l'actuel Prince héritier Salman.