(RV) Entretien - A l’occasion de la 6ème édition de la « Nuit des témoins »,
organisée par l’Aide à l’Eglise en détresse pour rendre hommage à ceux qui ont perdu
la vie par fidélité au Christ, de grands témoins de Syrie, d’Irak ou encore de la
Centrafrique, rencontrent les fidèles de quatre grandes villes de France pour partager
avec eux la situation des chrétiens dans leur pays.
Parmi eux, il y a le père
Samer Nassif, originaire du Liban, prêtre catholique de rite maronite. Le Liban,
où se sont réfugiés plus d’un million de syriens depuis le début de la guerre civile
dans leur pays il y a trois ans. Début mars, le président libanais Michel Sleimane,
chrétien maronite, a averti : l'afflux de réfugiés syriens dans son pays constitue
un « danger existentiel qui menace l'unité libanaise ». Un avis partagé par
le père Samer Nassif. Il souligne notamment le rôle indispensable des chrétiens pour
garantir cette unité. Il répond à Audrey Radondy :
Il y a plus
de non-libanais au Liban que de libanais. Et ces non-libanais sont syriens, palestiniens,
irakiens et on a aussi 60.000 égyptiens. Dans nos villages chrétiens, il y a plus
de musulmans sunnites de Syrie que de chrétiens libanais. C’est grave pour la stabilité
du Liban qui est un pays de 19 communautés religieuses. Il y a une harmonie et une
stabilité entre communautés religieuses que peut perturber ces réfugiés qui viennent
chez nous. Ça fait trois ans. Est-ce que ca va encore durer deux ou trois ans ? On
ne sait pas et c’est très lourd pour le Liban. On craint beaucoup que le Liban soit
déstabilisé.
Quelles sont donc les tensions entre les différentes communautés
?
Les grandes tensions au Liban sont surtout entre sunnites et chiites.
Et les chrétiens jouent un rôle politique primordial à tel point que c’est le seul
pays en Orient où les chrétiens sont vraiment libres, où le président est chrétien,
catholique dans un pays arabe. Ça calme un peu le jeu. Ça veut dire que les chrétiens
jouent un rôle modérateur entre chiites et sunnites. Ce qui fait dire que les chrétiens
sont là pour apaiser, pour essayer que ces communautés religieuses différentes puissent
vivre ensemble en paix. Chaque fois, il faut des chrétiens. Les druzes vivent uniquement
avec les chrétiens. Pour les sunnites et les chiites, c’est la même chose. C’est ça
la beauté du Liban et la beauté de l’Orient, cette mosaïque de confessions religieuses
différentes. Frapper les chrétiens au Liban, en Syrie et en Irak, c’est créer des
minis-États confessionnels. Sans les chrétiens, il est impossible de vivre. Au Liban,
on a une tension énorme et la guerre peut éclater.
Face à cette situation
et à ces tensions, quelles sont pour vous les raisons d’espérer ?
La première
chose, c’est qu’on a fêté il n’y a pas longtemps, le 25 mars, l’Annonciation. Depuis
six ans, cette fête est célébrée au Liban par des musulmans et des druzes comme fête
nationale et fériée. C’est un miracle pour moi. Les musulmans, les imams, même les
femmes voilées sont ensemble autour de Marie. C’est elle qui nous unit, qui fond notre
amitié autour d’elle. C’est important pour moi, c’est une grande espérance.
La
seconde chose, c’est qu’on ne peut jamais tuer la volonté des chrétiens de ne pas
vivre avec des communautés non-chrétiennes. On vit ensemble depuis 1400 ans. La preuve
est qu’au Liban, cette convivialité entre les confessions religieuses n’est pas une
chose obligée pour nous, les libanais mais c’est une chose qu’on veut vivre ensemble.
Et malgré la guerre, on a prouvé que cette vie ensemble est possible et on veut en
tout point la faire vivre pour donner un exemple. Comme a dit le Pape Jean-Paul II
« un message de liberté, de convivialité entre différentes communautés religieuses
: c’est le Liban. C’est plus qu’un pays, c’est un message ».
Avec votre
témoignage pendant cette sixième édition de la nuit des témoins, qu’attendez-vous
des chrétiens français ?
Vous savez, en Orient, on compte beaucoup sur
l’aide des français et de la France car il y a une histoire très ancienne entre le
Liban et la France et entre la Syrie et la France. Comme on me l’a toujours dit pendant
mon enfance, le salut du Liban, de la Syrie et de l’Orient vient quand la France est
sauvée d’abord. Ma grand-mère priait chaque jour pour la France. Mes parents m’ont
appris à prier pour la France. On sait bien que cette chère France qui souffre aujourd’hui
énormément a besoin du salut et que le salut de la France dépend aussi du salut des
chrétiens d’Orient. Mais ce que j’aimerais demander aux français, c’est qu’il ne suffit
pas d’écrire en un français impeccable en pleurant ses martyrs et ses chrétiens d’Orient.
Mais qu’est-ce que fait vraiment l’Église en France ? Depuis un an, je n’ai pas entendu
une voix s’élever en France pour défendre les chrétiens persécutés en Syrie au Liban
et en Irak. Bientôt les évêques vont se réunir ensemble dans un colloque.
Espérons
qu’ils vont lancer une voix forte pour les communautés chrétiennes, pour prier sans
cesse pour nous, pour nous fournir une grande aide et pour qu’ils disent aux autorités
européennes qu’il ne faut pas laisser ces chrétiens à leur sort. Il faut travailler
pour la paix. Ça nous énerve qu’on a vu ce qu’il s’est passé avec les chrétiens en
Irak et qu’on n’ait pas bougé. On vide la Syrie des chrétiens, on ne bouge pas. Il
faut aussi éveiller les consciences et pas seulement les chrétiens de France mais
tous les français doivent s’intéresser du sort de ces chrétiens orientaux.