La situation des chrétiens persécutés questionne « notre coma » spirituel
(RV) Entretien - Ils sont plus de 200 millions à être persécutés parce qu’ils
sont chrétiens. L’année dernière, 22 missionnaires ont été tués à travers le monde,
soit près du double par rapport à 2012. Pour rendre hommage à ceux qui ont perdu la
vie par fidélité au Christ, Aide à l’Église en détresse organise chaque année « La
Nuit des Témoins » : des veillées de prières et des témoignages dans quatre grandes
villes de France. La 6ème édition commence lundi soir à Strasbourg dans l’est de la
France et se terminera vendredi à la cathédrale Notre-Dame de Paris.
Cette
année encore de grands Témoins vont partager ce que vivent les chrétiens dans leurs
pays. Des grands Témoins que présente Marc Fromager, directeur de l’Aide à l’Église
en détresse. Il est interrogé par Audrey Radondy:
Qui sont
les grands Témoins pour cette 6ème édition ? Cette année, nous avons Sa Béatitude
Mgr Sidrak, Patriarche de l’Église catholique copte, le chef des catholiques d’Égypte.
Ça sera assez intéressant parce que l’Égypte aujourd’hui, on le sait, vit un moment
un petit peu historique, un changement de régime. Donc, c’est intéressant d’avoir
un témoignage de l’intérieur sur l’évolution de ce pays et l’espérance. Une espérance
que j'ai moi-même constatée lorsque j'étais en Égypte la semaine dernière. L’espérance
non seulement des chrétiens mais également d’une grande partie de la population égyptienne
face à ce nouvel environnement qui s’ouvre à eux. Nous aurons également l’évêque de
Mossoul, en Irak. Mossoul, c’est justement peut-être l'un des endroits les pires pour
être évêque aujourd’hui dans le monde. Mgr Nona partagera avec nous ce qu’il vit là-bas,
sa profonde détresse, la détresse de l’Église, des chrétiens dans ce pays et en particulier
dans cette ville mais également les quelques raisons qui font qu’il y a tout de même
de quoi espérer. Nous aurons également une religieuse syrienne qui viendra nous donner
son témoignage sur la Syrie, sur ce que vivent les chrétiens là-bas, sur ce que vit
toute la population syrienne. Et enfin, pour sortir un petit peu du Moyen-Orient,
nous aurons Mgr Dieudonné Nzapalaïnga l’archevêque de Bangui en Centrafrique, qui
viendra nous parler de la situation dans son pays et des efforts qu’il fait, que l’Église
accomplit aujourd’hui pour ramener la paix dans ce pays.
Quel est l’état
des lieux concernant la situation des chrétiens dans le monde ? Globalement,
il est difficile de voir d’une année à l’autre les grands bouleversements. On a toujours
de grosses difficultés au Moyen-Orient et dans la plupart des pays à majorité musulmane.
On a également des soucis et des tensions croissantes dans certaines régions de l’Inde
avec des fondamentalistes hindous. On a des problèmes dans des régimes totalitaires,
en général des dictatures, souvent communistes comme la Chine, une bonne partie de
la péninsule indochinoise avec le Vietnam, le Laos, sans évoquer la Corée du Nord.
Des résurgences en Amérique Latine et centrale, comme à Cuba par exemple. Donc, cette
situation est assez stable. Nous évaluons à près de 200 millions le nombre de chrétiens
dans le monde qui ne sont pas entièrement libres de vivre leur foi ou en tout cas,
200 millions de chrétiens pour lesquels le simple fait d’être chrétien peut à un moment
donné, leur compliquer la vie. C’est-à-dire que c’est 10% des chrétiens, puisqu’on
est deux milliards, donc un chrétien sur dix dans le monde qui, à un moment donné,
doit être prêt à payer le simple fait d’appartenir au Christ et c’est aussi pour eux
que cette Nuit des Témoins, cette veillée de prière est destinée.
Comment
peut-on donc expliquer ces persécutions contre les chrétiens ? D’une part,
le Christ nous a prévenu « ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront vous aussi
». Quelque part, on peut imaginer que ce statut de persécuté est constitutif du
fait d’être chrétien. Nous en Europe, nous l'avons peut-être oublié parce que le christianisme
a tellement façonné l’Europe qu’on s’était habitué à l’idée que c’était normal d’être
chrétien et qu’il n’y avait aucun prix à payer pour suivre le Christ. Après on peut
aussi dégager d’autres explications économiques ou encore sociopolitiques. Dans les
régimes totalitaires, on imagine assez facilement que le christianisme puisse être
une menace puisque les chrétiens adorent un autre Dieu que le régime ou que la figure
tutélaire, le chef du parti. Dans d’autres pays ça va être une rivalité religieuse,
je pense à l’hindouisme, à l’islam, au bouddhisme où paradoxalement, le christianisme
est en train de se développer et cela peut susciter quelques réserves, quelques méfiances,
des manifestations d’agressivité. En tout cas pour nous, une des raisons de cette
tension croissante vis-à-vis des chrétiens, c’est encore une fois paradoxalement parce
que le christianisme, les valeurs chrétiennes se développement manifestement dans
le monde. Quelque part, ça bouleverse les sociétés et ça peut aller jusqu’à les bouleverser
assez profondément. Du coup, cela suscite un petit peu cette réaction de violence
vis-à-vis des chrétiens.
Vous parlez donc de ceux qui vivent en Europe,
pour qui il est normal d’être chrétien et qui ne vivent pas ce que peuvent vivre d’autres
chrétiens dans le monde. Est-ce que vous pensez que c’est essentiel de leur rappeler
que ce n’est pas si évident d’être chrétien encore aujourd’hui ? Nous avons
toujours compris notre mission comme allant dans les deux sens. C’est-à-dire que nous
ne faisons pas simplement qu'aider les chrétiens persécutés mais nous avons beaucoup
plus à recevoir d’eux et ce que nous recevons d’eux c’est leur témoignage de fidélité
au Christ malgré des épreuves parfois terribles. Pour nous, c’est le meilleur antidote
au coma spirituel dans lequel nous sommes plongés en Europe, en Occident. C’est dans
ce sens que ce témoignage que nous essayons et c’est pour cela que nous avons appelé
cela « La Nuit des Témoins ». Pour nous, c’est vraiment une valeur ajoutée que nous
pouvons apporter aux chrétiens qui habitent en Europe. Et le deuxième élément de réponse,
c’est qu’en Europe il est déjà et il le sera de moins en moins évident ou naturel
d’être chrétien. Et donc, sans évoquer des situations de persécutions dans lesquelles
nous ne sommes pas du tout ou du moins pas encore en Europe, le fait de pouvoir observer,
entendre, recueillir des témoignages de nos frères dans des régions où il est plus
difficile d’être chrétien, est pour nous pédagogique ou en tout cas un bon accompagnement
pour nous préparer à ce que nous vivons déjà, c’est-à-dire une espèce de marginalisation
dans nos sociétés et dans ces conditions, nous incite à nous mobilisier pour conserver
notre foi vivante et à conserver l’espérance envers et contre tout.