(RV) Entretien - Les cas d’adolescents français ou belges partis faire le djihad
en Syrie au sein de groupes radicaux suscitent beaucoup d’émotion et d’incompréhension
depuis quelques mois, en France et en Belgique notamment. Ces jeunes venus de milieux
très différents s’engagent dans des processus de radicalisation qui suscitent parfois
la stupeur de leur entourage, d’autant plus que le phénomène ne concerne pas que des
jeunes issus de familles musulmanes.
Interrogée par Cyprien Viet, Dounia
Bouzar, anthropologue du fait religieux et membre de l’observatoire de la laïcité
a étudié ce phénomène. Elle est l’auteur du livre Désamorcer l’islam radical, ces
dérives sectaires qui défigurent l’islam, paru en janvier aux éditions de l’Atelier.
« L’islam
radical se développe principalement dans les sociétés sécularisées qui ne gèrent pas
le religieux, où il n’y a pas de régulation sur ce que dit le religieux. C’est donc
la sphère européenne particulièrement qui est concernée, » explique Dounia Bouzar.
Concernant plus spécifiquement la France, « il y a un grand amalgame entre les
musulmans pratiquants et les radicaux, qui mène à considérer tout pratiquant comme
un intégriste et paradoxalement, mène au laxisme envers les radicaux que le gouvernement
peut, sans le vouloir, valider comme de simples pratiquants orthodoxes. »
Remobiliser
la raison des jeunes endoctrinés
Selon l’anthropologue, les sociétés européennes
sont confrontées à un phénomène de type sectaire. « Les jeunes qui sont enrôlés
dans l’islam radical n’ont aucune démarche théologique ou spirituelle, » explique-t-elle.
Afin d’éviter qu’ils ne sautent le pas et ne partent combattre, il faut mettre en
place un désendoctrinement. « Il faut faire revivre le jeune en tant qu’individu,
puisque le discours de l’islam radical essaie de détruire l’histoire du jeune, lui
demande de détruire les photos de famille comme si cela allait le détourner de Dieu,
remplace la réflexion par le mimétisme ; les jeunes sont presque dans un état d’hypnose.
Il s’agit donc de remobiliser quelque chose de l’individu pour retrouver sa raison,
son histoire, sa famille ».
Pour Dounia Bouzar, une vision trop restrictive
de la laïcité empêche les autorités françaises de réellement prendre la mesure de
ce phénomène. Elle considère que toutes les religions doivent lutter ensemble contre
ces embrigadements sectaires et s’aider mutuellement à combattre l’ intégrisme.
Photo
: Mohammed Achamlane, le 27 janvier 2012, à Paris. Chef de file d'un groupe islamiste
radical, Forsane Alizza. Il a été arrêté le 30 mars 2012 après la série de meurtres
commise par Mohamed Merah.