20 ans après le génocide rwandais, la justice française rend un premier verdict
(RV) - Entretien - Pascal Simbikangwa a été condamné hier à Paris à 25 ans
de réclusion criminelle pour son rôle dans le génocide des tutsis au Rwanda en 1994.
L’ex-officier de la garde présidentielle rwandaise a été reconnu coupable de génocide
et de complicité de crimes contre l’humanité au terme d’un procès qui a duré six semaines.
Il
s’agit du premier responsable rwandais jugé et condamné en France pour sa participation
au génocide de 1994. Une première étape encourageante pour le président du Collectif
des Parties Civiles pour le Rwanda, Alain Gauthier. Avec son épouse Dafroza, une femme
d'origine rwandaise tutsie qui a perdu presque toute sa famille en 1994, il mène depuis
13 ans un combat pour retrouver les responsables du génocide. Il répond à Cyprien
Viet
La condamnation
de Pascal Simbikangwa fait-elle sauter un verrou dans la possibilité de poursuivre
devant la justice française les responsables du génocide de 1994 ?
C’est
une décision que nous attendions : c’est le premier procès qui ait eu lieu en France,
on peut le qualifier d’historique. Il est important de montrer au monde entier que
la France ne peut pas être un havre de paix pour les présumés génocidaire rwandais,
qui ont trouvé ici chez nous un accueil assez complaisant. Donc ce verdict je pense
qu’il est tout à fait juste et qu’il correspond aux actes que Pascal Simbikwanga a
commis pendant le génocide.
Quelles sont les démarches en cours par rapport
à la trentaine d’autres présumés génocidaires identifiés en France depuis que vous
avez créé votre association ? Est-ce que vous avez l’espoir d’autres procès, à court
terme ?
Oui effectivement, au niveau du collectif nous avons déposé près
de 25 plaintes. Beaucoup sont à l’instruction, à Paris. Il semblerait que la prochaine
plainte qui puisse déboucher sur une Cour d’assises serait celle qui concerne deux
présumés génocidaires qui sont actuellement en prison à Paris.
Nous avons créé
le collectif des parties civiles avec mon épouse en 2001, à la suite du grand procès
de Bruxelles, qui était le premier procès de présumés génocidaires. A partir de là
nous avons pris conscience que les présumés génocidaires qui vivaient en France vivaient
en toute impunité, et donc nous avons décidé de créer une association qui s’appelle
le Collectif des Parties civiles pour le Rwanda. Nous essayons de retrouver en France
les Rwandais qui pouvaient être mêlés au génocide, et chaque fois qu’un nom apparaît,
nous devons partir au Rwanda, faire des enquêtes, rencontrer des témoins.
Il
est urgent de le faire parce que 20 ans après, beaucoup de témoins ont disparu et
beaucoup de témoins ne veulent plus parler. Donc nous rencontrons des rescapés, mais
nous rencontrons aussi des tueurs, en prison ou bien libérés, parce que l’essentiel
des plaintes repose sur des témoignages. Alors ça peut poser des problèmes, mais il
faut faire avec ce qu’on a. Au Rwanda il y a très peu de traces de textes pour dénoncer
ce génocide. Et lorsque nous revenons avec ces témoignages, nous les confions à nos
avocats qui déposent des plaintes.
Vous sentez que la société rwandaise,
elle est prête, elle est mûre pour affronter ce passé, ou est-ce qu’il y a des réticences
? Est-ce que ça ne risque pas de remuer le couteau dans la plaie ?
Ca fait
20 ans que la société rwandaise essaie de se reconstruire. Je pense que de grands
pas ont déjà été faits. Au Rwanda, bourreaux et victimes sont obligés de vivre ensemble.
On a toujours parlé d’un « génocide de proximité »… Donc le voisin qui a tué ses voisins
est toujours là. C’est quelque chose de difficile pour les victimes. Mais le pays,
le Rwanda, a quand même tout axé sur la réconciliation. On ne peut pas oublier. Mais
on ne peut pas rester les yeux fixés sur le passé. Donc tout en nous souvenant, nous
essayons de reconstruire le pays. Je pense que la justice, qui lutte contre l’impunité,
est l’un de ces éléments pour la reconstruction du Rwanda.
Vous dites souvent
que la France a eu des inerties pour s’attaquer à ces questions. Qu’est-ce que vous
pensez du travail du TPIR (Tribunal Pénal International pour le Rwanda), basé en Tanzanie
?
Il a le mérite d’avoir existé. Le TPIR aura jugé pendant toutes ces années
entre 50 et 70 génocidaires. Il en a acquitté un certain nombre également. Nous avons
quand même dénoncé un certain nombre d’acquittements qui ont été scandaleux. C’est
une institution qui a coûté énormément cher à la communauté internationale. Mais en
tout cas elle a permis de condamner quelques grands responsables du génocide. Je crois
que c’est le seul intérêt de ce tribunal pénal international.
Et est-ce
qu’il y a des affaires actuellement en cours d’examen en Belgique ?
Oui
en Belgique il y a encore quelques cas, quelques affaires qui vont être traitées.
Il y a beaucoup de Rwandais en Belgique. Le Rwanda n’avait pas le statut de colonie,
mais était sous tutelle de la Belgique. Les débats en Belgique sont moins passionnés
qu’en France.
Le gouvernement français de 1994, nous l’avons souvent dénoncé
aussi, a été complice à la fois financièrement, militairement, diplomatiquement, avec
le régime du président Habyarimana, et même avec l’armée rwandaise pendant le génocide
et après le génocide. Donc ici en France le débat est beaucoup plus tendu, avec une
coloration beaucoup plus politique.
Le procès de Pascal Simbikangwa c’était
le procès d’un homme, pas le procès du génocide. Mais ce procès c’est quand même un
bon signal donné à l’ensemble des présumés génocidaires qui sont en France, parce
que d’autres procès vont suivre. Je me félicite de la tenue de ce procès qui a été,
je dirais, d’une grandeur excpetionnelle. Que ce soit à la fois la Cour, avec son
président, avec ses jurés, que ce soit du côté de l’accusation, ça a été vraiment
d’une exceptionnelle qualité. On peut simplement regretter parfois les dérapages des
avocats de la défense et les dérapages de Pascal Simbikangwa lui-même. C’est un peu
la note négative de ce procès.
Photo : Alain et Dafroza Gauthier, fondateurs
du Collectif des Parties Civiles pour le Rwanda, à la sortie de la cour d'assises
de Paris le vendredi 14 mars 2014