L’ONU dénonce les incohérences de la production agricole mondiale
(RV) Entretien - C’est un rapport important et qui pourtant ne fait pas la
une des médias. Le rapporteur des Nations unies pour le droit à l'alimentation, Olivier
de Schutter, a fait le point sur la faim dans le monde devant le Conseil des droits
de l’Homme de l’ONU à Genève.
Ce rapport cinglant dénonce la schizophrénie
des Etats qui s’accrochent aux règles de l’OMC qu’il juge dépassées. Pour l’OMC, dénonce
Olivier de Schutter, la mesure du succès reste l'augmentation des exportations et
des volumes commerciaux plutôt que la réduction de la pauvreté rurale et l’aide aux
petits paysans.
Le rapporteur s’insurge surtout contre un système qui produit
largement de quoi nourrir deux fois la planète alors que plus de 800 millions de personnes
sont mal-nourries dans le monde. Olivier de Schutter au micro de Catherine Fiankan-Bokonga
:
« Une partie
importante de ce qui est produit est perdu, soit que cela pourrisse sur place, soit
que l’on gaspille les denrées alimentaires au niveau des ménages, de la grande distribution
ou de l’industrie agroalimentaire, soit qu’une partie des céréales partent à nourrir
le bétail, », explique le rapport des Nations unies.
« Notre niveau
actuel de consommation de viande, avec l’impact que cela a sur les ressources ou l’utilisation
des céréales notamment, n’est pas tenable », alerte-t-il. « Les politiques
agricoles ont été guidées essentiellement par le souci d’exporter davantage et de
satisfaire les attentes des marchés internationaux parce que le commerce international
a été le stimulant et l’aiguillon des politiques agricoles. » Parmi les victimes,
les petits agriculteurs.
Texte intégral de l'entretien :
Nous produisons
effectivement entre 4500 et 4800 kilocalories au jour et par personne à l’échelle
mondiale. Pratiquement le double de ce qu’il faut pour nourrir une population de sept
milliards d’individus. Mais au final, il reste aux alentours de 2000 kilocalories
par jour par personne à distribuer. Pourquoi ? Parce qu’une partie importante de ce
qui est produit est perdu, soit que cela pourrisse sur place en raison de l’absence
de moyens de transformation adéquats ou de moyens de transport adéquats, soit que
l’on gaspille toute une série de denrées alimentaires au niveau des ménages ou de
l’industrie de transformation agro-alimentaire ou au niveau de la grande distribution,
soit encore qu’une part des céréales partent à nourrir le bétail. Et l’on subit évidemment
des pertes considérables alors qu’on consacre 80% du soja, 40% du mais à nourrir le
bétail avec une rentabilité très faible en termes de production et de protéines animales
dans la production ou l’élevage agro-industriel. Je pense que notre niveau actuel
de consommation de viande, avec l’impact que cela a sur l’utilisation des ressources
et notamment sur l’utilisation des céréales, n’est pas tenable. Vous savez, à l’horizon
2030, on va vers une situation où 50% des céréales qui seront produites iront alimenter
le bétail. Aujourd’hui déjà, 70% des surfaces de terre qui sont utilisées pour la
culture ou l’élevage vont à l’élevage industriel ou à l’élevage extensif sur le mode
des « ranchings ». Des territoires entiers qui sont utilisés par exemple dans le cône
sud-américain pour produire du soja, pour l’alimentation du bétail en Europe. Et ce
sont des situations complètement aberrantes ! Au nord, on peut utiliser les terres
pour produire des agro-carburants. Au nord, on peut utiliser des ressources du sud
pour satisfaire une consommation de viande qui est excessive. Ces différentiels du
pouvoir d’achat entre les régions du monde jouent un rôle important dans un contexte
de plus en plus mondialisé où au fond, il y a une concurrence mondiale pour les ressources
rares que sont devenues la terre et l’eau.
Comment expliquez-vous qu’on
en soit arrivé là ? Les politiques agricoles ont essentiellement été guidées
par le souci d’exporter davantage et de satisfaire les attentes des marchés internationaux.
Et ceci, parce que le commerce international a été au fond le stimulant et l’aiguillon
des politiques agricoles. Du coup, les petits producteurs peu capables de réaliser
des économies d’échelle sont dispersés sur de grands territoires de manière telle
qu’il n’était pas intéressant pour les grands acheteurs de matières premières agricoles.
Ces petits producteurs ont été totalement négligés. Ils ont perdu deux fois. Ils ont
d’abord perdu parce qu’ils n’avaient pas accès à ces grands marchés. Ils ont perdu
aussi parce qu’ils ont été de plus en plus victimes du dumping pratiqué sur leurs
propres marchés locaux rendant pour eux peu intéressant le fait d’investir dans la
production.
Qu’est-ce que vous préconisez pour équilibrer le système ? Il
faut maintenant revenir à une approche beaucoup plus équilibrée où ces petits producteurs
auraient des chances plus grandes d’avoir des revenus décents pour leur travail. Cela
ne signifie pas répudier tout ce qui a été fait par le passé. Moi je suis partisan
d’une coexistence de différents systèmes mais cela exige naturellement de la part
des gouvernements qu’ils aient conscience de protéger beaucoup plus les petits producteurs
parce que si on laisse au marché dicter ses conditions, si on laisse les prix du marché
déterminer la rémunération des producteurs, les petits producteurs vont être les perdants
de cette mise en concurrence des agricultures du monde. Malheureusement, les États
ne suivent pas toujours ces recommandations et le système commercial international
reste très largement encré dans une conception très 20°siècle où l’efficience, l’augmentation
de productivité par les producteurs les plus compétitifs reste l’horizon des politiques
qui sont conduites.