(RV) Entretien- La Libye s’enfonce de plus en plus dans l’anarchie. Dernier
épisode en date : un pétrolier battant pavillon nord-coréen, a acheté du pétrole à
des rebelles autonomistes. Il a été arraisonné par les autorités centrales libyennes
dans le port d’al-Sedra, lundi soir, sur ordre du procureur général du pays. Mardi,
il est parvenu à échapper aux navires qui l’escortaient et à prendre le large.
Cet
exemple montre combien le pouvoir central libyen ne parvient pas à contrôler l’ensemble
du territoire. C’est l’une des raisons qui a poussé les députés du Congrès général
national à renverser mardi après-midi le Premier ministre Ali Zeidan, un indépendant
soutenu par les libéraux mais qui ne faisait plus l’unanimité, si tant est qu’il ait
faite un jour.
Joint par Xavier Sartre, Moncef Djaziri, spécialiste de
la Libye revient sur ce renversement
Ali Zeidan
paie son manque de charisme et de contrôle sur le pays. Sa majorité, fragile dès son
élection, n’a pas pu résisté au mécontentement général qui est monté progressivement
des rangs du Congrès, qui fait office de parlement et de chambre constituante. La
Libye ne possède plus de pouvoir central exerçant son autorité sur tout le territoire.
L’épisode du pétrolier nord-coréen en est la preuve. Entre les touaregs au sud, les
fédéralistes à l’Est, les différentes tribus et les groupes rebelles divers, l’Etat
n’arrive pas à se faire une place.
l'or noir, un problème parmi d'autres
«
Le pétrole n’est pas la solution aux problèmes, mais une partie du problème » précise
Moncef Djaziri. Le problème global est donc celui de l’autorité. Mais il inclut aussi
celui de la « structure de l’Etat ». Etat fédéral comme les habitants de la Cyrénaïque
le demandent, Etat unitaire, Etat décentralisé avec des régions autonomes ? la question
n’a toujours pas été tranchée au niveau national.
Le contrôle du pétrole,
et les possibles bénéfices qui peuvent en découler, est donc stratégique : chaque
groupe peut ainsi faire pression sur le gouvernement et le Congrès et avancer ses
pions. Or, le manque à gagner que représente l’absence de production et d’exportation
du pétrole, pèse sur l’ensemble de la population, pour qui le pétrole est la seule
ressource. La manne pétrolière et sa redistribution doivent être également renégociée,
selon Moncef Djaziri. « C’est la question de la péréquation financière ».
Mais
pour cela, il faut que les questions institutionnelles soient réglées. Et que l’autorité
centrale soit restaurée. Autant dire que le prochain Premier ministre aura fort à
faire, d’autant que la colère envers le Congrès ne fait que croître parmi la population.
L’assemblée a déjà prolongé son mandat, ce qui n’a pas été apprécié. L’absence de
constitution et de consensus sur le futur de la Libye ne pourra qu’aggraver tous les
problèmes prégnants actuellement, que ce soit la sécurité ou l’économie qui a besoin
du pétrole.
Texte intégral de l'entretien :
Il y a deux causes: la
première, c’est que depuis le départ, le premier ministre Zeidan ne disposait pas
suffisamment d’autorité sur le pays. La deuxième cause, c’est qu’il n’a pas été en
mesure d’instaurer la paix et la sécurité et de réaliser le désarmement des grands
groupes rebelles en Libye.
C’est un simple problème de personne ou il y
a-t-il des problèmes beaucoup plus profonds ? C’est à la fois le problème
de la personne parce que dès le départ, son élection a obtenu certes une majorité
mais une majorité quand même assez faible au parlement. Le personnage manque de charisme
et d’autorité. Ça , c’est le premier point. Le deuxième point, c’est effectivement
plus qu’une question de personne. C’est-à-dire que les structures qui ont été mises
en place : le parlement libyen, le congrès général national n’a pas été en mesure
de remplir la mission qui était la sienne, c’est-à-dire d’écrire la Constitution et
donc, c’est aussi un élément qui a son importance et qui explique cette fois la cause
qui est en quelques sortes une cause institutionnelle. Les institutions mises en place
n’ont pas fonctionnées.
Alors, l’un des sujets qui étaient aussi sur la
table du gouvernement, c’était le pétrole. Est-ce qu’on peut dire que le pétrole
est la pierre angulaire pour résoudre tous les problèmes de l’égalité et surtout d’autorité
dans le pays ? En fait, le pétrole n’est pas la solution du problème. Il est
plutôt une partie du problème de la Lybie. Le problème essentiel de la Lybie, c’est
le problème de l’autorité que l’État a de la peine à exercer sur le territoire libyen.
Là, c’est en quelques sortes le problème de la faillite de l’État libyen. Et également
le problème du manque d’autorité de ceux qui gouvernent. De là résultent en effet
un certain nombre de conséquences, parmi lesquelles le problème du pétrole. Il est
une partie de ce grand problème. Un problème qui inclut justement la question de la
structure de l’État. D’où le problème des fédéralistes qui sont à l’est et qui souhaitent
une structure fédérale de quasi-autonomie à l’égard de Tripoli, ce qui pose un problème
énorme de manière générale et bien entendu, en ce qui concerne le pétrole.
Le
pétrole est quasiment la seule ressource financière du pays. Dans ces conditions,
quelles sont les conséquences pour l’économie ? Il est à craindre que la société
libyenne connaisse de graves problèmes. Les libyens risquent de connaitre de graves
problèmes sociaux économiques et également des problèmes d’insécurité parce que qui
dit misère, dit des problèmes d’aggravation d’insécurité, etc...Donc, les problèmes
sont considérables pour la Libye, pas en raison du pétrole mais c’est la question
de l’autorité de l’ État. C’est aussi la question de repenser la redistribution de
la manne pétrolière qui requiert et suppose un consentement et un accord de base sur
un certain nombre de questions, entre autres la structure de l’État et la manière
avec laquelle le pétrole doit être redistribué. C’est toute la question de ce qu’on
appelle la péréquation financière qui se pose pour la Libye et plus généralement,
le fait que ce pays doit retrouver ou trouver un système politique dans lequel ceux
qui gouvernent ont l’autorité suffisante pour amener le pays vers l’avant plutôt que
le risque de le ramener à des années obscures de son histoire.
Photo
: le Premier ministre sortant, Ali Zeidan, à gauche, et le ministre de la Défense,
nommé chef du gouvernement par intérim, Abdallah Al-Thani