2014-03-05 19:38:56

Les patriarches de toutes les Églises orthodoxes se rencontrent à Istanbul


(RV) Entretien - Une réunion des patriarches et des archevêques de toutes les Églises orthodoxes s'est ouverte ce jeudi à Istanbul. Elle a été convoquée par le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée Ier, afin d’accélérer la préparation du concile panorthodoxe et son ouverture possible en 2015. Mais la crise ukrainienne risque de monopoliser l’attention et attiser les difficultés.

Ces derniers mois, les troubles en Ukraine et les conséquences des révolutions arabes ont bouleversé le paysage de l’orthodoxie. En plus d’une fragilisation générale du christianisme en Orient, les conflits entre orthodoxes sont nombreux, de Prague à Jérusalem en passant par Kiev. Pour le patriarche de Constantinople Bartholomée, qui dispose d’une « primauté d’honneur » sur 300 millions de chrétiens, tenir ce concile panorthodoxe est donc essentiel pour maintenir la communion entre ces Églises.

Nicolas Kazarian, directeur de l’observatoire géopolitique du religieux à l’Iris, professeur à l’institut Saint-Serge et à l’Institut catholique de Paris, analyse les enjeux autour de cette rencontre dans un entretien avec Cyprien Viet : RealAudioMP3


Aujourd’hui, le patriarche Bartholomée est dans une volonté de vouloir accélérer les choses et de faire en sorte que ce Concile puisse advenir. Je pense qu’il se considère comme étant « le patriarche » et il peut certainement rentrer dans l’histoire à ce titre-là, le patriarche ayant réussi à convoquer le Concile panorthodoxe. Aujourd’hui, la question qui se pose, c’est évidemment les différentes inerties devant les lenteurs du fonctionnement même de l’Église orthodoxe. Y arrivera-t-il? Ça, c’est la question mais en tout cas, sa volonté est ferme. Il l’a d’ailleurs rappelé lorsqu’il est venu en France en janvier 2014 en disant qu’il tenait à ce que le Concile puisse se réunir rapidement. Le patriarche œcuménique Bartholomée, lorsqu’il convoque les différents primats des Églises orthodoxes à venir au Phanar, il le fait au même titre que cette primauté, c’est-à-dire non seulement le fait qu’il est « le primus inter pares », le premier parmi les égaux, mais qu’en même temps, en tant que premier, il a la responsabilité de pouvoir mettre toutes les forces de l’Église orthodoxe en dialogue et porter ainsi une intitiative et la nature synodale même de l’Église.


Cet œcuménisme inter-orthodoxe pose aussi la question de l’œcuménisme plus large. Est-ce que l’Église catholique est invitée ? Est-ce qu’elle pourrait avoir des observateurs dans ce concile ? Est-ce qu’elle est associée à certains travaux de préparation ?

Alors, au point où en est le travail préconciliaire, je ne pourrais pas vous dire mais il semble que se profile effectivement une association. On verra après la nature d’observateurs ou non. Les choses vont se définir avec le temps. En tout cas, il est certain que les travaux du Concile panorthodoxe devront prendre en considération les relations bilatérales avec l’Église catholique. On pourrait même penser que le Concile panorthodoxe devra lui aussi porter à un message sur l’avancée des relations entre l’Église catholique et les Églises orthodoxes. L’ Église catholique et l’Église orthodoxe sont très proches dans l’exercice du dialogue et s’apprêtent, notamment avec le renouvellement à la fête de l’Église de Rome et l’arrivée du Pape François, à rentrer dans une nouvelle phase.

Justement, concernant cette nouvelle phase, quelle est la perception du Pape François par les orthodoxes ?

Elle est assez positive. Il faut dire que Benoît XVI avait aussi bonne presse parmi les orthodoxes dans la mesure où il a été un grand connaisseur de la théologie patristique. Le Pape Benoît XVI avait aussi été très proche de celui qui avait porté initialement le processus conciliaire, le métropolite de Suisse, Damaskinos Papandréou. D’une certaine manière, on voit qu’il y a un prolongement assez naturel qui se fait dans la perception que les orthodoxes ont du Pape, entre Benoît XVI et François pour des raisons totalement différentes. François, par sa simplicité, par son ouverture et puis aussi-ne le cachons pas- il y a un tout petit peu de chauvinisme derrière tout cela- par les références que le Pape François a pu faire à tel ou tel moment du fonctionnement de l’Église orthodoxe, notamment concernant la « conciliarité » et la « synodalité » pour lesquelles le Pape François souhaite associer plus généralement l’épiscopat dans des réflexions ecclésiologiques plus large.

Parlons maintenant d’éléments d’actualités chauds et brûlants. D’abord, les révolutions arabes. Est-ce que ces évènements ont permis, par ricochet, de ressouder les patriarcats orthodoxes et de relativiser un peu les divergences puisque finalement, tous sont d’accord pour dire que cette déstabilisation politique est dangereuse pour tous les chrétiens d’Orient...


Tous sont effectivement d’accord pour le dire et je pense qu’il y a un véritable consensus qui aujourd’hui, traverse les différentes Églises orthodoxes pour dire qu’en en ce qui concerne la crise syrienne qui est encore une crise prégnante dans les relations internationales, qu’il faut que cela cesse. Il faut que ça cesse et il faut que lorsqu’une solution pérenne et pacifiée sera trouvée, les chrétiens puissent trouver une position, une place particulière dans les sociétés démocratiques qui vont se reconstruire sur ce terreau de paix. Pour autant, nous voyons que ce contexte difficile d’affrontement au Moyen-Orient n’a pas réglé tous les différents qui pouvaient exister entre les patriarcats. J’en citerai notamment un : il s’agit de savoir qui des patriarcats d’Antioche et de Jérusalem à la juridiction sur le Qatar. Et aujourd’hui, la question du Qatar est une vraie pierre d’achoppement dans les relations entre les deux patriarcats de Jérusalem et de Damas. Donc effectivement, le contexte de la crise du monde arabe va porter une certaine forme de solidarité instinctive entre les patriarcats mais cela ne règle pas pour autant tous les contentieux.

Autre sujet de conflit encore évidemment plus brûlant : l’Ukraine. Est-ce que cette question ukrainienne peut venir ouvertement sur le tapis entre les patriarcats orthodoxes ? Est-ce qu’elle préoccupe tout le monde ? Est-ce que les liens du patriarcat de Moscou avec la présidence russe inquiète, effraie certains ? Est-ce qu’il n’y a pas un risque d’instrumentalisation politique du sacré ?

À vrai dire, il y a toujours eu une fusion ou une proximité entre le pouvoir spirituel et le pouvoir temporel en Russie qui ne permettait pas forcément de faire bien la part des choses, pour ne pas parler d’instrumentalisation. La question ukrainienne est extrêmement complexe. D’abord parce que l’Ukraine est un pays diversifié. Le paysage chrétien est en lui-même extrêmement hétérogène entre les communautés gréco-catholiques et les communautés du patriarcat orthodoxe d’Ukraine qui est en fait un schisme de l’Église d’Ukraine relevant du patriarcat de Moscou et l’Église ukrainienne relevant du patriarcat de Moscou. Je ne cite même pas la présence d’autres catholiques ou d’autres confessions protestantes. On voit déjà qu’il y a une très grande diversité à l’intérieur même de ce groupe de chrétiens. Et évidemment, la récupération politique de ces divergences confessionnelles sont préoccupantes dans la mesure où elles ne permettent pas de voir aujourd’hui -au moment où ne sait toujours pas quel va être la sortie politique de la question ukrainienne- comment les chrétiens, dans leurs divergences, seront susceptibles de pouvoir servir l’unité de l’Ukraine. Aujourd’hui, la contorsion dans laquelle les chrétiens sont en train de se placer risque de ne pas favoriser un climat apaisé. Le point de départ de l’orthodoxie dans le monde slave, c’est Kiev et c’est le baptême de la Rus en 1988. Effectivement, il y a un attachement, non pas tant à l’Ukraine en tant qu’État ou en tant que nation mais à l’Ukraine en tant qu’espace culturel, espace spirituel où elle s’est construite à travers les siècles et depuis un millénaire, l’identité slave orthodoxe.


Photo : le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée Ier







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