(RV) Entretien- En France, on parle souvent de nucléaire civil, mais en revanche
beaucoup plus rarement de nucléaire militaire. L’Eglise veut aujourd’hui changer la
donne et relancer le débat autour du désarmement. Mais comment convaincre les Etats
qui ont la bombe ou qui aspirent à la posséder, d’y renoncer ? Comment faire comprendre
qu’un désarmement nucléaire est une option crédible pour obtenir la paix ? Pour faire
connaître leur point de vue et analyses, la commission justice et paix, Pax Christi
et la faculté de sciences sociales et économiques (FESSE) de l’Institut catholique
de Paris ont publié un livre aux Editions de l’Atelier. Il est intitulé « La paix
sans la bombe ? ».
Sylvie Bukhari-de Pontual, avocate au barreau
de Paris, ancienne doyenne de la FESSE et présidente de la Fédération internationale
de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (FIACAT) nous explique
pourquoi les Etats tels que l’Inde, les Etats-Unis ou la France restent aujourd’hui
convaincus par le nucléaire militaire Un entretien réalisé
par Marie Duhamel.
Tout simplement parce que son voisin qui est son ennemi
est lui-même doté de l’arme nucléaire. La question qu’on peut se poser : « est-ce
que se doter de l’arme nucléaire va augmenter votre capacité de défense ? ». Je remarquerais
une chose : dans tous les récents conflits, celui du Mali ou encore aujourd’hui, en
Centrafrique, ou encore plus proche de chez nous, l’Ukraine, quel rôle joue l’arme
nucléaire ? Aucun et heureusement !
Le Japon et l’Allemagne sont des cas
un peu particulier mais qu’est-ce qui fait qu’aujourd’hui, des pays qui pourraient
s’armer de l’arme nucléaire décident de ne pas le faire ?
Là nous avons
vraiment de bons exemples. Aujourd’hui, nous avons une quinzaine de pays qui ont la
capacité de se doter de la dimension militaire de l’arme nucléaire en un peu près
6 mois- 1 an et qui y ont pour l’instant renoncé. Ces pays y ont renoncé parce qu’ils
considèrent que la protection de leurs intérêts stratégiques est meilleure s’ils ne
se dotent pas de l’arme nucléaire. Finalement, ils considèrent que la mise en place
opérationnelle de cette arme est plus dangereuse que protectrice pour leur propre
sécurité, pour leur propre population. C’est-à-dire qu’ils prennent en compte les
mauvaises utilisations possibles de l’arme, les accidents éventuels sachant que ceci
aurait pour conséquence que les premières victimes seraient dans leur propre pays
et non pas dans le pays contre lequel ils voudraient se défendre.
Pour
prendre le cas particulier de la France, qui prône encore la dissuasion nucléaire,
est-ce encore pertinent ? Et est-ce qu’on peut prendre la chose à rebours-ce qui
n’est évidemment pas la position prônée par l’Église- et se dire qu’on peut être garant
de la paix quand on est un pays démocratique avec l’arme nucléaire ?
Je
crois que c’est un mauvais raisonnement. Premièrement, la position française est quelque
part, obsolète. Elle se situe dans un contexte qui est celui de la guerre froide.
Dans le livre blanc de 2013 de la défense française, la place qui est accordée au
nucléaire n’est absolument pas modifiée, compte tenu du contexte géopolitique international.
On a l’impression que le discours français de la dissuasion est un discours qui a
été frappé dans le marbre par le général De Gaulle et qui depuis, est invariant et
ne tient pas compte des réalités. Lorsqu’on regarde également le discours qui est
développé par la France lors des dernières projections de nos forces militaires sur
les terrains des opérations de maintien extérieur de la paix, là encore, il n’est
jamais fait mention de l’arme nucléaire comme si nous avions d’un côté, une réalité
qui est prise en compte par nos responsables politiques et nos responsables militaires,
c’est-à-dire le caractère inapproprié de l’arme nucléaire aux situations concrètes
de conflit actuel. Mais d’autre part, on maintient en parallèle cette espèce de discours
fondateur sur la dissuasion et l’écart est de plus en plus grand entre ce discours
qui est toujours formulé et les réalités qui elles, sont prises en compte. Donc, ce
que nous disons dans notre ouvrage, au fond c’est « Remettons les deux ensemble, regardons
de quelle manière il faut reconsidérer l’emploi de l’arme nucléaire ». Je ferais
simplement une comparaison avec deux autres pays, deux grandes puissances nucléaires,
les États-Unis et le Royaume-Uni. Ces deux pays ont maintenant inscrit dans leur doctrine
politique et militaire la recherche d’un désarmement nucléaire total à terme. Pourquoi
la France n’en ferait-elle pas autant ?
Si l’armement nucléaire s’est fait
de façon un peu anarchique et de manière totalement inéquitable entre les pays à travers
le monde, comment est-ce qu’on peut faire pour désarmer de manière plus équitable?
Tout
simplement en veillant à ce que les puissances nucléaires qui pour l’instant, jouissent
d’un statut privilégié, acceptent (ce qu’elles ne font pour la plupart pas encore)
de se plier aux obligations inscrites dans le traité de non-prolifération nucléaire.
C’est-à-dire qu’au fond, elles sont en train d’exiger depuis un certain nombre d’années,
le respect d’un certain nombre d’obligations par l’Iran qui cherche à devenir un État
« du seuil ». Que ces puissances nucléaires s’appliquent à elles-mêmes les obligations
qu’elles souhaitent imposer et qu’elles imposent à l’heure actuelle à l’Iran, à savoir
une réduction progressive mais coordonnée entre elles (elles savent le faire). Les
négociations entre les États-Unis et la Russie ont montré que c’était efficace et
qu’il y avait de bons résultats de telle manière qu’on puisse effectivement, tranquillement
et calmement construire ce désarmement progressif.